N° 164 - Mars 2003
( sommaire
)
Cahier
Dans ce cahier :
- Michel Servet (1509 - 1553), par Philippe
Vassaux
- L'Église à la croisée
du consentement et de l'espérance, par Rapahël
Picon
- La Bible des maçons, par Daniel
Ligou
- Deux credo pour notre temps
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sommaire du N°
En 1547, à Genève, Gruet
est décapité parce qu'il mettait en doute l'autorité
souveraine des Ecritures saintes : martyr de la Réforme, pour cause
doctrinale, pour raison théologique. En 1566, Jean Tillis est décapité
à Berne, parcequ'il est considéré comme anti-trinitaire.
En 1572, Sylvanus, à Heidelberg : décapité pour cause
d'arianisme (il nie une certaine forme de divinité de Jésus-Christ).
Les crimes de la Réforme il y en a plus qu'on ne le dit. Je ne
fais que citer des exemples. Il y en a eu sans doute davantage avec l'Inquisition
et d'une manière incomparable mais le problème n'est pas
là.
Alors qui était Michel Servet ? On ne sait même pas très
bien sa date de naissance : plutôt 1511, mais certains auteurs disent
1509, ce qui le ferait naître la même année que Calvin.
La formation
Michel Servet est espagnol, il faut le souligner. Quand on voit l'attitude
qu'il a eue à divers moments de sa vie, c'est la psychologie
de l'espagnol qui apparaît. Servantes, par exemple, vivait une
cinquantaine d'années après, Mais c'était tout
de même la même mentalité. Cet homme était
très préoccupé, comme souvent les espagnols, par
le problème non seulement de la vie mais aussi de la mort. La
mort, redoutée est en même temps, par moment, une sorte
de fascination.
On le voit dans la peinture espagnole de cette époque-là.
On comprendra mieux quelles seront les réactions de M.Servet,
souvent présenté comme un homme excessif alors qu'il a
été d'une originalité consommée. Nous sommes
tous excessifs à des degrés divers. Considérer
Servet comme quelqu'un d'excessif au point d'être en dehors de
toute norme est une erreur à ne pas faire. On est surpris de
voir les présentations qui sont données de Servet, parfois
même comme demi-fou. M.Servet est né sans doute à
Villeneuve d'Aragon, ou peut-être à Tulledasque, petite
ville d'origine de sa mère, en Navarre. Sa mère était
de la partie espagnole de Navarre et son père, de Villeneuve
d'Aragon où il était notaire. M. Servet est un enfant
prodige. A 14 ans il a un niveau intellectuel considérable. Aujourd'hui
on dirait un QI .Il avait des prédispositions prodigieuses et
une grande facilité pour assimiler toutes les connaissances de
son temps. C'était une chose encore possible à l'époque
de la Réforme et de la Renaissance, ou avec l'encyclopédie
de Diderot et d'Alembert. Puis c'est devenu de plus en plus problématique
et difficile. Il a fait des études de droit ; comme son père
était notaire il l'envoie à Toulouse (Toulouse, l'espagnole,
disait-on autrefois ). Il est très jeune, il a seulement 14 ans,
mais en même temps il va découvrir la Bible, et certainement
des écrits parmi les premiers de Luther. On n'a pas à
se poser la question de savoir s'il était protestant ou non :
il l'était. Mais on sait que tous ceux qui se rattachent au mouvement
anti-trinitaire sont toujours suspectés de toutes sortes de choses
et de ne pas être chrétiens, donc de ne pas être
protestants non plus. Il va rester à Toulouse. Le droit n'est
pas la profession qui l'attire le plus ; mais dans ce domaine, il avait
des compétences qui lui ont servi parfois dans ses nombreux démélés
avec la justice. Il va être appelé par sa famille à
beaucoup voyager, On peut présupposer à juste titre que
sa famille avait un minimum de moyens financiers. II va accompagner
l'aumônier de Charles Quint au couronnement de celui-ci. On va
Ie voir un peu partout à travers l'Europe : Lyon, Strasbourg,
Paris. Là, il va poursuivre ses études et être en
relation avec nombre d'érudits et d'humanistes de son temps.
Il connaissait beaucoup de gens de l'époque et était connu
d'eux. Par exemple, il rencontre le réformateur Oecolampade (1482-1531)
et a de grandes discussions avec lui à propos de la Trinité
déjà.
Les erreurs de la Trinité
Alors qu'il est à Strasbourg, il va publier un livre : “
des erreurs de la Trinité ” ( en latin). Il a réussi
à faire imprimer un très gros volume. Il a 20 ans. Cet
ouvrage est à la bibliothèque de la faculté de
théologie protestante de Montpellier. Le doyen J. Cadier m'a
dit : “ C'est un ouvrage épouvantable, mal écrit
dans un très mauvais latin. Dans ce livre il est dit que jusqu'à
l'âge de 20 ans, on ne pèche pas. Si c'était vrai,
jusqu'à l'âge de 20 ans on n'aurait aucune responsabilité
”.
Servet dit qu' on est vraiment responsable de ce qu'on fait lorsqu'on
est parvenu à l'âge de 20 ans. Il part du fait que dans
la Bible un passage de l'Ancien Testament, connu, dit qu'on ne tient
comme responsable, en une circonstance très précise de
l'histoire d'Israël, que ceux qui ont plus de 20 ans. Il y a toujours
une date de majorité, c'est simplement ce que voulait dire Servet.
On peut toujours en discuter. Pendant longtemps, jusqu'à l'âge
de 30 ans, on se mariait avec l'autorisation des parents. L'âge
de la majorité dépend des civilisations, des moeurs, des
époques. Faire un procès d'intention à Servet à
ce sujet, c'est ne pas être objectif. Ce qui caractérise
cet ouvrage c'est qu'il explique d'une manière claire (contrairement
à ce qu'on dit) que le dogme trinitaire, à partir du concile
de Constantinople, ne tient pas par rapport aux saintes Écritures.
L'argumentation qui est la sienne n'est pas si mauvaise. Il est vrai
qu'il réécrira un ouvrage appelé “ Dialogues
” une année après, disant “ l'année dernière
j'étais trop jeune, j'étais encore un enfant, maintenant
ce n'est plus le cas, alors je vais vous dire des choses différentes
” il dira exactement la même chose, mais en adoucissant le
ton. Il n'y a pas de différence entre les deux ouvrages qui maintenant
d'ailleurs, sont retirés de la circulation. Actuellement la censure
s'exerce. Pour trouver cet ouvrage, il faut aller à la bibliothèque
de la faculté de théologie de Montpellier. C'est tout
à son honneur de le posséder.
Médecine et théologie, à Lyon
Puis M. Servet s'oriente en direction de la médecine. Et tout
en étudiant la médecine, il est correcteur d'imprimerie
chez Frelon, à Lyon, grand imprimeur de l'époque (Il y
a un musée de l'imprimerie à Lyon, une des grandes villes
de France où l'imprimerie a eu une importance considérable).
Comme correcteur, il va rééditer la géographie
de Ptolémée avec des annotations savantes, qui, à
l'époque, sont considérées comme géniales.
Il savait très bien le grec, il avait appris l'hébreux
et on pense qu'il savait l'arabe.
Il écrit un traité sur les sirops, en 1537 (où
il prend parti pour la médecine grecque contre la médecine
arabe, ce qui lui aura des difficultés avec des médecins
en France qui eux, ont fait le choix contraire). Il écrit une
apologie d'un grand médecin lyonnais Symphorien Chantier, puis
en 1538, un traité sur l'astrologie (en réédition
récente mais confidentielle et difficile à se procurer).
Parmi les grands reproches qui lui sont faits, il y a celui de s'intéresser
de trop près à l'astrologie. Intérêt qui
peut surprendre.
A l'époque il n'est pas le seul à s'y intéresser.
Zwingli, par exemple s'y intéressait de très près,
au point que récemment, un coréligionnaire qui a soutenu
une thèse en Sorbonne, se réclame de Zwingli. L'astrologie,
à l'époque de Servet se confondait avec l'astronomie.
A la cour du roi de France, il y a eu des astrologues qui étaient
en même temps astronomes, jusqu'au règne de Louis XIV.
Un des rares bons points, en tant que protestant, qu'on puisse attribuer
à Louis XIV, est qu'il a supprimé cette charge d'astrologue
à la cour.
M.Servet s'oriente tout naturellement vers la médecine et est
connu de tous les médecins célèbres de son temps.
Il sera un disciple d'Ambroise Paré qui dira des choses sympathiques
à son sujet. On sait aussi qu'il a découvert la petite
circulation du sang. Il était apprécié à
Paris. A un moment donné, il a donné des cours de mathématiques
qu'il enseignait aussi quand on le lui demandait. Il a donné
des cours d'astrologie (La Sorbonne s'en est inquiétée)
et finalement, des cours de géographie. Pendant un temps, il
se fait oublier. A Lyon, il rencontre un homme qui avait suivi ses cours
de géographie et était devenu archevêque de Vienne,
ville ecclésiastique par excellence, où l'Eglise catholique
a récemment rétabli un évêque auxiliaire.
Servet devient le médecin attitré de l'archevêque,
logé dans une partie du palais épiscopal. On n'entend
plus parler de lui pendant une douzaine d'années. Il est honorablement
connu et même élu président de la Conférence
de Saint Luc (l'ordre des médecins de l'époque).
Séjour à Charlieu
Avant d'être à Lyon, il était près de Roanne
à Charlieu, où il est resté deux ou trois ans.
Là, il a eu des problèmes pas très clairs avec
la justice. Lors d'un interrogatoire, on lui pose toutes sortes de questions
dans le cadre de l'lnquisition. On le soupçonne de toutes sortes
de choses et d'abord, d'un passé mal défini.
Parmi ces questions : “ est-ce que vous avez envisagé
à Charlieu de vous marier ? ” Il répond “ oui
”. II a failli se marier à Charlieu, et y a finalement renonçé
parce qu'il pensait ne pas pouvoir avoir d'enfants. Il est confortablement
installé à Lyon, et ses détracteurs diront que
cet homme n'a pas le courage d'aller jusqu'au bout de ses opinions.
Il était espagnol. La Réforme en Espagne a été
complètement laminée par l'Inquisition. Par exemple, Jean
de Valdès, qui est une sorte de réformateur, (même
si, à certains égards, il ressemblerait davantage à
Lefèvre d'Etaples qu'à Jean Calvin sur le plan de prise
de position par rapport à la Réforme ) est obligé
de se réfugier à Naples où il aura des contacts
particulièrement intéressants avec le milieu anti-trinitaire.
Le berceau du milieu anti-trinitaire est l'anabaptisme. Un certain nombre
de cercles italiens, notamment du côté de Vicenza (Vicence
en francais) sont très importants. Jean de Valdes avait été
en relation avec Bernard Augineau, un des chefs de file de l'anti-trinitarisme,
lié à la famille Socin.
Séjour à Vienne
Michel Servet est installé à Vienne et mène aux
yeux de certains, une double vie, la façade : médecin
connu reconnu, protégé par l'archevêque de Vienne
et en même temps, auteur effectivement sulfureux pour l'époque,
qui entre en correspondance sous des pseudonymes (Michel de Villeneuve,
par exemple) avec Calvin qu'il avait croisé à Paris. En
1546, il écrit à Calvin. Toutes ses lettres se trouvent
au tome VIII des oeuvres complètes de Calvin. Toutes ces lettres
sont en latin, comme tout ce qui concerne M. Servet au XVIe siècle.
Très peu de ces pièces ont été traduites.
Dans sa correspondance avec Calvin, il lui envoie un certain nombre
de documents , assiège Calvin par toutes ses questions. Au début,
Calvin répond, puis se lasse au bout d'un certain temps. C'est
le cas de beaucoup de correspondants. Calvin voulait convaincre de la
vérité de ce qu'il avait à dire. Si le correspondant
se montrait récalcitrant, la correspondance s'arrêtait
progressivement. Quand il ne lui répondait pas, M. Servet assiégeait
les collaborateurs de Calvin, ses collègues, puis d'autres réformateurs.
Parmi le reproches qu'on lui a faits, il y a une lettre adressée
à Coupin, un des collègues de Calvin dans laquelle il
dit tout simplement que “ la Trinité est un cerbère
à trois têtes et que ceux qui croient à la Trinité
sont, de fait, des athées ”. Le XVIe siècle n'est
pas le siècle de la tolérance.
Il ne faudrait pas présenter M. Servet comme étant le
champion de la tolérance. Il y a eu un certain nombre de points
où il pouvait se montrer compréhensif. Calvin aussi, dans
certains cas, était quelqu'un d'assez compréhensif. Mais,
en 1546, Calvin connaissait tout cela et écrit à Guillaume
Farel : “ Si M. Servet venait, je ne supporterais pas qu'il en
sorte vivant ”. Il faudrait ajouter... s'il venait à Genève.
Servet est bien venu à Genève, mais en 1553, c'est à
dire 7 ans après, Faut-il nécessairement établir
un lien ? peut-être pas.
La Restitution chrétienne
Calvin l'invite à se reporter à “ l'Institution
Chrétienne ” où il trouvera une réponse à
toutes ses questions, que Calvin estime oiseuses. M. Servet prend la
décision d'écrire un ouvrage en réponse à
“ l'Institution Chrétienne ” qu'il a appelée
la “ restitution chrétienne ”. Ouvrage peu commode
à trouver : un exemplaire à la B.N. un autre à
la bibliothèque de Vienne, une copie du XVIe siècle à
la SHPF (rue des Saints Pères à Paris) puis, une reédition
en fac similé, à quelques exemplaires à partir
de l'ouvrage de Vienne en 1791.
Il a été offert à l'empereur Joseph d'Autriche
qui en a pris le plus grand soin et l'a fait mettre dans la bibliothèque
de Vienne (Autriche). Dans ce livre, on remarque une influence de Plotin,
de Philon d'Alexandrie, de Paul de Samosate (un des premiers anti-trinitaires
du IIIe siècle).
On a accusé M. Servet d'être panthéiste, comme
toutes sortes d'autres gens. D'après “ la restitution chrétienne
”, il y a le monde de Dieu, le monde des idées et puis le
monde des êtres. Le monde de Dieu, de temps en temps, pénètre
dans le monde des idées, et le monde des idées pénètre
à son tour dans le monde des êtres. Il y a donc une sorte
d'interaction. Tout cela semble se faire plus par émanation.
Certains passages sont très difficiles à traduire. M.
Servet conserve l'idée qu'il y a un Père, un Fils et puis
le Saint Esprit, mais il ne veut pas que ce soit des “ personnes
”. Il estime que le mot “ personne ” ne peut absolument
pas convenir, notamment au Saint Esprit. Ensuite, il pense que le Fils
est en fait le Logos,la Parole de Dieu qui s'est incarnée, mais
à un moment précis de l'histoire. Il y avait donc un moment
où le Fils n'existait pas.
On ne peut pas parler de “ l'égalité ” du
père et du fils car, de fait, si l'on parle de Père et
de Fils, nécessairement il n'y a aucune “ égalité
” concevable.
Parmi ce qui l'interesse, M. Servet refuse catégoriquement
le baptême des enfants. On voit le lien entre le mouvement anti-trinitaire
et l'anabaptisme.
De plus, il y a chez Servet, un élément mystique très
fort. Par moment ce qu'il dit n'est pas très clair, on ne voit
pas très bien le contour et l'objet de son étude. Mais
en même temps, il y a toujours chez lui un fond de rationalisme
parcequ'il estime que la raison est fille de Dieu. Sébastien
Castellion dira d'ailleurs la même chose. Il échappe par
ce biais à un certain illuminisme qui a parfois caractérisé
les milieux anabaptistes. Comment a-t-il réussi à faire
éditer la “ Restitution chrétienne ” ? Simplement,
à Vienne, en allant voir l'imprimeur Guiraud; en le faisant travailler
de nuit clandestinement : Et la “ restitution chrétienne
” est sortie à 8 000 exemplaires. Ce qui, pour l'époque
était beaucoup.
Tout le monde ne s'exprimait qu'en latin, dans les milieux théologiques.
Au moment où il a rencontré Luther en1529,à Marbourg
, Zwingli faisait assaut de citations grecques. Luther en a eu assez
: “ Ne peux-tu pas parler en latin, comme tout le monde ? ”.
L'entreprise de cette publication était bien montée.
Une partie restait autour de Lyon, des ballots allaient sur Paris d'autres
en direction de Bâle et de l'Allemagne. Bâle a toujours
été la ville d'une très grande ouverture théologique.
Le procès
Nous en venons à un moment absolument tragique : les procès,
Un premier procès a lieu à Vienne. Il est immédiatement
arrêté et mis en prison. Il s'évade, grâce,
sans doute, à la complicité de la fille du gouverneur
de la prison qu'il avait soignée. Puis il disparaît et
il est condamné par contumace. On a seulement brûlé
ses livres. On fait même venir un boulanger pour assister à
la combustion.
Puis, survient une histoire lamentable entre deux cousins. Guillaume
Detri, devenu protestant s'était réfugié à
Genève et vivait dans l'entourage de Calvin. Arnoud, qui vivait
à Lyon, était resté catholique. Arnoud écrit
à son cousin Detri “ ce qui est lamentable à Genève,
c'est la décadence morale et religieuse ”. A ce moment là,
Guillaume Detri, piqué au vif dénonce un affreux esprit
anti-trinitaire qui se trouve à Vienne. D'où le procès
de Vienne. A ce premier procès, il semblerait qu'un certain nombre
de pièces qui étaient entre les mains de J. Calvin, aient
été transmises à l'Inquisition de Vienne par l'entremise
de Guillaume Detri. Certaines de ces pièces seraient des textes
imprimés. Ce qui est sûr, c'est que dans les actes du procès
ecclésiastique à Vienne, il est question d'un certain
maître J. Calvin, prêcheur à Genève. Les documents
viennent de là.
Comment ont-ils réussi à se trouver entre les mains
de l'Inquisition, en vue d'un procès en hérésie
? Ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître. Tous
ceux qui sont partisans de Calvin, tirent la couverture dans le sens
de Calvin et tous ceux qui préfèrent Servet, vont dans
le sens de M. Servet. On ne sait pas d'une façon certaine ce
qui s'est passé si ce n'est que des documents qui étaient
entre les mains de Calvin, se sont retrouvés d'une manière
ou d'une autre à l'inquisition de Vienne.
Là dessus, M.Servet veut probablement rejoindre l'Italie qui
est encore à ce moment là, un peu la terre d'élection
des anti-trinitaires. Pour cette destination, il fait le crochet par
Genève. Il descend à l'hôtel et va assister au culte
au temple de la Madeleine où prêche Calvin. Ceux qui n'allaient
pas au culte, à cette époque, étaient repérés
plus que ceux qui y allaient. Malheureusement il a été
repéré et dénoncé. Le secrétaire
de Calvin accepte d'être arrêté avec lui. Quand on
accusait quelqu'un, celui qui accusait, tant que la preuve n'était
pas faite, allait en prison avec celui qu'il accusait.
La suite ? Un procès lamentable. Un homme jeté dans
une prison sordide. On le laisse sans possibilité pendant longtemps
d'avoir du linge de rechange. Puis on lui donne autant de papier qu'il
veut et tous les livres qu'il veut. Il fait venir des ouvrages d'Irénée
; on lui apporte tout cela parce que c'est un procès en hérésie.
L'hérétique, à ce moment, est le personnage le
pire que l'on puisse imaginer. Théodore de Bèze, Calvin,
Servet, Castellion sont des hommes de la Renaissance et de l'humanisme.
Ils sont aussi des hommes du Moyen-âge. Tuer le corps, mérite
un châtiment exemplaire, mais tuer l'âme de quelqu'un est
pire que tuer le corps. L'hérétique en tuant l'âme
est plus coupable que celui qui accomplit un crime de sang. Il est plus
dangereux : il risque d'infecter la population.
Castellion s'expliquera là-dessus dans son “ traité
des hérétiques ” et dans un second traité
“ contre le libelle de Calvin ” qui ne sera imprimé
qu'en 1612, bien après la bataille.
Sébastien Castellion défend le cas de Servet ; il écrit
: “ je ne suis pas d'accord avec toutes les idées de Servet,
mais il a le droit d'exprimer les idées qui sont les siennes...
” Castellion dit un peu la même chose que Voltaire qui a
dit : “ Même si je ne suis pas d'accord avec ce que vous
allez me dire, je suis prêt à mourir pour que vous ayez
la possibilité de le faire... ”
C'est sans doute, l'une des plus belles citations que l'on puisse
faire de Voltaire. Il ne faut pas confondre l'hérétique
avec le blasphémateur. Le blasphémateur choque ceux qui
sont à l'extérieur et qui regardent, mais l'hérétique
est celui qui ne pense pas comme nous. M. Servet a la passion de la
vérité.
L'émergence de la tolérance
Avec Castellion, bien que ce ne soit pas le siècle de la tolérance,
nous avons les premiers livres qui vont dans le sens de la tolérance.
La tolérance est une attitude difficile à acquérir.
Au XVIe siècle, le monde n'y arrivera pas. La question que nous
pouvons nous poser aujourd'hui : Quelle est pour nous, notre passion
de la vérité ? Jusqu'où sommes nous prêts
à aller pour que la vérité puisse apparaître
telle qu'elle nous apparaît dans la vie ? Dans l'A.T., le mot
vérité désigne ce qui est solide, ce qui est stable,
sur quoi l'on peut tabler, s'appuyer. Dans le Nouveau Testament la vérité
est ce qui apparaît en trait de lumière. Cette vérité
qui nous affranchit, c'est à dire qui nous donne la vraie liberté.
Elle nous permet de sortir de toutes nos entraves qui nous éloignent
de Dieu,qui nous éloignent parfois de nous mêmes et aussi
de notre prochain. Pour Castellion, tous les croyants monothéistes
n'ont aucune raison de se traiter d'hérétiques les uns
les autres. Il faut seulement s'écouter. Même chez les
plus tolérants, la tolérance a des limites, un seuil de
tolérance que l'on ne dépassera pas. Pour chacun d'entre
nous, il y a le même problème aujourd'hui. Malgré
nos convictions, nos principes, notre idéal, il y a un moment
où l'on se heurte à une barrière, où l'intolérance
va nous gagner, nous envahir. Par exemple, dans le dernier traité
de Castellion, découvert en 1939 à la bibliothèque
des Remonstrants d'Amsterdam, il y a deux textes, l'un en latin très
long, l'autre en français (la traduction française n'est
pas de lui) qu'il a annoté et rectifié sur les 2/3 environ.
Castellion est compréhensif vis à vis des chrétiens
qui sont considérés comme anti-trinitaires ou hérétiques
de la foi chrétienne, des mahomettants et même dans une
certaine mesure, des païens. En revanche, il n'accepte pas les
athées, ceux qui remettent en cause “ le grand principe
de la moralité publique ” parce que “ la loi de l'Eternel
a été gravée dans le coeur de tous les hommes ”
(Jérémie 31). Par conséquent, tous les hommes quels
qu'ils soient ont une connaissance naturelle de Dieu minimale.
Donc, celui qui ne croit pas à l'existence d'un créateur,
celui qui ne croit pas à l'existence du Christ et celui qui ne
croit pas à l'immortalité de l'âme, est exclu du
cercle de la tolérance, ainsi que les relaps qui ont eu le privilège
d'être chrétiens, puis ont changé d'avis. On peut
concevoir que le magistrat s'intéresse à leur sort, mais
dans ce cas, le magistrat ne doit pas le condamner à mort mais
le bannir.
Le bannissement était comme l'excommunication au Moyen-âge.
L'excommunication signifiait que le boulanger ne vous donne pas de pain.
Pas moyen de trouver quoi que ce soit à louer. Vous êtes
rejeté et donc obligé d'aller de plus en plus loin avec
votre réputation qui parfois vous précède. C'est
une situation épouvantable. Le XVIe siècle n'est pas le
siècle de la tolérance. Elle émerge avec un homme
comme Pierre Bayle (1647-1706), professeur de philosophie à l'académie
protestante de Sedan, qui réclamait le droit à l'erreur.
Il a parlé de “ la conscience errante ”.
Le supplice
M. Servet est condamné à mort.On le conduit à
Champel. Il est accompagné par Guillaume Farel qui n'obtient
aucune rétractation. II a un port très noble, très
digne au milieu des flammes. Le supplice a duré une demi-heure
à peu près. On entendit une voix qui criait “ Jésus-Christ,
Fils du Dieu éternel, aie pitié de moi ”. S'il avait
dit “ Jésus-Christ, Fils éternel de Dieu... ”,
il n'y aurait pas eu de procès et il aurait eu la vie sauve.
Voilà ce qu'est aussi la force des idées.
Philippe
Vassaux
Notes de la version enregistrée de la conférence de
Philippe Vassaux à Agde en 2002, transcrite par Nicole Nougarède,
mises en forme de style écrit par Solange et Christian Mazel
Sur la position de Calvin, nous donnons
cet extrait de son grand biographe :
A peine l'arrêt était-il rendu, que Calvin se hâta
d'écrire à Farel et dans sa lettre, se trouve cette
phrase très importante : “ Demain Servet sera conduit
au supplice : nous nous sommes efforcés de changer le genre
de mort, mais en vain. Je te dirai de vive voix pourquoi nous n'avons
rien obtenu (cur nihil proficeremus) ”.
“ Le Réformateur genevois disait à son confrère
Farel que ses collégues et lui avaient fait tous leurs efforts
pour changer la nature du supplice de Servet, et pour substituer le
glaive au feu. Le motif de cette démarche était sans
doute de ne pas user des mêmes moyens qu'employait l'inquisition
romaine envers les hérétiques et les protestants, et
de ne pas recourir à des instruments de supplice devenus odieux.
La Seigneurie (de Genève) n'entra pas dans ses vues. Le droit
canonique condamnait au feu les personnes convaincues d'hérésie.
Le Petit Conseil obéit à l'usage, et la coutume juridique
déjà suivie par les juges de Vienne, l'emporta sur la
demande de Calvin. C'est à lui pourtant, qu'on a toujours fait
un crime de ce bûcher, qu'il voulait qu'on ne dressât
pas ” (Rilliet, p III)
Extrait de “ Jean Calvin ”,
Emile Doumerque VI, p.354
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sommaire du N°
L'Église à la croisée du consentement et de l'espérance,
par Raphaël Picon
Le Dieu de Jésus-Christ est
donc un Dieu qui se donne et qui se rend, qui “ aime le monde ”
comme le dit la Bible. Ce Dieu qui, en s'incarnant, fait de la communauté
humaine sa propre affaire, son espace de révélation, livre
son approbation au monde dans l'Evangile lui-même. II n'est qu'à
le relire pour être saisi par la force libératrice qui anime
Jésus. Ses mouvements incessants, c'est particulièrement
vrai dans l'Evangile de Marc, sont toujours des mouvements de reconnaissance.
Ils dessinent les contours invisibles d'une communauté d'hommes
et de femmes qui sont enfin devenus des hommes et des femmes reconnus,
c'est-à-dire possibles, tout simplement. Des êtres qui peuvent
être, tels qu'ils sont. Jésus incarne dans l'histoire ce
Dieu porté par le souci de nous tous, mais d'un nous tous qui commence
par chacun.
En se laissant ainsi actualiser à l'intérieur même
du monde, Dieu le rejoint et l'approuve. Mais ce consentement au monde
est en lui-même un acte d'espérance, la recherche insatiable
d'une autre chose, le désir d'un autrement.
Rejoint par Dieu, le monde se trouve porté et valorisé
comme étant travaillé de l'intérieur, dans sa profanité
même, par la transcendance, par une instance de possibilité
proprement inattendue qui ouvre 1e réel sur de nouvelles possibilités.
C'est aussi cette dynamique qui fait de l'Evangile ce qu'il est, la
Bonne Nouvelle du refus de la fatalité, de l'impasse, du dernier
mot. L'Evangile, et son Jésus en tête, trouble ici le monde
dans ses conformismes et ses complaisances, et le déplace ailleurs.
Certes, cette dynamique transcendantale n'est pas identifiable à
ce qui est. Dieu n'est pas, en soi, cette créativité dont
on sait bien le caractère ambigu, capable qu'elle est du bien comme
du mal, de la vérité comme du mensonge. Cette identification
ferait de Dieu le seul répondant de l'état du monde, tout
serait aux commandes de son souffle. Mais, tout à la fois dans
le monde et distant du monde, Dieu y passe, s'y fait entendre et croire.
Ce Dieu qui se livre réellement, dans le réel, ouvre l'accès
à sa propre crédibilité. En se donnant, Dieu se donne
à croire. C'est ce qu'a bien compris le théologien Bultmann
lorsqu'il écrit dans son article intitulé L'idée
de Dieu et l'homme moderne : “ L'idée d'un Dieu qui est au-dessus
ou au delà du monde est impensable, ou bien se pervertit en une
religiosité qui voudrait fuir le monde. Non, seule est acceptable
pour l'homme moderne la conception de Dieu selon laquelle on peut trouver,
chercher et trouver comme une possibilité de rencontre l'Absolu
dans le relatif ”. En disant oui au monde, en l'approuvant, Dieu
nous offre ainsi la possibilité de lui dire oui et de croire en
une possible transcendance.
Croire, revient alors à croire en la possibilité réunie
de consentir et d'espérer. De dire oui au monde parce qu'il est
travaillé par la transcendance et de chercher ailleurs parce que
(a transcendance ne s'épuise pas dans le monde. C'est alors, comme
l'écrit Paul Ricoeur dans son ouvrage intitulé “ du
volontaire et de l'involontaire ” que “ l'implication de la
Transcendance dans l'acte du consentement prend une figure toute nouvelle
: l'admiration est possible parce que le monde est une analogie de la
Transcendance ; l'espérance est nécessaire parce que le
monde est tout autre que la Transcendance ”.
Le consentement devient possible par l'espérance. Je peux en
effet accepter ce qui est, parce que je crois qu'autre chose peut encore
advenir. Sans l'espérance et devant la terreur du monde le consentement
serait impossible par excès de réalisme ou intenable par
excès d'illusion. Espérer un autrement, témoigne
des limites propres au consentement, du caractère limité
de l'approbation du monde, d'une insatisfaction à son endroit.
Tout n'y est pas merveille. Et, en même temps, ce sont ces limites
mêmes qui rendent possible l'approbation, qui permettent de consentir
au consentement, parce que ces limites propres rejettent tout autant la
désespérance que la satisfaction.
Cette polarité du consentement et de l'espérance se trouve
donc provoquée par la transcendance elle même dans le rapport
paradoxal de proximité et de rupture, de distance et d'intimité,
qu'elle entretient avec le monde.
De théologique, cette polarité peut aisément devenir
ecclésiale, ou du moins, instruire la réflexion sur le rôle
de l'Eglise.
Dès lors en effet que l'Eglise se comprend comme un événement
de Parole, et alors que l'Eglise, dans sa dimension visible, s'ouvre comme
le lieu d'une mise en récit de cette Parole fondatrice, de sa mise
en scène liturgique et de sa mise en acte diaconale, l'Eglise devient,
elle-même une instance d'approbation et d'interpellation, de consentement
et d'espérance.
Car c'est bien à l'Eglise qu'il revient d'instruire le monde
de son approbation par Dieu, c'est bien à l'Eglise de servir cette
reconnaissance première et offerte. Ce qui de l'autre est reconnu
dans l'Eglise, c'est qu'il est déjà nommé, béni,
reconnu, sauvé, gracié. L'Eglise est le lieu de cette reconnaissance
partagée, mise en récit par chacun et mise en commun. Et
bien-sûr, la Réforme nous le rappelle, ce n'est pas à
l'Eglise qu'il convient de reconnaître, mais de reconnaître
la reconnaissance.
En ayant, en effet, renoncé à conditionner le salut et
à codifier la foi juste, l'Eglise de l'ecclésiologie réformée
témoigne du fait qu'elle ne peut pas capter la transcendance, l'objectiver,
la posséder. Et se faisant, elle traduit l'impossibilité
qui est la sienne d'identifier au sein de la communauté humaine,
ceux qui sont de Dieu et ceux qui n'y sont pas. Dans ce sens, le refus
de toute instrumentalisation institutionnelle de la Révélation
fonde la condition d'un vivre ensemble. D'un vivre ensemble possible car
on ne sait pas qui est sous la grâce et qui ne l'est pas. Le non
savoir, la non identification de la grâce, rend possible une reconnaissance
de tous, tous étant dès lors, potentiellement, sous la grâce.
L'Eglise traduit le consentement de Dieu à travers la reconnaissance
et rappelle l'espérance en se risquant à l'interpellation.
Car l'Eglise est aussi attendue pour distribuer à tous, patiemment
et inlassablement, la possibilité d'une espérance. Au bout
de la nuit du monde, quelque chose est attendu, désiré,
aimé. Tout ne s'épuise pas dans la finitude de nos existences.
Cette passion du possible, cette quête de la Transcendance, cet
amour de Dieu, c'est à l'Eglise de la dire, de la communiquer et
de la donner en partage.
Et c'est ainsi, au coeur du consentement et de l'espérance que
l'Egfise se construit comme un théâtre. Un théâtre
où se mettent en récit et en scène des expériences
à chaque fois singulières de saisissement de l'ultime. L'Eglise
est ce théâtre qui permet à chacun d'apparaître,
de se révéler, d'être reconnu tel qu'il est. Sur la
scène de ce consentement se dit aussi l'espérance folle
qui l'autorise pleinement : demain, une aube nouvelle.
Raphaël
Picon
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sommaire du N°
La Bible des maçons, par Daniel
Ligou
Dans le “ cahier ” (n° 223) de novembre 2002 (N° 158)
nous avons commencé à publier une étude du grand
spécialiste fançais de l'histoire des francs-maçons
; l'importance de la Bible chez les F.-M., la manière dont elle
est utilisée lors des cérémonies (“ instruments
”), les différences de références à la
Bible chez les Français, les Européens et les Anglo-saxons.
Nous continuons cette étude conduite par Daniel Ligou, professeur
honoraire à la faculté des Sciences Humaines de Bourgogne
(Dijon).
Comment la Bible est-elle utilisée en maçonnerie ?
On la trouve d'abord dans l'histoire ou dans la pseudo-histoire de l'ordre
- ou du métier de constructeur - qui s'est transmise, en s'affirmant,
du XIIIe siècle (et même sans doute auparavant) à
nos jours. Ensuite par l'existence de “ légendes ” rattachées
à la trame historique biblique, enfin par les “ mots ”.
Mais le “ biblisme ” n'est pas seul en cause. Au XVIIIe siècle,
il interfère avec la Kabbale que l'on connaissait assez bien depuis
la Renaissance, l'alchimie la plus traditionnelle, une tradition d'ésotérisme
chrétien qui pouvait remonter au Moyen Age, les légendes
chevaleresques imaginées par Ramsay et templières introduites
par Hund, la théosophie de Mertinès de Pasquallis et de
Claude de Saint-Martin.
Au Moyen Age
Le récit légendaire - c'est-à-dire les “ antiquités
” de l'Ordre - s'est développé à travers les
“ Old Charges ” jusqu'à Anderson qui lui a donné
sa forme définitive. Le manuscrit “ Regius ” se contente
d'Euclide (ce qui prouve qu'il a été rédigé
par un clerc) et du roi saxon Athelstan. Le “ Cooke ” est plus
complet, fait intervenir l'Ancien Testament, et lui seul, à grands
coups d'expressions empruntées à Isidore de Séville
ou à Bède le Vénérable et évoque une
succession Adam, Enoch, Tubal Caïn, le Déluge, Noé,
La Tour de Babel, Abraham (qui apprit la géométrie à
Euclide !), David, Salomon. Puis, on passe en France avec Charles II (Charles
Martel ou Charles le Chauve) et en Angleterre avec Athelstan.
Bien entendu, le récit fourmille d'anachronismes, mais l'essentiel
y est : l'existence du “ métier ” depuis la création
du monde, la lignée des Patriarches, leur liaison avec la science
profane (ici Euclide), les rois bâtisseurs d'Israël. Après
quoi, on passe assez brutalement à la France carolingienne et à
l'Angleterre par un saut de plus de 1500 ans ! Or, ce récit du
manuscrit Cooke, quelle que soit son incohérence, est le texte
de base des “ Old Charges ”. Celles-ci se transmettront jusqu'à
Anderson : Adam et sa descendance directe, Noé, la Tour de Babel,
Abraham, Salomon sur le plan biblique, Euclide, Charles de France et Athelstan
d'Angleterre sur le plan profane. Mais le récit se complétera
par l'interférence de l'Arche d'Alliance, des deux colonnes antédiluviennes,
du Temple de Zorobabel, et, sur le plan profane, de Pythagore, d'un obscur
Naemus Graecus ou Grenatus et des Phéniciens (appelés parfois
vénitiens !) qui font la liaison entre Zorobabel et le grand-père
de Charlemagne.
Anderson et l'Ancien Testament
Tout ce matériel, dans l'ensemble homogène, devait être
mis en oeuvre de façon rationnelle, au moment où la maçonnerie
cessait d'être affaire de gens de métier pour devenir affaire
de gentlemen qui connaissaient leur Bible et avaient quelque teinture
d'humanisme. C'est Anderson qui se chargea de la tâche. Il savait
des Ecritures - ce qui est la moindre des choses satisfaisante. Aussi,
le révérend a-t-il réalisé un récit
cohérent, strictement scripturaire, ne laissant aucune place aux
légendes, en harmonie, et avec la “ chronologie ” adoptée
par les Eglises anglaises à l'aube du XVIIIe siècle, mais
aussi avec ce que l'on savait de l'Orient ancien. Les anachronismes disparaissent,
grâce à un cadre de dates précis et relativement exact
- au moins depuis la “ vocation ” d'Abraham - et le récit
est conduit selon les schémas bibliques d'Adam à Zorobabel.
L'“ histoire sainte ” s'arrête au deuxième temple
et c'est là une constante des “ Old Charges ” qui font
passer le relais de Jérusalem aux Carolingiens comme elles peuvent
et d'une manière parfois saugrenue.
Au contraire, le pasteur voit nettement le flambeau passer à
l'histoire biblique au monde mésopotamien et grec dont les architectes
sont issus en droite ligne de l' “ école de Jérusalem
”, c'est-à-dire des élèves de “ Maître
Hiram ” et dont les techniques passèrent ensuite à
Rome et à l'Occident. Ezéchiel, le Temple d'Hérode,
le Nouveau Testament sont totalement occultés. Le Christ est cependant
mentionné comme “ Grand Architecte de l'Eglise ”.
Le Nouveau Testament
La trame de l'histoire légendaire de l'ordre est donc vétéro-testamentaire
et le restera. Cependant, le XVIIIe siècle verra s'introduire le
Nouveau Testament, essentiellement sous la forme de la Rose-Croix, où,
sur les données scripturaires, viennent interférer des éléments
de mysticisme luthérien, du Rite écossais rectifié
qui s'affirme ouvertement “ maçonnerie chrétienne ”,
de quelques hauts grades de la maçonnerie anglo-saxonne ou dans
le “ Templarisme ”.
Il est permis de se demander pourquoi le Nouveau Testament est si parfaitement
absent dans la légende historique ancienne et très réduit
encore de nos jours. Peut-être faut-il faire intervenir le fait
que le Nouveau Testament ne compte guère de “ bâtisseurs
” ni de textes permettant la naissance d'une tradition, d'une légende
ou d'un rite. Le teknon de Nazareth, Joseph, est bien passif, aucun des
apôtres n'était du “ bâtiment ”. La pierre
dans le texte est envisagée négativement - Jésus
annonce la destruction (Matth., 24, 2 ; Mc 13, 2 ; Lc 21, 6) du temple
- ou symboliquement comme corps du Christ (Jn 2, 21) ou comme chrétiens
(I Cor. 3, 16, 17 ; II Cor. 6, 16 ; Apoc. 3, 12, etc), sauf lorsque apparait
Apoc 21, 1-27) la Jérusalem céleste, d'ailleurs modestement.
Rien en tout cas de comparable avec l'Arche de Noé, le Tabernacle
de Moïse et surtout les Temples de Salomon et de Zorobabel. Cette
explication nous parâit un peu “ simpliste ”. peut-être
pourrions nous faire intervenir je ne sais quelle influence cléricale,
plus respectueuse du Nouveau Testament que l'Ancien relayée par
le protestantisme, ennemi né de la thèse “ par laquelle
les papistes tâchent de maintenir que Dieu a donné puissance
à l'Eglise de forger nouveaux articles de foy ” (Calvin).
La question mérite, en tout cas, d'être posée.
Les légendes bibliques
Arrivons-en aux “ légendes ”. C'est un des caractères
les plus originaux du Craft, caractère qu'il partage avec le compagnonnage,
d'insérer, dans la trame même du récit plus ou moins
historique, tel qu'il est énoncé par les clercs, de l'anonyme
du “ Regius ” au Révérend Anderson, des “
légendes ” para - ou pseudo - bibliques.
Le principe et le développement en sont simples : on prend un
personnage mentionné dans la Bible (ou les “ Old Charges ”)
et on lui attribue toute une série d'aventures. Mutatis mutandis,
ce sont les légendes épiques du Moyen Age : La Chanson de
Roland en face d'Eginhard. Bien entendu, aucun frère n'a jamais
vraiment cru que l'architecte Hiram avait été tué
par les trois mauvais compagnons à qui il avait refusé la
maîtrise, ou que Phaleg, l'architecte de la Tour de Babel, saisi
de remords, s'était retiré dans les brumes du Brandebourg.
Anderson sait distinguer : il suit la trame de l'histoire biblique et
profane, mais ne mentionne nulle part ces légendes dont certaines
sont très anciennes mais qui, jugeait sans doute Anderson, n'avaient
rien à faire dans un récit sérieux. A peine mentionne-t-il
- mais en pouvant s'appuyer sur le prêtre babylonien Bérose
et l'historien juif Josèphe - et seulement on note, la légende
des “ deux piliers ” édifiés par “ le pieux
Enoch ”. Il ne saurait être question dans ces quelques pages
de disserter doctement et longuement sur l'origine de ces légendes.
Certaines paraissent dater du mitan du siècle, d'autres, issues
du monde profane, se sont insérées dans la trame de la progression
des grades maçonniques, d'autres, venues du fond des âges,
se sont plus ou moins adaptées à ce nouveau milieu, enfin
un certain nombre témoignent d'interférences et sont, par
conséquent, susceptibles d'interprétations diverses selon
l'optique de l'intéressé.
Bien entendu, nous laisserons à l'écart tout ce qui est
“ para-maçonnique ”, c'est-à-dire n'a pas cherché
à rentrer, ou n'a pas pu rentrer dans l'organisation classique
de l'Ordre, par exemple les légendes compagnonniques, celles de
la maçonnerie “ du bois ” chère à notre
collègue Brengues ou, plus banalement, les peu connus “ Abelites
” voués à l'exaltation du malheureux fils d'Adam.
Daniel
Ligou
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sommaire du N°
Deux credo pour notre temps
Credo concret
Voici un credo qui, brièvement et en des termes simples et
bibliques, résume l'essentiel de notre foi en Dieu, et notre
référence à Jésus, premier né des
fils de Dieu, ce qu'ont été sa vie, sa mort et sa résurrection
et son appel à le suivre pour être heureux.
Je crois en un Dieu source de
vie et d'amour
Qui nous a créés hommes et femmes à son image.
Je crois en Jésus de Nazareth
Premier-né des fils de Dieu.
Il a aimé tout homme et toute femme,
Il a été attentif aux faibles et aux méprisés.
Il a lavé les pieds de ses disciples.
Il a partagé le pain et le vin.
Et nous a demandé d'en faire autant.
Comme symbole d'une vie de partage.
Plutôt que de trahir son message,
Il a préféré se laisser mettre à mort.
Mais il vit d'une autre vie
Et nous appelle à le suivre
Vers une vle d'amour sans fin.
Je crois à l'Esprit de Dieu
Qui nous inspire tout au long de notre vie
Pour vivre la communion des disciples de Jésus.
Credo christocentrique
Pour dire l'essentiel de notre foi dans les années 2000
et dissiper certains malentendus de notre temps, on pourrait commencer
par Jésus qui nous a révélé le Père,
puis dire l'essentiel, à quoi cela nous engage.
Je crois en Jésus de Nazareth, qui a vécu en frère,
en étant attentif aux plus humbles ; il a lavé les pieds
de ses disciples et il a partagé le pain et le vin. Plutôt
que de trahir son message, il s'est laissé mettre à
mort. Mais il vit toujours d'une autre vie. Pour notre accomplissement,
il nous a demandé de nous aimer les uns les autres comme il
nous a aimés.
Je crois au Dieu que Jésus nous a révélé
comme Père, source d'amour, de bonheur et de vie, ici-même
et au-delà de l'espace et du temps. Il nous confie le soin
d'achever l'édification d'un monde fraternel, au service les
uns des autres.
Je crois à l'Esprit qui nous éclaire et nous inspire.
Je crois à la communion des hommes et des femmes qui se veulent
fidèles disciples de Jésus.
Extrait du livre “ Je crois parfois
autrement ” de Paul Abela (p.10)
Merci de soutenir Évangile & liberté
en vous abonnant :)
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