articles du N° 165 - Avril 2003
( sommaire
)
Éditorial : La violence et les violences publiques
La violence est inscrite dans les
lois de la nature. Elle fait partie de son fonctionnement. A ce titre,
nous ne pouvons pas totalement nous en extraire. Nous vivons tous de
la mort des autres, ne serait-ce que biologiquement. L'humanité
émarge pour une part aux lois de la nature qui sont celles de
la jungle. Pour cette raison, les chrétiens gnostiques déclaraient
que le Dieu de l'Evangile ne pouvait pas être à l'origine
de telles conditions d'existence.
Sans doute, honorer sa condition d'homme, c'est progresser sur la
voie de la maîtrise de ses pulsions négatives, donc néfastes
pour soi et pour les autres. Ce constat ne contredit pas le fait qu'il
existe des êtres naturellement bons, donc respectueux et soucieux
des autres sans efforts, ni le fait que l'amour le plus authentique,
dans certaines circonstances, n'exclut pas des formes de violences.
.
Les violences publiques ont des causes et des modalités diverses.
Certaines sont plus remédiables que d'autres. La classification
qui suit n'en est qu'indicative. Un législateur avisé
devrait en faire un listing plus rigoureux. Il y a donc :
- Les violences des déséquilibrés ou des cyniques.
Elles peuvent faire suite à une contrariété importante
et traduisent souvent une grande souffrance. Parfois, elles sont sans
cause apparente. Elles concernent les tireurs-fous, ceux qui agressent
pour faire parler d'eux, tel l'auteur du coup de couteau dont le maire
de Paris a été victime. En partie, les viols et les tournantes.
- Les violences crapuleuses. Elles visent les enlèvements d'enfants
et d'adultes pour obtenir une rançon. Elles concernent aussi
les trafics de drogue, de prostitution et de pédophilie.
- Les violences des idéologies sans compromissions. Elles émanent
des vrais terroristes : les brigades rouges, le mouvement Al Qaïda,
tous ceux qui, à tort ou à raison, considèrent
qu'ils n'ont plus leur place dans notre société et qui
ne voient pas d'autre moyen pour faire entendre leur protestation que
de tout casser.
- Les violences portées en soi et générées
par certains systèmes politiques. De ce nombre, on peut évoquer
le stalinisme, le régime des taliban, l'Inquisition. Elles sont
instaurées ou crées par le capitalisme (se reporter aux
Raisins de la Colère de John Steinbeck), par des idéologies
totalitaires et la bureaucratie d'état qui en est la conséquence
(voir les citations de Camus et de Steinbeck, à la page 2 et
11).
- Les violences des opposants qui n'ont pas d'autre moyen pour se
faire entendre. Ce sont les violences des non-violents ( Gandhi ou Martin
Luther King ) ; mais aussi certaines grèves, le mouvement de
José Bové ou les intifadas palestiniennes.
.
Socialement, que suggérer ? Il ne faut pas vouloir instaurer
un ordre moral ou une société vertueuse par la loi, tels
la Genève de Calvin ou les systèmes communistes durs.
Il ne faut pas non plus une morale à deux vitesse : que les
dirigeants de nos sociétés puissent frauder en toute impunité,
tel cet ancien ministre déclarant publiquement et sans aucune
gêne que les sanctions aux infractions au code de la route ne
concernent pas les gens de sa condition.
Il est des formes de violences que la prévention peut éviter
et, malheureusement, d'autres pour lesquelles c'est peu probable. Dans
l'attitude à adopter à leur égard, le souci civique,
le discernement et la volonté de s'adapter aux différentes
situations doivent être prioritaires. Prudents comme les
serpents et simples comme les colombes , disait Jésus.
Sans nous poser en modèles de vertus, soyons également
honnêtes envers nos engagements privés et publics, pour
les honorer ou nous en démettre. Individuellement et collectivement,
ayons le souci du droit des autres, notamment des pauvres et des petits.
A terme, c'est le moteur le plus efficace contre la violence. Dans toute
la mesure du possible, créons des conditions de vie qui remédient
aux différentes formes de violences, sauf, malheureusement, les
violences essentiellement maladives et crapuleuses.
.
L'amour n'est jamais doucereux et cauteleux. Dans ce monde, il est
parfois obligé de s'opposer, de contester et de provoquer.
Je suis venu apporter l'épée et non la paix , dit
Jésus (Matthieu X 34) et encore : S'ils m'ont persécuté,
ils vous persécuteront aussi (Jean XV 20). La Croix nous
rappelle, s'il en est besoin, que l'épanouissement harmonieux
n'est pas seul de mise aujourd'hui.
Pourtant, l'amour est toujours d'intention généreuse
et pacifique. C'est là son identité profonde, même
lorsqu'il parle de révolution : Le loup habitera avec
l'agneau... et le lion comme le boeuf mangera de la paille (Esaïe
XI 6 et 7).
Il est des violences accoucheuses d'aurores nouvelles. On les reconnaît
à leur finalité et aux moyens mis en uvre pour qu'elles
adviennent.
L'aurore du jour de Pâques appelle, justifie et annonce toutes
les aurores.
Pierre-Jean
Ruff
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La violence de Pâques
la violence de vivre
Dans la Bible, la plupart du temps,
la violence est attachée à ceux qui combattent Dieu. Elle
est le signe de l'Ennemi, du Péché, du mauvais chemin
emprunté (ex : ... jusqu'à maintenant on attaque
le Royaume des cieux avec violence, et les gens violents cherchent à
s'en emparer Mat 11,12). Le comble de cet indicible de la violence
est bien sûr toute la passion de Jésus et sa mort sur la
Croix, qui place chacun d'entre nous en face du reflet de ce qu'il a
de plus lâche, d'intolérant, de terrifiant.
Et pourtant il me semble que le récit que les quatre évangiles
nous font du récit du matin de Pâques est aussi empreint
d'une grande violence. Brutalité de la découverte du tombeau
vide qui saute à la figure de celles et ceux qui le découvrent.
Irruption brutale d'une réalité Autre qui vient faire
exploser tous les schémas. Expérience extrême dont
on sent bien qu'elle n'a jamais réussi à être contenue
dans des mots, fussent-ils étalés en 27 livres dans un
livre réputé saint. Violence faite à la logique,
à l'histoire, à la religion.
A la violence qui est source de Mort, est opposée il me semble
une autre violence, tout aussi grande, qui est source de Vie.
Alors, je ne crois pas que l'inverse de la violence soit la non-violence,
le dialogue, le consensus. Et je ne crois pas non plus que la violence
soit forcément porteuse de mort et la parole porteuse de vie.
Non. Il y a des paroles qui détruisent aussi efficacement qu'une
mine. Il y a des consensus qui brisent toute espérance. Il y
a des violences qui sont jaillissement de la Vie.
Mais ce qu'il y a, par contre, c'est cette ambivalence, justement,
au coeur même de chacun d'entre nous. Ce corps à corps
de la mort et de la vie qui s'entremêlent en un combat qui bien
souvent semble être sans issue. Ce qu'il y a, par contre, c'est
à entendre ce qui se dit dans cette expression de la violence
sous toutes ses formes dont nous sommes les témoins. Nous avons
peut-être en tant que chrétiens à savoir écouter
aussi ce qui semble inaudible. Parce que c'est là que le choix
de Dieu pour l'Humanité se dit. Parce que c'est là que
se joue le combat. Parce que c'est là qu'il se gagne, aussi,
à l'ombre d'une croix, sur le chemin d'un choix posé dans
la suivance du Christ : Je mets devant vous la vie et la bénédiction,
la mort et la malédiction. Choisissez donc la vie afin que vous
viviez, vous et vos enfants. (Deut 30,19). Parce qu'un autre,
pour nous, devant nous, a définitivement choisi la violence de
la Vie.
Anne
Faisandier
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Textes divers
Les voies du pouvoir usurpé et la dérive étatique
Reconnaissez votre vrai souverain
et apprenez la peur. Auparavant, vous prétendiez craindre Dieu
et ses hasards. Mais votre Dieu était un anarchiste qui mélangeait
les genres. Il croyait être puissant et bon à la fois.
Il manquait de suite et de franchise. Moi, j'ai choisi la puissance
seule. J'ai choisi la domination. Vous savez maintenant que c'est plus
sérieux que l'enfer. ...
Maintenant, vous êtes gouvernés. Le grand principe de
notre gouvernement et qu'on a toujours besoin d'un certificat. On peut
se passer de pain et de femme, mais une attestation en règle
et qui certifie n'importe quoi, voilà ce dont on ne saurait se
priver
Albert Camus
Etat de siège : Le châtaignier cévenol
Notre monde est sous-tendu entre des
forces contraires. En morale, on appelle cela le bien et le mal. Mais
la nature elle-même connaît ces pulsions ou ces impulsions
contradictoires. Les bras noueux et tordus des châtaigniers en
sont une expression privilégiée particulièrement
évocatrice en ce temps ecclésiastique de la Passion.
Le châtaignier de la photographie qui illustre la couverture
est aussi l'illustration des forces de vie et de mort que nous connaissons
tous. Cet arbre, de longue date, est tel, moitié vivant et moitié
mort. N'est-il pas l'image de ce que nous sommes tous, partagés
sur des plans multiples entre vie et mort, même si , pour lui
comme je l'espère pour nous, la vie ne capitule pas ?
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Dieu a-t-il voulu la Croix ?
Le lecteur du Nouveau Testament
y trouve plusieurs interprétations possibles du drame de la Croix.
Elles s'entrecroisent et, quoique apparemment contradictoires, elles
semblent coexister ensemble et défier nos logiques. Quels sont,
d'après les textes, les responsables de la Croix ?
Une première réponse consiste à désigner
Jésus lui-même. Il marche vers la mort qu'il aurait pu
éviter. Les disciples lui disent d'ailleurs qu'il a tort de retourner
en Judée où il a déjà failli être
lapidé Jn XI 8. Mais Jésus reste inflexible. Et c'est
bien sa mort qui donne du poids à son message : il le signe avec
son sang. Qu'en resterait-il s'il s'était dérobé
devant la Croix ? Il déclare : Personne ne m'enlève
la vie, mais je la donne de moi-même. Jn X 18. Cette attitude
volontaire du Christ, que d'aucuns estimeront suicidaire, peut s'inscrire
dans la perspective d'un sacrifice voulu par Dieu pour le salut du monde.
Albert Schweitzer, lui, voit bien dans la mort de Jésus un acte
libre. Il parle même à son sujet d'une mort volontaire
destinée à hâter la venue du Royaume de Dieu. Mais
Dieu l'accueille et non pas la demande. La pensée avec
laquelle Jésus va à la mort est donc que Dieu acceptera
le sacrifice librement consenti par lui comme une expiation en faveur
des croyants. (Ma vie et ma pensée).
Dans une deuxième interprétation, c'est Dieu qui a voulu
la Croix. Tout ce drame s'inscrit dans une histoire du salut et correspond
au plan divin. Une prédestination marque l'histoire de la Passion.
Les paroles du Christ en Croix disant Père, pardonne-leur,
car ils ne savent pas ce qu'ils font ne sont pas à entendre
dans une lecture psychologisante, mais proprement théologique
: les hommes ignorent qu'ils servent un projet dont la portée
les dépasse. Ne peuvent-ils pas alors être regardés
comme des jouets entre les mains de Dieu ? En tout cas, une expiation
et une rédemption sont à l'oeuvre. Comme le dit Paul de
Jésus : Dieu l'a livré pour nous tous. Rm
VIII 32. C'est en obéissant à la volonté de son
Père que Jésus meurt. Cette image d'un Dieu voulant que
coule le sang de son propre Fils innocent pour pardonner aux hommes
est-elle compatible avec la vérité d'un Dieu d'amour ?
Dieu n'a-t-il pas mis fin à l'ère des sacrifices en refusant
celui d'Isaac ?
Bien sûr, l'interprétation historiquement la plus évidente
consiste à dire que ce sont bien les hommes qui sont la cause
de la mort de Jésus. Le reniement, la trahison, la lâcheté,
l'incompréhension, le complot des autorités religieuses
et politiques, tout cela aboutit à un procès injuste et
à une condamnation scandaleuse. Que pouvaient, face aux conservatismes
et à la haine, une telle liberté et une telle libération
religieuses, un amour porté au plus haut degré de son
incandescence ? Mais pourquoi Dieu a-t-il laissé faire ? Que
devient, dans une telle perspective, sa toute-puissance ? Wilfred Monod
a raison d'intituler une de ses prédications de Vendredi Saint
Dieu vaincu . Dieu est en effet la première victime
du drame de la Croix plutôt que sa première cause.
Comment concilier ces trois interprétations qui ont chacune
des fondements bibliques ? Certes, les hommes ont tué Jésus
et ne peuvent être, à cause du plan divin, dédouanés
de ce meurtre. Certes, la mort de Jésus est bien sa mort et l'on
ne saurait la lui enlever. Oui, Dieu ne peut être considéré
comme absent de ce drame, sans faire de lui un Dieu étranger
et lointain, muet, aveugle et sourd au cri des créatures
, comme l'écrit Vigny en parlant du silence éternel
de la Divinité (Le Mont des Oliviers). Où est là,
alors, l'Humanité de Dieu ?
Il est en fait impossible d'être fidèle aux évangiles
en séparant la Croix de Pâques. Toute lecture de Vendredi
Saint sans le message de la Résurrection est un contresens. Autre
chose est de souscrire ou non à cette lecture croyante. Pour
le Nouveau Testament, la mort de Jésus devient véritablement
l'action de Dieu à travers la Résurrection. C'est ainsi
que Dieu fait sienne la croix du Christ. D'après Luc, comme en
témoigne le livre des Actes des Apôtres voir III 15, c'est
Dieu qui a ramené Jésus de la mort à la vie et
ce sont assurément les hommes qui l'ont crucifié. La violence
de la Croix est humaine et non pas divine. La mort de Jésus devient
pleinement l'oeuvre de Dieu à travers cette entreprise transfiguratrice.
Dans une telle perspective, croire au Christ vivant aujourd'hui n'est
pas tant souscrire à une donnée abstraite, à une
croyance stérile ou à un dogme purement théorique
concernant la résurrection de Jésus (quelles qu'en soient
les modalités), c'est d'abord et surtout pour chacun de nous,
de manière présente et dynamique, vivre, agir, combattre
en transfigurant le mal en bien, le négatif en positif.
Là où est le désespoir, que je mette l'espérance.
Là où sont les ténèbres, que je mette la
lumière. Là où est la tristesse, que je mette la
joie. Ainsi dit la prière de François d'Assise.
Laurent
Gagnebin
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La violence originelle
Peut-on échapper à
la violence ? Elle est de partout et de toujours. On en trouve des traces
dès l'aube de l'humanité. Elle remplit l'espace et le
temps de chaque vie. Elle est là dans les rues, les métros,
aux lieux de travail ou de loisir, sur les écrans, même
dans les familles.
Heureusement existent des remèdes, mais ne sont-ils pas pires
parfois que la violence elle-même ? Ne vaut-il pas mieux laisser
parler, laisser agir cette violence plutôt que la lier, la ficeler
de peur qu'elle ne s'échappe ?
Il m'arrive d'avoir l'impression d'avancer en déséquilibre
comme sur une crête surplombant la violence où je me retiens
de tomber. Souvent j'ai tort, sans doute : une bonne gifle, une grosse
insulte me soulagerait peut-être autant que celui qui m'agresse.
Quoi de pire qu'une violence rentrée qui ronge de l'intérieur
jusqu'à l'explosion ou l'implosion dont le retard ne fait qu'aggraver
les effets ? On croise ainsi des gens aux visages fermés sur
leur rancoeur ou leur mépris, gonflés d'une violence contenue
qui visiblement les ronge et les paralyse.
Chacun peut aussi, bien sûr, détourner le problème,
surtout quand la cause des violences subies semble inaccessible, floue
ou intouchable. On peut ainsi prendre des victimes de substitution,
certes innocentes, mais plus faciles et moins risquées, objets,
animaux ou même enfants ou conjoints. On peut aussi transformer
cette violence contenue en jeu ou en sport. On peut se gaver, s'abrutir
de violence visuelle, qu'elle soit de fiction ou d'information voyeuriste.
Mais est-ce réellement efficace dans la durée ? N'est-ce
pas comme un sédatif dont l'effet passager ne fait que retarder
ou refouler des déchaînements inéluctables, mais
qui à la fois coupe toujours plus le sujet de la réalité,
de la lucidité, de la responsabilité ?
Une méthode qui depuis toujours a fait ses preuves consiste
à rejeter la violence hors de la sphère quotidienne, à
la localiser de force à l'extérieur : trouver à
tout prix un Saddam Hussein, un juif, un arabe, une sorcière,
un hérétique, pour conserver avec nos proches ou nos semblables
une apparence de paix. Dans un pays rongé par la violence, les
conflits, les inégalités, on peut ainsi polariser cette
violence en guerre ou en menace de guerre.
Et si la violence était d'abord et avant tout en moi, comme
en chaque homme, ou encore à la base, au fondement de toute relation
humaine, depuis toujours et à jamais, si elle avait sa source
au-delà de mon souvenir et de mon expérience, si je portais
en moi, dès l'origine, une violence sourde et diffuse qui m'agresse
de l'intérieur et dont je ne peux me débarrasser qu'en
tentant toujours à nouveau de l'extérioriser ? D'ailleurs
je sens bien que la violence que je ressens dépend parfois de
mon humeur du jour, de mon état d'esprit, qu'elle est juste éveillée
par quelque détail extérieur qui dans d'autres circonstances
me laisserait indifférent.
Regardons vers celui que nous croyons notre Sauveur, et en ce temps
dit de Carême, vers les derniers jours de sa vie : Jésus,
dans sa Passion, va traverser la pire violence, celle qui humilie, qui
fait taire, qui écrase et qui tue. Il va passer au-delà
de cette violence, pas pour se perdre dans le lourd silence de toutes
les violences refoulées, mais pour une explosion de vie, sans
colère ni vengeance, une explosion de pardon, de paix et de lumière.
De siècle en siècle, de vie en vie, c'est un signe d'espérance
grande ouverte, une piste tracée dans ces enchaînements
sans fin qui enferment et sclérosent la vie des hommes et l'histoire
des peuples.
Et si vraiment, comme semble le révéler le signe de
Pâques, il existait un amour, une joie, une paix capables de dépasser
la violence, d'ouvrir dans ses murs de mort des trouées de lumière
?
Jacques
Juillard
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Penser la rébellion comme anti-violence
Apparemment négative
puisqu'elle ne crée rien, la révolte est profondément
positive puisqu'elle révèle ce qui, en l'homme est toujours
à défendre... La révolte est l'une des dimensions
essentielles de l'homme. Albert Camus, L'Homme révolté.
Quels que soient son objet, ses modalités d'organisation (groupes
d'intérêt, syndicats, associations, et organisations non
gouvernementales) la rébellion apparaît toujours comme
politique : elle conteste l'ordre social, force la législation,
oriente les politiques publiques.
La tradition philosophique est longue de réflexions sur la
légitimité de la résistance à l'oppression,
depuis Locke et Rousseau jusqu'au marxisme. De nos jours les contestataires
invoquent encore l'auteur des Deux traités du gouvernement civil,
John Locke, qui défend un droit de résistance
légitime, pour ceux dont les libertés fondamentales sont
menacées par un pouvoir autoritaire qui rompt la confiance nécessaire
entre le peuple et ses représentants. Sont invoquées également
des figures célèbres, comme celle de l'américain
Henry David Thoreau qui en 1849 justifiait son refus de payer l'impôt
au gouvernement par son rejet de l'esclavage et de la guerre contre
le Mexique, ou encore celle Martin Luther King. (Son nom est réapparu
dans les défilés contre la guerre en Irak le 15 février
2003).
Le rebelle a une conviction philosophique : désobéir
est un devoir. Il le fait au nom d'une morale supérieure, avec
la certitude d'être dans son bon droit : il dit non à l'ordre
établi jugé insupportable car générateur
d'inégalités, d'injustices dans un monde moderne qui lui
semble absurde à bien des égards. Il se révolte
contre le pouvoir, toujours répressif et la modernité
capitaliste au nom de valeurs sociales, culturelles et politiques, l'intérêt
des puissants coïncidant actuellement toujours avec le point de
vue américain.
Si la figure du rebelle fascine, c'est parce qu'elle pose l'énigme
de l'obéissance au pouvoir politique, énigme qui resurgit
constamment (par exemple avec les tentatives d'explication de l'obéissance
au régime nazi...)
Mais pour être rébellion la révolte intérieure
doit se muer en révolte sociale organisée (comme celle
des Camisards contre les troupes royales de Louis XIV et plus près
de nous celle des Résistants).
La contestation peut déboucher sur des actions illégales
(manifestation ou grève interdite, désobéissance
civile) voire violentes (affrontements avec les forces de l'ordre, barricades,
pillages, enlèvements, attentats), mais la grande majorité
des entreprises de contestation alterne entre participation politique
conventionnelle et participation politique non conventionnelle.
On notera que la contestation de l'ordre politique et social est toujours
garantie en démocratie à condition que sa violence ne
franchisse pas un certain niveau, sous peine de ne pas être reconnue
par la société. En effet si le rebelle se transforme en
terroriste, il passe d'adversaire politique à ennemi à
anéantir.
Deux dates-clefs permettent de rendre intelligibles les rébellions
de la France d'aujourd'hui : Mai 1968, où il s'agit de déloger
en soi comme en l'autre le travers petit-bourgeois qui invite au respect
de l'ordre alors que l'extrême-droite vit cette rupture comme
l'épisode fondateur de la culture de la permissivité et
de la décadence morales abhorrées, et mai 1981 avec l'accession
de François Mitterrand à la présidence de la République
française et la fin de l'anomalie française que constituait
l'absence d'alternance politique depuis l'avènement de la Vè
république.
Le réveil de la rébellion au cours des années
1990 est dû au fossé grandissant entre la gauche institutionnelle
et la gauche des mouvements sociaux, désenchantée par
l'action du gouvernement.
L'originalité des mouvements contestataires contemporains,
qui se vivent comme supérieurs à leurs prédécesseurs,
réside bien dans le fait qu'il ne s'agit plus de rébellion
contre mais pour : pour le droit d'étudier dans des universités
dotées de moyens suffisants, pour le droit à l'intégration
(sans-papiers), pour le droit de manger sainement (Confédération
paysanne), etc... (1)
Les modes d'expression de la rébellion d'aujourd'hui apparaissent
donc comme plus souples (naissance de coordinations d'étudiants,
d'infirmières, de cheminots, etc...), glorifiant la démocratie
directe (médiatisation de la figure du porte-parole), et se posant
en champions du pragmatisme (importance accordée aux résultats
concrets, organisations ad hoc ). Ils renouent avec la dimension affective
de la contestation (création de happenings, street parties, réveillons
mondialistes, carnavals anticapitalistes, antimilitaristes et antifascistes...)
mais aussi ils s'appuient sur la science (recours à l'expertise)
ou sur le registre de la scandalisation (actions de Greenpeace). Enfin
et surtout, ils remettent à l'honneur la notion de désobéissance
civile, à laquelle s'ajoute la dimension transnationale croissante
de l'action contestataire qui dénonce la mondialisation capitaliste
et ses effets désastreux sur le plan social et écologique,
son caractère inégalitaire, sexiste et raciste qui appelle
à une mondialisation des luttes et des solidarités.
Le développement de ces mouvements est l'un des enjeux majeurs
des relations entre le pouvoir politique et la société
civile au XXIe siècle. Leur activisme souvent d'inspiration non-violente,
quoique favorable à l'action directe, prône des méthodes
non-violentes et souvent festives d'obstruction pour interdire l'accès
des participants aux réunions internationales. Les seules images
qu'en retiennent les médias sont celles des violences de la frange
d'inspiration anarchiste. On peut se poser la question des nouvelles
formes que va devoir prendre la rébellion du fait des obstacles
posés à la mobilisation et de l'hétérogénéité
des participants et de leur revendications.
Catherine
Asquier
(1) On lira avec intérêt La France rebelle, (2002,
éditions Michalon), de Xavier Crettiez et Isabelle Sommier
sur les différents mouvements organisés de contestation
opérant en France.
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La violence au coeur du social
Ce que voit la Mission populaire évangélique au jour le
jour
On assiste à une envolée
du non-respect des codes, des règles et des lois, qui éclate
en bouquets de violences, de corruption, de transgressions de tous ordres.
Point besoin de statistiques. Il faut être bien à l'abri
du monde pour contester ou minimiser le phénomène !
(1).
Dans l'évolution libertaire des moeurs de ces dernières
décennies, le fameux il est interdit d'interdire
est devenu emblématique qu'il soit dénoncé ou revendiqué
avec arrogance du genre : c'est mon choix, c'est mon gosse, c'est
mon bien-être, mon identité. Je fais la "teuf"
quand je veux, où je veux, que ma volonté soit fête
! Comment comprendre cette violence sourde que la Mission populaire
évangélique constate, cette atmosphère de tous
les instants qui, dans tel quartier de nos agglomérations, rend
la vie pénible voire insupportable ? Ce climat d'insécurité
latente franchit les murs de certaines des Fraternités de la
Mission populaire jusqu'alors protégées. Mais comment
ne pas en rester à l'écume des choses ? Ne pas hurler
avec les loups contre les sauvageons ? Comment pointer au delà
de ce qui est violence, ce qui fait violence et que l'on ne sait pas
toujours voir ou dire ?
Je retiens dans le cadre de cet article trois éléments
souvent présentés par les sociologues aujourd'hui, pour
parler de la violence sociale.
Le premier élément est le plus militant : la concurrence
érigée en système social créée la
délinquance. Le sociologue Pierre Bourdieu, récemment
décédé, le périodique Le Monde Diplomatique
défendent ce point de vue. Les violences et les délinquances
se multiplient lorsque la compétitivité économique
et sociale est placée au rang d'impératif. La précarisation
des couches populaires due à la néo-libéralisation
du monde a fait voler en éclat les relations sociales dans l'entreprise
et dans la cité elle-même. L'insécurité provient
ainsi de la situation socio-économique, elle-même fruit
d'une politique au service des puissants : il y a corrélation
entre les politiques néo-libérales et les taux de délinquance
et de criminalité (2).
La deuxième thèse, pour expliquer la violence rampante
est élaborée, entre autres, par le sociologue François
Dubet. Elle est plus fine : les institutions qui protégeaient
les plus faibles se sont fragilisées. Le propre d'une institution
sociale est d'inculquer à l'individu simultanément les
exigences sociales (l'obéissance) et les principes de son autonomie
personnelle (la liberté), tout cela au nom de principes universels
(Liberté Egalité Fraternité, Dieu, le socialisme
à venir...). Aujourd'hui les institutions sociales que sont l'école,
la République, les Eglises, les organisations syndicales, n'arrivent
plus à réduire le tragique (3), à
établir le lien entre socialisation et autonomie : lorsque
vous ne croyez plus à Dieu, à la charité, au marxisme,
vous ne cessez de dire aux gens : "ce qui t'arrive est de ta faute"...
et cela est source de violence (4).
Un troisième élément doit être ici affirmé,
non pour expliquer mais pour pointer une violence latente : on a oublié
que le monde populaire faisait la majorité de la France. Et que
la vie du peuple n'est pas rose. A force d'écrire et de dire
que le travail changeait, que le secteur secondaire (l'industrie) diminuait
au profit du secteur tertiaire (les bureaux), qu'il y avait de moins
en moins d'ouvriers, toutes choses plus ou moins justes, on en est venu
à croire que le peuple n'existait plus. Que la France était
une grande classe moyenne avec une petite minorité de riches
et un groupe de perdants ou d'exclus. Les classes sociales étaient
sensées disparaître mais les disparités sociales
augmentaient. Les nouvelles générations entrant aujourd'hui
dans le monde du travail vivent, selon le sociologue Louis Chavel, une
situation toute faite d'inégalités certainement
plus violentes que celles qu'ont connues leurs parents, entrés
dans le monde du travail en 1970 (6). Il a fallu le 21 avril
2002, la désaffection des urnes et la chute de la gauche pour
le mesurer : il y a un grand peuple qui vit difficilement et
qui de ce fait a souvent du mal à distinguer sa droite de sa
gauche (7).
Tout n'est pas dit sur la violence avec ces trois réflexions
qui se combinent plus ou moins. Une question reste cruciale : s'il est
vrai que l'instance politique ne suffit plus, comme nous l'avons cru,
comment transformer les coeurs, la société et la vie dans
la perspective d'un monde plus juste, moins violent ? En tissant des
paroles disent les théologiens car la violence naît
de l'absence de parole (8). Condition certes nécessaire,
la réalité comme l'Evangile le montrent. Mais non suffisante
: il nous faut aussi retrouver une espérance collective, ce que
l'Evangile appelle une promesse.
Bertrand
Vergniol
Président de la Mission populaire évangélique
1. Présence janvier 2003 p 8 . Présence est le journal
national de la Mission populaire évangélique
2. Pierre Bourdieu, Le Monde Diplomatique Manière de voir
novembre-décembre 2002, p 78
3. François Dubet , Le déclin de l'institution, Seuil,
2002, p 75
4. François Dubet, Sud Ouest 16 septembre 2002
5. on : les faiseurs d'opinion comme ils s'auto-proclament
6. Louis Chavel, sociologue, Sciences Humaines hors série
n° 39, décembre 2002-janvier 2003, p 78
7. Jacques Walter, pasteur retraité à la Mission populaire,
décembre 2002 (publication interne).
8. Gérad Delteil, Réforme, 30 janvier - 5 février
2003
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Une histoire de bénédiction
La bénédiction est
au fondement de la spiritualité du judaïsme. Dès
son réveil, le juif religieux bénit Dieu pour le jour
qui vient, puis il bénit Dieu en s'habillant, car il a
paré à tous les besoins . On bénit Dieu pour
le repas et pour tous les événements de la journée.
Quand le soleil apparaît, on loue Dieu d'en octroyer ses rayons
; si la foudre tonne, on bénit Dieu d'en préserver l'homme
; lorsque la pluie tombe, on bénit Dieu qui fertilise la terre
; quand on se lave les mains, qu'on va aux toilettes, qu'on respire
un parfum ou qu'on fait une bonne action, c'est encore l'occasion de
prononcer de nouvelles bénédictions.
Un homme se rend à la synagogue en lisant un livre de prière.
Il est tellement absorbé par ses lectures qu'il ne voit pas un
caillou sur le chemin. Il trébuche, perd l'équilibre et
se rattrape de justesse. Il lève les yeux et voit un poteau dans
lequel il allait se cogner : Béni sois-tu Seigneur pour
ce caillou qui m'a empêché de heurter ce poteau .
Il continue sa route et cette fois-ci percute un autre poteau. Il lève
les yeux et voit une jeune femme avec une poussette : Béni
sois-tu Seigneur, pour ce poteau qui m'a empêché de blesser
cette femme et son enfant . Il poursuit sa route, toujours aussi
absorbé dans sa lecture, et reçoit une fiente d'oiseau
sur le front. Il lève les yeux au ciel, l'air soucieux. Il réfléchit
un bon moment jusqu'à ce que son regard s'illumine : il a trouvé
! Béni sois-tu Seigneur... de ne pas avoir donné
d'ailes aux vaches .
Paru dans Réforme du 23 janvier. Bien entendu, cette perception
de la Providence et de la prière de reconnaissance n'est de loin
pas propre au seul judaïsme.
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L'Église que j'aime
Peurs, anxiétés, frilosités,
tout cela entraîne une politique volontariste où l'on veut
montrer qu'on est là, marquer le coup, imposer son magistère,
affirmer fiévreusement son identité, prêcher croisades
: on cherche à prendre en main les espaces médiatiques
en pensant convertir les foules par ce moyen.
Emmanuel Mounier a parlé du goût de terrasser plus puissant
que la joie de communiquer.
L'avenir, pour l'Eglise de France, n'est pas du côté
de ceux qui, apeurés, sont obsédés de terrasser,
elle est du côté de ceux, ils se taisent mais sont plus
nombreux, qui vivent la joie de communiquer.
Je pense à tous ces prêtres qui, comme le Horsain, se
sont insérés dans l'épaisseur de la terre où
ils ont été plantés, aux prêtres qui sont
venus de ce monde du travail que l'Eglise avait ignoré ; à
tous les catéchistes de tous âges, les parents, les éducateurs,
qui ne veulent pas enfoncer du moralisme ou des principes doctrinaires
dans la tête des jeunes, mais partager simplement ce qui forme
un bonheur de leur existence ; à tous les chrétiens-laïcs,
évêques, prêtres, qui acceptent de se laisser interroger
par l'Esprit Saint à travers leurs rencontres avec ceux qui ont
de tout autres convictions que la foi chrétienne. Voilà
le peuple de Dieu, non plus un peuple de la peur, mais de l'espérance.
Le Dieu de l'Evangile est un Dieu caché, un Dieu qu'on cherche
toujours et qu'on ne possède jamais, un Dieu qu'on cherche sans
cesse avec ardeur et qu'on propose avec une infinie douceur, un Dieu
qui reçoit des coups, mais pour qui on ne donne pas de coups,
même pas des coups de pub ; et il est temps, là-dessus,
de cesser de vouloir s'aligner sur ce que saint Jean appelle le monde.
Notre Eglise est l'Eglise des humbles... celle de tous les obscurs
qui ont le désir ardent, non pas de guerroyer contre les ennemis
de la religion et de les mettre au pied du mur, mais de comprendre le
cur de l'autre.
Jean-François Six, prêtre
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Si vous divorcez j'me coupe en deux !
D'un seul coup c'était parti
: si mes parents ils divorcent, j'me coupe en deux ! Etonnante
intention de cette petite fille de sept ans, qui n'avait d'ailleurs
pas pris le temps de réfléchir si elle se coupait en deux
horizontalement, verticalement pour faire deux parties vraiment égales
ou si elle coupait en deux son temps de vie ou son coeur !
Mais si ses parents se démarient pour reprendre
un autre mot d'enfant, en aucun cas elle ne voudrait perdre ce qui est
une partie d'elle-même, son père ou sa mère, elle
voudrait être présente dans la permanence et avec l'un
et avec l'autre. Pour cette petite fille, se couper en deux ,
cela veut dire je me dédouble, et comme ça je reste avec
chacun de mes parents. C'est à dire : je ne veux pas me
séparer de l'un ou de l'autre, je refuse votre histoire de grands
et de séparation .
C'est une manière de nier la réalité de la séparation
et de renoncer à perdre non seulement la permanence de la présence
des deux parents, mais aussi la réalité de son identité
de petite fille. De façon paradoxale, sa manière de rester
entière, c'est de se diviser !
Les parents aussi l'ont bien compris qui demandent de plus en plus
souvent une garde alternée. Une semaine chez l'un ou l'autre
des parents, ou parfois la semaine coupée en deux. Mais au bénéfice
de qui ? De l'enfant ou des parents ? La garde alternée peut
être parfois une manière déguisée de masquer
la séparation parentale.
A l'inverse, Anna qui a fini par en venir aux mains avec son mari,
a décidé de se séparer et à tout mis en
oeuvre pour que ses enfants ne voient plus leur père. Attitude
qui me paraît scandaleuse, quelle qu'en soit les circonstances,
que de vouloir priver un enfant de l'un de ses deux parents. C'est faire
porter à l'enfant, souvent sous prétexte de le protéger,
un conflit qui est d'abord celui des parents. C'est le priver d'une
partie de lui-même, dont il a besoin pour grandir et se construire
même si c'est dans l'opposition à ce parent rejeté
par un des deux parents.
On a beaucoup dénoncé les troubles scolaires que pouvaient
subir les enfants du divorce marqués par cette souffrance familiale.
On s'aperçoit aujourd'hui que les enfants de parents divorcés
ont acquis dans leur histoire une forme de maturité et de capacité
d'autonomie que des enfants de parents sans discontinuité n'arrivent
pas toujours à acquérir.
Dans le processus de maturation et d'individuation de l'enfant, les
mots posés sur une séparation conjugale sont souvent plus
constructeurs que le silence tacite et parfois complice d'une vie conjugale
apparemment sans détours. Mieux vaut, parfois, l'épée
avec des mots, que la paix, sournoise.
Etre parent est une tâche délicate. Et je n'oserai pas
dire qu'un modèle est préférable à un autre.
Je sais juste que les mots posés sur ce qui se vit ou ne se vit
pas permettent à l'enfant de se construire sans qu'il ait à
se couper en deux, avec ou sans ses deux parents. Je connais des parents
qui ne veulent jamais parler du conjoint séparé. Pourtant
il appartient à chaque parent separé de maintenir une
forme de présence du parent absent, pour éviter que l'enfant
se coupe en deux.
Jean-Paul
Sauzède
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Où trouver Dieu ?
L'antilope cherche partout le musc,
ignorant qu'il se trouve dans son propre corps.
Ainsi, nous cherchons le Seigneur au-dehors.
Le musc se trouve dans le nombril de la gazelle, mais celle-ci le
cherche dans la forêt.
Ainsi le Seigneur demeure dans tous les corps, mais le monde l'ignore.
Quelques rares parfaits savent le reconnaître, qui ont soumis
leurs cinq sens.
Ce Seigneur qui demeure dans le corps, par erreur, on ne le reconnaît
pas,
Comme l'antilope musquée qui s'obstine à flairer le
gazon...
J'ai cru que le Seigneur était loin, mais il est présent
en plénitude en tous les êtres ;
Je l'ai cru extérieur à moi et, de proche, il est devenu
lointain !
Le Seigneur était caché sous les brins d'herbe
Et je le croyais en haut de la montagne.
Comme la prunelle dans les yeux, ainsi est le Seigneur au milieu du
corps.
Les insensés ne le reconnaissent pas et vont le chercher au-dehors.
Kabir
Bénarès. 15° siècle
Texte proposé par Christine Durand
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Lectures suggérées
Le Christianisme social
Il faut se réjouir d'avoir
enfin un livre présentant de manière panoramique le
christianisme social et cela dans une approche à la fois théologique
et historique (1). L'ouvrage de Klauspeter Blaser est un instrument
remarquablement pédagogique. On ne possédait pas en
effet, jusqu'à ce jour, d'introduction claire, aussi complète
que possible, à la fois structurée et nuancée,
d'une grande lisibilité, pour faire découvrir le christianisme
social à quiconque désirerait le connaître sans
passer par les savantes études de spécialistes. Cela
dit, chacun des 8 chapitres de ce livre est conclu par une petite
bibliographie suggestive de 10 à 20 titres, aidant à
approfondir les choses et à poursuivre une recherche. Un index
des noms permet, en fin de volume, de procéder à de
précieux repérages. L'auteur, mort en juin 2002, n'aura
pas eu la joie d'assister à la naissance de ce petit livre
si important. Professeur, à partir de 1972 de théologie
systématique et pratique à la Faculté de théologie
de l'Université de Lausanne, K. Blaser avait été
précédemment missionnaire et enseignant en théologie
en Afrique du Sud et au Lesotho. Cette expérience africaine
a marqué tout son parcours et c'est là que sa réflexion
sur et pour un christianisme social s'est renforcée et que
son combat contre l'apartheid l'a lancé, infatigable, sur la
route du christianisme social. Cela avec un regard largement oecuménique.
L'ouvrage de K. Blaser ne se contente pas de définir un mouvement
très complexe, d'en donner un tableau général
et d'en rappeler les programmes axés principalement sur le
Royaume de Dieu ; il fait revivre, à travers leurs oeuvres
et leur pensée, certaines grandes figures des pionniers du
christianisme social (Christophe Blumhardt, Léonard Ragaz et
son débat avec Karl Barth, Elie Gounelle, Wilfred Monod, par
exemple), mais il a le rare mérite d'ouvrir les fenêtres
sur de vastes horizons. Là sont prises en compte les perspectives
du christianisme social non seulement en France et en Suisse alémanique
ou romande, mais aussi en Allemagne, Angleterre et même aux
Etats-Unis. L'avant-dernier chapitre est d'ailleurs consacré
à Paul Tillich. K. Blaser a parfaitement raison, dans un avant-propos
daté de mai 2002, de dire que son livre veut donner
un aperçu général d'un mouvement et d'une tradition
qui n'étaient pas restreints à une aire géographique
ou une zone linguistique particulière . Ces pages ne
sont pas seulement un bilan, elles ne se contentent pas de saluer
avec reconnaissance et sans complaisance un héritage, elles
ouvrent aussi à un questionnement sur la pertinence actuelle
et l'avenir possible du christianisme social. Il attend pour demain
des successeurs inventifs et non des succédanés trompeurs,
comme il l'écrit dans le dernier chapitre. Le livre est magnifiquement
et magistralement préfacé par Jean-François Zorn,
membre du christianisme social, dont il a été le secrétaire
général, et doyen actuel de la Faculté de théologie
de Montpellier (Institut protestant de théologie).
Cette recension ne saurait se terminer sans le rappel de la revue
trimestrielle du mouvement du christianisme social : Autres Temps
(83, bd Arago, 75014 Paris), dont le dernier numéro (double
: 76-77 : 20 euros, port compris)) est essentiellement constitué
d'articles de Paul Ricoeur parus entre 1946 et 1992 dans la revue
du christianisme social, mouvement dont il fut longtemps le président.
Laurent Gagnebin
La violence du monde
Ce petit ouvrage se compose de deux textes tirés d'une conférence
toute récente donnée à l'Institut du Monde Arabe
sur le thème du terrorisme et de la mondialisation. Le premier
intervenant, Jean Baudrillard, expose d'une manière originale
la complicité entre le terrorisme suicidaire et l'effondrement,
délibéré dit-il, des tours américaines
le 11 septembre, symboles d'un système qui génère
sa propre destruction. Les terroristes créent l'événement
radical dans un monde enfoui sous la profusion d'informations et la
virtualité.
Edgar Morin décrit la domination américaine sur une
mondialisation particulièrement économique et irrespectueuse.
Le capitalisme suscite lui-même ses forces contraires par un
phénomène d'humiliation plus que d'inégalités.
Le pessimisme de l'auteur est compensé par l'espoir d'événements
historiques aussi imprévisibles que le fut la disparition de
l' U.R.S.S.
D. Ruff
Témoignage du pasteur Marc Boegner (1940-1945)
Il y a dix ans, avant de disparaître, Philippe Boegner présentait
au public les Carnets dans lesquels son père avait consigné,
à chaud et sans retouches, quantité d'informations sur
les évènements du moment et sur ses nombreuses activités
(3).
Le pasteur Boegner, président de l'Eglise réformée,
de la Fédération protestante et du Comité administratif
du Conseil oecuménique des Eglises, disposait d'un accès
direct avec les hautes autorités de l'Etat auprès desquelles
il protestait énergiquement et inlassablement contre les mesures
antisémites, contre les camps, contre les répressions.
Il accumule, au cours de ses nombreux déplacements pour rencontrer
les protestants dispersés, une foule de petits faits
vrais qui témoignent de la vie pendant cette difficile
période. Il relate aussi tous les contacts qu'il a entretenus
avec celles et ceux qui menaient le même combat que lui pour
informer, aider, sauver.
Bernard Bernicot
La quête du bonheur
Qui a dit que l'histoire ne sert à rien ? Le livre de B.
Cottret nous démontre le contraire. Dans une oeuvre très
fouillée, aux notes très riches, nous suivons la montée
d'une tension entre la Grande Bretagne et ses colonies d'Amérique
qui conduira à la guerre d'indépendance. Déjà
se dessine la mentalité nord-américaine, faite d'un
esprit de liberté mais aussi d'espace, non sans ambiguïté
(l'esclavage n'est pas aboli et les amérindiens sont exclus
des préoccupations des nord-américains) ni sans une
certaine naïveté (la quête du bonheur). Cette révolution
nous apparaît comme héritière des Lumières
plus que du puritanisme. Par là, elle est marquée d'une
certaine modernité et explique sa prétention à
l'universalité. On ne manque pas de faire un parallèle
avec la Révolution Française et ses idées. France-Etats-Unis,
un couple à la fois uni et opposé... que l'on retrouve
encore aujourd'hui !
Notons aussi que ce livre nous explique clairement pourquoi le Canada,
et en particulier le Québec, conquis quelques années
avant par l'Angleterre, est resté fidèle à son
vainqueur. Nous, peuple des Etats-Unis... décrétrons
et établissons cette Constitution pour les Etats-Unis d'Amérique
.Préambule à la Constitution des Etats-Unis (1787).
Vincens Hubac
Klauspeter Blaser. Le Christianisme social. van Dieren. Paris. 143
pages. 20 euros
Jean Baudrillard et Edgar Morin. La violence du monde. Le Félin.
2003. 10,50 euros
Carnets du pasteur Boegner (édité par Fayard) est encore
disponible en librairie au prix de 22 euros
Bernard Cottret. La Révolution américaine : la quête
du bonheur. Perrin. 2003.
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Israël et la Palestine
En mai dernier, nous consacrions
un numéro de notre journal au conflit israélo-palestinien.
A peu près, tout ce que nous disions alors, sous forme journalistique,
se trouve développé et explicité dans le dernier
ouvrage d'Emile Shoufani (1).
J'écris ce compte-rendu à la veille des élections
législatives israéliennes qui vont reconduire Ariel Sharon
au pouvoir, alors que celui-ci vient de prendre l'initiative de la première
incursion réelle des chars et des hélicoptères
israéliens au centre de Gaza.
L'analyse d'Emile Shoufani de la situation politique, économique
et militaire au Proche Orient ne manque pas de pertinence. Nous ne pouvons
que vous la recommander. Il s'agit ici de la trahison d'Ehoud Barak
à la cause travailliste, de sa volonté de brader le climat
indispensable à toute possibilité d'établir un
accord de paix (p. 20, 21 et 143) et du désenchantement qu'il
a suscité chez les arabes israéliens (p. 137 à
139) ; de l'habileté ou de la roublardise de Yasser Arafat qui
tenait un langage double, selon qu'il s'exprimait en anglais pour les
israéliens ou en arabe pour les palestiniens, qui éludait
la question cruciale de l'éventuel retour des réfugiés
palestiniens chez eux, qui était incapable ou peu enclin à
doter le nouvel état palestinien de structures juridiques et
d'institutions claires (p. 22 à 25) ; des raisons qui ont suscité
la deuxième Intifada : l'assassinat de Yitzhak Rabin qui enterrait
les accords d'Oslo, et la venue volontairement provocatrice d'Ariel
Sharon sur l'esplanade des Mosquées qui transformait le conflit
politique en conflit religieux (p. 27, 28 et 92) ; de la volonté
d'Ariel Sharon de s'imposer en créant pour tous un climat de
peur (p. 39) ; du développement de la vocation de martyre chez
les enfants palestiniens (p. 73 à 77) ; de la duplicité
de tous les gouvernements israéliens qui n'ont jamais eu le courage
d'avoir sur le terrain la politique qu'ils déclaraient.
A propos de la situation nouvellement créée, Emile Shoufani
dénonce le discours pervers qui voudrait séparer le problème
de la sécurité des personnes de celui de la paix :
Le problème primordial n'était plus le statut du futur
Etat palestinien, de Jérusalem-Est, etc... mais, dans la conscience
israélienne, se réveillait l'obsession de la sécurité
au quotidien... Une véritable panique s'est emparé des
israéliens... Le malheur c'est que Sharon s'est saisi de cette
situation pour délégitimer tout de suite son vieil ennemi
Arafat, pour construire un discours dans lequel la sécurité
et la paix étaient dissociés - comme si l'une ne dépendait
pas de l'autre - et surtout pour commencer à assimiler la sécurité
à l'extension du territoire d'Israël (p. 163 et 164).
Il explique l'effondrement du parti de ceux qui militaient pour la paix
entre israéliens et palestiniens : Quelque chose de nouveau
arrive qui explique cet effondrement du camp de la paix : la guerre,
la guerre sale, sanglante, écoeurante, telle que les civils la
voient rarement, cette guerre abjecte a surgi pour la première
fois au cur du quotidien des familles (p. 165). Enfin,
notre auteur rappelle que la personnalité d'Arafat est politiquement
incontournable : Le problème n'est pas de faire confiance
ou non à l'homme Arafat, le problème est que le personnage
public Arafat est devenu au fil des années un symbole historique
incontournable ; sans lui nous ne pouvons arriver à une solution
(p. 167).
Cet ouvrage est une bonne synthèse de tous les éléments
qui constituent la problématique actuelle au Proche Orient. Il
faut encore apporter au crédit d'Emile Shoufani le travail admirable
qu'il accomplit pour conscientiser au mieux les élèves
du lycée dont il a la charge à Nazareth, comme pour créer
des lieux de dialogue entre palestiniens et israéliens, tel celui
créé entre son lycée et l'école juive qui
regroupe les enfants des professeurs de l'Université Hébraïque
de Jérusalem.
Pour moi, l'analyse politique d'Emile Shoufani est sans faille, comme
son dévouement à la cause de la paix. En revanche, je
conteste et trouve dangereux son désir de considérer qu'en
tout conflit les torts sont réciproques et qu'il convient de
renvoyer les protagonistes dos à dos. C'est parfois vrai, mais
pas toujours. Qu'il y ait des personnes de coeur et d'honneur dans tous
les camps, c'est l'évidence. Pour autant, la responsabilité
politique d'entamer un conflit et parfois de l'entretenir pèse
souvent sur les épaules d'un seul groupe de responsables. La
guerre du Proche Orient a été voulue dans son intention
et dans ses méthodes par des responsables juifs seulement. De
même, M. Milosevic et ceux qui l'entouraient ont été
les seuls instigateurs de la guerre de Bosnie, il y a dix ans. Aussi,
lorsqu'Emile Shoufani répète que les torts sont toujours
partagés, cela me paraît vrai, faux et dangereux à
la fois. Je veux dire qu'il énonce alors une vérité
partielle.
De même, lorsqu'il déclare que, lors d'un conflit, le
fait de calmer les esprits ou de désamorcer les passions est
la seule voie pour résoudre le différend, je ne puis le
suivre. A mes yeux, cette voie est parfois la bonne, mais de loin pas
toujours. Elle supposerait que tous les hommes soient de bonne volonté,
soucieux de leur prochain ou, pour le moins, raisonnables.
Pierre-Jean
Ruff
(1) Emile Shoufani. Comme un veilleur attend la paix. Albin Michel.2002.
230 pages.
Les violences dérisoires de la guerre
L. avait déjà fait partie des troupes d'occupation
en pays ennemi et il s'efforçait d'oublier ce que l'expérience
lui avait appris : il savait qu'une guerre c'est la trahison et la
haine, les ordres contradictoires de généraux incompétents,
la fatigue et la maladie, la cruauté et la mort, jusqu'à
ce qu'enfin tout soit terminé, sans que rien n'ait été
changé et sans autre résultats que de nouveaux tourments,
de nouvelles haines. L. voulait n'être qu'un soldat chargé
d'exécuter les ordres donnés.
John Steinbeck
Nuit sans lune
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Les religions, moteurs de guerre ?
Identités religieuses et guerre
L'actualité internationale
donne tout son relief à cette question. Après la guerre
froide qui opposait la liberté capitaliste et théiste
(In God we trust, en Dieu nous mettons notre confiance, est la devise
des Etats-Unis) à la révolution socialiste et athée,
le monde connaît, depuis le onze septembre 2002, des conflits
entre des puissances théistes les unes comme les autres. Sans
qu'on puisse parler de guerre de religion à la mode médiévale,
le Moyen-Orient est aujourd'hui le théâtre d'un affrontement
entre pays indissociables de leur connotations religieuses respectives.
Et la mondialisation de la crise proche orientale renforce encore cet
aspect des choses. La culture laïque de notre pays avait presque
réussi à faire oublier l'importance de cette dimension
de la vie des hommes.
Les facteurs économiques et les intérêts financiers
sont évidemment toujours les causes majeures des conflits. Mais,
qu'on le veuille ou non, le référent religieux ou théologique
est devenu un paramètre incontournable de toute réflexion
géopolitique, notamment le problème des relations entre
les trois religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme
et l'islam. Le problème palestinien, et le conflit entre le monde
musulman, menacé d'intégrisme, et l'Occident dit chrétien,
symbolisant la modernité et la puissance technologique, pose
la question du dialogue inter-religieux bilatéral entre les deux
grandes religions issues du judaïsme.
Ces deux religions ont démontré tout au long de leur
histoire commune que l'une comme l'autre a du mal à reconnaître
le droit à l'existence de ceux qui n'ont pas la même foi.
Chacune contient un ferment d'intégrisme ou de fanatisme que
nourrit le rêve d'un monde trouvant son harmonie grâce à
une système religieux universel. Ce fut longtemps la tentation,
pour le christianisme, de vouloir faire un monde chrétien. C'est
la tentation de l'islam pour qui le véritable coran est au ciel,
mettant en devoir les Musulmans de soumettre l'humanité à
sa vérité.
Il semblerait que le remède à ces antagonismes universalistes
soit que le dialogue inter-religieux permette de retrouver le noyau
foncièrement pacifique de l'absolu (Dieu) sur lequel se fonde
chacune des religions, et de le faire s'épanouir sans cesse davantage.
Tel serait l'horizon des rapports entre islam et christianisme. Mais
souvent le débat s'arrête sur ce vu pieux, surtout
quand il réunit des théologiens.
Lieux sacrés et terres saintes
En plus de leur conscience d'être
revêtues d'une mission universelle, les religions monothéistes
ont en commun un autre trait qui constitue un obstacle majeur à
la tolérance réciproque. C'est leur conviction que leurs
vocations divines fondatrices respectives s'inscrivent dans l'espace
et dans le temps, créant par là une histoire sainte et
des lieux saints. Des processus de sacralisation divers les opposent.
Il y a une terre promise, ou sainte, pour les juifs, et une histoire
sainte. Il y a l'hégire, et la terre sacrée de la Mecque,
et d'autres lieux saints comme Jérusalem, pour les musulmans.
De même, pour les chrétiens, il y a une terre sainte et
des lieux d'église consacrés par l'histoire, tels le saint
Siège pour les catholiques ou les divers sièges patriarcaux
chez les orthodoxes. Dans la même perspective il faut aussi ranger
les lieux de pèlerinage et les lieux de mémoire. C'est
ainsi qu'ont surgi dans la vie religieuse les thèmes de tradition,
d'héritage, de patrimoine, souvent liés à un pays
ou à un terroir .
Si le judaïsme est exempt de la tentation de prétendre
convertir l'humanité, bien conscient du caractère particulier
et géographiquement limité de sa vocation, il est par
contre menacé par la tentation d'inscrire son identité
dans un espace précis. Le sionisme en est l'exemple patent, avec
la tragique crise du Moyen-Orient. Mais le peuple juif n'est pas le
seul à présenter cette tendance à sacraliser une
terre. Le cinquième pilier de l'islam est bien le hadj, le pèlerinage
à la Mecque. De plus son projet missionnaire est bien de mettre
en place une société musulmane partout où cela
est possible, et de multiplier les terres musulmanes, où la pratique
d'une autre religion est souvent considéré comme une profanation.
Le christianisme n'est pas non plus à l'abri de ce danger.
Heureusement le temps des croisades est terminé, qui voulaient
restaurer une terre sainte. Mais il y a eu aussi et il y a encore des
pays chrétiens où une Église officielle est religion
d'Etat, où les autres cultes sont plus ou moins admis, à
commencer par le Vatican catholique, la Grèce ou la Russie orthodoxes,
et l'Irlande du Nord pour certains protestants. Dans le même sens,
il y a des terroirs protestants dotés d'un fort taux identitaire
(par exemple, les Cévennes, les vallées Vaudoises d'Italie,
le Pays de Montbéliard) où les intérêts fonciers
ou patrimoniaux mobilisent beaucoup de forces et d'intelligences, et
dont la perte partielle ou totale serait vécue tragiquement.
Retrouver une vocation religieuse nomade
Toutefois, le christianisme semble
le mieux placé pour résister à cette tentation,
et aider les autres religions monothéistes à s'affranchir
de ce lien. Par exemple, l'attitude du Vatican au sujet des lieux saints
de Jérusalem est significative. Par une internationalisation
de la ville, il s'agirait de permettre à chaque religion de pratiquer
ce qui lui est propre, dans l'état actuel du site, sans perspective
de le posséder en propre au détriment des deux autres.
La même veine est apparue récemment dans une émission
de télévision au cours de laquelle un auteur juif exprimait
son espoir que chaque religion, y compris la sienne, retrouve la dimension
nomade de sa spiritualité, et apprenne le déracinement
de la foi par rapport à une terre sacralisée. Le peuple
d'Israël conduit par Moïse après la Pâque deviendrait
ainsi l'archétype de la conscience religieuse chez chacun des
trois monothéismes. Certes la vie nomade doit être distinguée
de l'errance. L'errant a oublié son origine, et il ignore où
il va. Le nomade sait d'où il vient, et il a un but, une destination.
Il est toujours prêt à se mettre en route, sans perspective
de conquête ou de possession , sans stratégie de gestion
d'un avoir, sans position à défendre.
Cette perspective n'est pas sans analogie avec l'espérance
eschatologique chrétienne du Royaume de Dieu, qui donne à
l'existence à la fois son caractère éphémère
et son dynamisme. Le christianisme est fondamentalement apostolique,
au sens littéral d'envoyé, toujours dans le provisoire.
Sa mission est d'autant plus universelle qu'il sait vivre une mobilité
radicale, loin des establishments, et de l'institutionnalisation foncière,
sociale, ou doctrinale, voire politique ! Ascèse redoutable et,
il faut l'avouer, invivable à vues humaines. La communion des
saints la redécouvre périodiquement en période
de persécution, ou bien quand un souffle prophétique circule
dans ses rangs, au sein d'un monde où la possession du pouvoir
comme l'affirmation de soi sont les règles les plus courantes
de la vie sociale et internationale.
L'islam aussi a une forte conscience des limites de la vie terrestre.
Le croyant se prépare au jugement d'Allah, et rien dans son existence
n'a de prix au regard de l'obéissance à son commandement.
Le bonheur ne peut avoir d'autre contenu que la présence divine.
Si les religions travaillaient respectivement l'esprit nomade qui
leur est propre, alors les antagonismes d'universalité, de même
que les conflits de territoire, deviendraient d'une importance seconde,
et ne feraient plus obstacle au principe de tolérance qui semble
appartenir au génie de chacune.
Le judaïsme pourrait rappeler aux autres qu'il n'est pas besoin
de couvrir le monde pour être universel. Le christianisme serait
à même de rappeler que la terre entière est sacrée
et que rien n'est profane. L'islam aussi serait l'utile témoin
d'une parole divine que personne ne peut ignorer, et qui donne leur
sens à tous les moments de l'existence humaine et de la vie de
l'univers.
Le vent de l'Esprit
Cette conclusion peut paraître
un vu pieux supplémentaire. Qu'y a-t-il de plus utopique
que d'espérer une telle remise en cause de la part de chacune
des familles spirituelles monothéistes ? Certes. Aussi il se
peut que l'histoire elle-même contraigne les toutes prochaines
générations de ces trois mondes monothéistes à
de telles révisions de façon douloureuse sinon dramatique.
Pour les croyants, les moteurs de l'histoire sont sans doute les prophètes,
et les religions monothéistes n'en ont jamais manqué.
Certains se font entendre chez les uns ou les autres, aujourd'hui encore.
Mais les prophètes prêchent souvent dans le désert;
les curs sont endurcis; les nuques sont roides ! L'humanité,
tel un âne cosmique, n'avance le plus souvent qu'à coups
de bâtons qui ont pour noms, crises, guerres et affrontements
de tous genres. A moins que le vent de l'Esprit n'enlève aux
conflits et à leur violence le soin de briser les coeurs, de
les ouvrir et de les rendre capables de passer du voeu pieux au sens
de l'histoire.
Gilbert
Charbonnier
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Le numéro spécial d'Évangile et Liberté
sur Église et homosexualité
Le 18 octobre dernier, le Comité
Évangile et Liberté me demandait de prévoir ce
numéro spécial de notre journal sur Église et homosexualité.
En effet, suite à d'autres Églises protestantes dans le
monde, sans préjuger des reflexions engagées, les Églises
protestantes de France ont décidé de porter à l'étude
de leurs synodes la question des demandes de certains homosexuels souhaitant
recevoir une bénédiction religieuse ou être admis
comme pasteurs de nos Églises. Pour ce faire, le Comité
protestant luthérien-réformé de France a rédigé
un texte d'étude sur la question à soumettre aux différentes
églises concernées. Notre Comité Évangile
et Liberté a jugé souhaitable d'apporter sa contribution
à ce débat et il m'en a confié la rédaction.
Comme on pouvait le supposer, ce numéro a suscité beaucoup
de réactions : surprise, hostilité - parfois violente
- (voir les deux courriers publiés en mars), mais aussi encouragements
et félicitations. On relèvera, fait inhabituel pour notre
publication, qu'en quinze jours, une centaine d'exemplaires de ce numéro
ont été commandés, parfois par des particuliers,
le plus souvent par des groupes d'étude paroissiaux.
Je souhaite ici m'adresser à ceux que notre entreprise a surpris
ou choqués. Je regrette profondément de vous avoir troublés
ou heurtés. En même temps, je ne renie rien de ce que j'ai
écrit ou publié. Je suis également tout prêt
à continuer un dialogue difficile mais fraternel avec ceux d'entre
vous qui le souhaiteraient.
La foi chrétienne invite à dire non en certaines circonstances.
Il revient à chacun de juger, en conscience et au regard de l'Évangile,
en quoi il dit non au monde. Aussi, nous respectons pleinement votre
refus partiel ou total de reconnaître une place aux homosexuels
dans les Églises. Mais permettez que, sans justifier ou encourager
cet état, d'autres soient moins sévères que vous
à l'égard des homosexuels.
Les Églises ne devraient-elles pas être des lieux où
des questions diverses puissent être abordées et débattues,
sans a priori, tant qu'elles ne contrecarrent pas ouvertement le commandement
d'amour ? De plus, nous qui nous disons de sensibilité libérale
- ou qui essayons de l'être - ne devrions-nous pas être
ceux qui particulièrement acceptent la diversité et ceux
qui respectent ceux qui pensent autrement ?
Je souhaite que dans nos colonnes ce débat soit clos. A la
lecture des événements du jour comme des soucis et des
souffrances évoqués dans le présent numéro
de notre journal, vous conviendrez avec moi qu'il existe présentement
dans notre pays et dans le monde bien d'autres sujets de préoccupation,
voire d'inquiétude ou de révolte qui appellent notre attention,
nos prières et notre militance.
P.-J. Ruff
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Courrier des lecteurs
Notre numéro sur Église et homosexualité
Voilà déjà quelques mois que je suis abonnée
à Évangile et Liberté et ce, pour très
longtemps, je pense. La diversité des points de vue m'enchante,
me réconforte et m'encourage dans mon propre cheminement. J'ai
particulièrement apprécié le dernier numéro
reçu, sur l'homosexualité, notamment l'éditorial
de P.J. Ruff, ainsi que l'article de Thomas Römer... P.J. Ruff
dit bien que l'opinion sociale est en mutation. Il faut attendre,
avoir la sagesse d'attendre avant de légiférer. Oui,
mille fois oui !...
J'aime beaucoup le point d'interrogation après homosexualité.
Il traduit tellement bien notre perplexité et toutes les questions
que nous nous posons.
Geneviève Reuss, Gif sur Yvette
(91)
N.D.L.R. Le mois dernier ont paru
deux réactions défavorables à notre numéro
de février sur Église et homosexualité. Or, ce
numéro de notre journal a suscité beaucoup de réactions,
favorables tant que défavorables. Il convenait donc de vous
proposer l'une des réactions favorables que nous avons reçues.
Divisés afin que le monde croie
Ce titre de l'article d'André
Gounelle (le monde croira-t-il vraiment à la division ?) pourrait
être remplacé par exemple par Complémentaires
afin que le monde croie ou mieux, par la sagesse multicolore
de Dieu .
Ce que l'on observe, c'est que chaque couleur a une caractéristique
: les réformés la parole, les pentecôtistes l'Esprit
et les dons de l'Esprit, les baptistes la conversion personnelle,
les catholiques le don (eucharistie), les orthodoxes la gloire de
Dieu, mais aussi la fidélité aux sources, à l'histoire,
les salutistes mettent plus que d'autres Matt 25 en pratique, les
évangéliques l'évangélisation. On fait
le constat que chaque couleur a une identité et que cette identité
est liée à une mission. Et comment le bleu peut-il dire
au jaune : Tu es trop ceci ou cela, il faut être comme
moi ! Et quel chrétien peut vivre tout en même
temps ?
Johan Onck, Beauvoisin (30)
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Nouvelles et informations
A propos du projet de guerre en Irak
Lettre du Conseil national de l'Eglise réformée de France
au président de la République
Le Conseil national tient à
se joindre à toutes les voix qui vous demandent de vous opposer
fermement par tous les moyens qui sont à votre disposition,
au déclenchement d'une guerre en Irak. Il approuve la position
du gouvernement français quand elle exprime :
1 que le déclenchement d'une intervention armée contre
l'Irak serait illégitime dans les circonstances actuelles,
selon le résultat connu à ce jour des inspections en
cours sur le territoire irakien, qui devraient pouvoir se continuer.
2 que, en tout état de cause, il est de la responsabilité
de l'Organisation des Nations Unies et ses instances qualifiées
- et non des seuls Etats-Unis - de gérer la crise irakienne,
dans le cadre du droit international.
A cette occasion, le Conseil national tient à dire son souhait
que le gouvernement français soutienne résolument toutes
les initiatives contribuant à la construction de la paix dans
le monde, notamment l'élaboration continue du droit international
et la détermination des moyens susceptibles de le faire respecter.
L'usage de moyens politiques et économiques appropriés,
de missions de médiation, voire d'interventions militaires
limitées, devrait être renforcé, comme celui de
la menace et de l'utilisation de la guerre comme d'un moyen parmi
d'autres pour régler les conflits... Au nom de cette conviction,
le Conseil national dit son opposition totale à toute forme
de guerre préventive.
De leur coté, des responsables d'Églises protestantes
américaines ont aussi pris position :
C'est le coeur lourd qu'une fois de plus nous entendons les tambours
de guerre résonner contre l'Irak. Attachés au règne
de Dieu, règne de justice et de paix sur la terre, ainsi qu'à
la juste conduite de notre pays, nous sommes fermement opposés
à cette marche vers la guerre.
Au lieu d'aligner les nations contre un axe du mal, notre peuple
devrait se lancer dans une consultation honnête et ouverte avec
des partenaires dans le monde entier, et notamment au Moyen-Orient,
afin de rechercher une solution non militaire à la menace que
peut constituer l'Irak. Cette solution doit commencer par la levée
des sanctions économiques qui n'ont fait que renforcer le leader
irakien tandis qu'elles affaiblissaient son peuple (Collège
des responsables de l'Eglise unie du Christ aux Etats-Unis).
Le président Bush et le Vice-président Cheney sont
membres de notre Eglise. Aussi, notre silence pourrait être
interprété comme une approbation tacite de cette guerre.
Avec un mépris sans précédent pour la démocratie,
et avec un manque étonnant de preuves susceptibles de justifier
ce genre d'attaque préventive, le président à
tout fait, sauf ordonner le feu (septembre 2002).
Je demande aux membres de l'Eglise méthodiste unie de s'élever
contre ces mesures irréfléchies... Notre Eglise s'oppose
catégoriquement à l'intervention de nations puissantes
contre des nations plus faibles. Pour nous, le premier devoir moral,
de tous les pays est de résoudre par des moyens pacifiques
tout différend surgissant entre les nations ( Jim Winckler,
responsable de la Commission Eglise et Société de l'Eglise
méthodiste unie ).
Ces prises de positions ecclésiastiques risquent de paraître
complètement obsolètes lorsque vous recevrez ce journal.
Mais la protestation de ceux qui se refusent à faire le jeu
des pouvoirs en place garde toute son importance, même lorsqu'ils
ne sont pas entendus, voire qu'ils sont étouffés ou
broyés par le système (N.D.L.R.).
Femmes prêtres excommuniées
Sept femmes catholiques d'Autriche,
d'Allemagne et des Etats-Unis avaient été ordonnées
prêtres illégalement, le 29 juin 2002, par Romulo Braschi,
ancien évêque d'origine argentine, lui-même excommunié
pour avoir fondé une communauté schismatique. En 1976,
la Congrégation pour la doctrine de la foi, réaffirmait
le refus de l'Eglise catholique d'offrir l'ordination sacerdotale
aux femmes. Un décret du cardinal Ratzinger a confirmé
la sentence d'excommunication de ces femmes.
Consécration de femmes évêques dans les pays
scandinaves
Le 9 février, la deuxième
femme évêque de l'église luthérienne de
Norvège a été intronisée dans ses fonctions.
Aujourd'hui, la plupart des pays nordiques ont des femmes évêques
: deux en Suède, une au Danemark, ainsi que l'évêque
de l'église luthérienne du Groenland. En revanche, ce
n'est encore le cas, ni en Islande, ni en Finlande.
L'archevêque de l'Eglise de Suède pour le boycott de
produits israéliens.
L'archevêque luthérien de Suède, K.G. Hammar,
a signé une pétition invitant à boycotter les
produits israéliens des territoires occupés par Israël.
Bien entendu, cette prise de position a suscité des réactions
variées dans la population suédoise.
Le Christianisme au XXI° siècle n'est plus
Fondé à l'époque
des diligences, sous Louis XVIII, le successeur des Archives du christianisme
au XIX° siècle, n'est plus. La chute inexorable du nombre
d'abonnés y a obligé. En revanche, les animateurs de
ce journal nous promettent en échange un mensuel protestant
évangélique qui s'intitulera : Christianisme aujourd'hui.
Nous souhaitons longue et heureuse carrière à ce nouveau
confrère.
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Requête
Donne ton pain, Seigneur, à tous ceux qui ont faim,
Donne faim de toi à ceux qui
ont du pain,
Car toi seul, Seigneur, peux rassasier notre désir.
Donne ta force à ceux qui sont faibles.
Donne l'humilité à ceux qui se croient forts,
Car toi seul, Seigneur, tu es notre force.
Donne la foi à ceux qui doutent
Et donne le doute à ceux qui croient te posséder,
Car toi seul, Seigneur, tu est la vérité.
Donne confiance à ceux qui ont peur,
Donne ta crainte à ceux qui ont trop confiance en eux,
Car toi seul, Seigneur, tu soutiens notre espérance.
Donne la lumière à ceux qui te cherchent,
Et garde dans ton amour ceux qui t'ont trouvé
Pour qu'ils te cherchent encore,
Car toi seul, Seigneur, tu peux combler ton amour.
texte proposé par Michel Jas
La force de l'amour
Fort comme la mort est amour ;
Inflexible comme enfer et jalousie ;
Ses flammes sont des flammes ardentes :
Un coup de foudre sacré.
Les grandes Eaux ne pourraient éteindre l'Amour
Et les fleuves ne le submergeraient pas
Cantique des cantiques
Vivre à la fois
la bénédiction et l'inssurection,
l'amour et l'humour,
l'inimportance de tout
et l'importance infinie
Jean Sulivan
Le plus grand des miracles consiste en ceci :
Dieu maintien son regne et gouverne
le monde contre tous les efforts du diable, par de pauvres et misérables
mortels.
Sans doute, cela se fait dans une grande infirmité, mais il
me dit comme à Saint Paul : ma grâce te suffit
Martin Luther
Merci de soutenir Évangile & liberté
en vous abonnant :)
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