Nous connaissons tous
très bien ce début du prologue de Jean et pourrions le
réciter par cur. Mais une question demeure : quest-ce
que le logos ? Les traductions oscillent entre « le verbe »
et « la parole. » Seul Chouraqui, dhabitude plus hardi,
conserve prudemment le mot grec dans sa fameuse Bible traduite en français.
En fait le mot logos a deux sens principaux, celui de parole, de discours
et celui de raison, dintelligence. Et les grands traducteurs de
la Bible, qui naimaient pas beaucoup la raison, ont tous préféré
se rabattre sur la parole. On ne voit pas bien, en effet, un pasteur
ou un prêtre lire en chair le Prologue et dire : « Au commencement
était la raison,
et la raison était Dieu »
! Si lon se réfère à la philosophie grecque,
et surtout au christianisme naissant très hellénisé
et un peu gnostique, comme celui dAlexandrie ou des milieux johanniques,
le logos serait plutôt une sorte de pensée, de sagesse
descendant de Dieu pour illuminer les hommes. Il est donc le lien entre
Dieu et les hommes, la face de Dieu tournée vers le monde des
vivants. Et ce lien se loge à deux niveaux : dans le discours,
dans la parole qui lie les hommes les uns aux autres et leur permet
de se communiquer leurs idées ; dans la raison, dans la sagesse,
qui incite les hommes à vivre ensemble en bonne intelligence.
Mais le prologue va plus loin, ce lien raisonnable, non
seulement vient de Dieu, mais est Dieu lui-même. La sage parole
participe à lêtre même de Dieu. Elle est Dieu
atteignant les hommes. Et Dieu ne peut « être » sans
cette relation de parole qui lie les hommes entre eux et à lui.
Ainsi, dans les Églises johanniques, un peu gnostiques il est
vrai, Dieu est perçu comme le principe qui, dès le commencement,
permet la communication des idées raisonnables, celles qui rapprochent
de Dieu et sauvent. Dieu est parmi nous parce que la parole existe et
circule.
Mais de quel commencement sagit-il ? De celui du
monde peut-être. On a beaucoup dit que Jean faisait un clin dil
au début de la Genèse. Mais aussi, et la suite du prologue
le montre bien, le commencement est celui de lère nouvelle
inaugurée par ce Jésus qui a prononcé tant de discours
de sagesse et de raison. Et surtout qui a « assumé »
ses discours, comme on dit aujourdhui, jusquà leurs
conséquences logiques et dramatiques. Le commencement, cela peut
être aussi une nouvelle naissance, un nouveau départ. Chaque
tournant de la vie est un commencement. Nous allons de commencements
en recommencements : commencement dune année nouvelle ;
commencement dune nouvelle équipe qui va soccuper
du journal et qui, justement voudrait faire circuler la parole, celle
des hommes et celle que lon attribue, un peu trop facilement à
Dieu.
Car, paradoxalement, le Dieu-Parole nest en fait
quun trop long silence. Jusquà preuve du contraire,
Dieu ne parle pas directement, mais na dautre ressource
que demprunter la parole des hommes. La Bible hébraïque
ne sy trompe pas lorsquelle écrit : « La parole
vint au prophète de la part de Dieu et il dit :
»
Cest donc bien le prophète qui parle et il ny a de
parole de Dieu que parole humaine, ce qui a bien intrigué K.
Barth, mais aussi R. Bultmann. Ce dernier écrivait : «
Par mes mots, Dieu dépend de moi, au lieu que je dépende
de lui. » Ce paradoxe doit nous rendre mo-destes et nous faire
simplement souhaiter quen ces nouveaux commencements, notre journal
soit le véhicule dune parole raisonnable qui a quelque
chose à voir avec Dieu lui-même.
Henri
Persoz