Dans ses Souvenirs
de mon enfance, Albert Schweitzer écrit ceci : « Je narrivais
pas à comprendre, et cela déjà avant mon entrée
à lécole, pourquoi, dans la prière du soir,
on ne me faisait intercéder que pour les êtres humains.
»
On sait que le principe du respect de la vie était,
pour Schweitzer, une manière de retrouver, par la réflexion,
lamour du prochain tel que lenseigne Jésus, mais
élargi à une dimension universelle. Cet exclusivisme de
lêtre humain dans léthique chrétienne
est, pour Schweitzer, sa « grande lacune ». Je me rappelle
que, la première fois où, au cours du culte de lOratoire
à Paris, je ne me suis pas contenté de prier pour tous
les hommes, mais bien pour tous les êtres vivants, Théodore
Monod vint, à la fin du culte, me remercier pour cela et non
pour ma prédication ! Dans une telle perspective, la prière
dintercession ne mérite-t-elle pas la belle appellation
catholique romaine, à savoir celle de prière universelle
?
Assurément, il y a, dans toute prière dintercession,
un lien étroit entre nos paroles et nos actes. « Prier,
cest exaucer Dieu », disait Wilfred Monod. Joindre les mains,
ce nest pas se croiser les bras. Prier pour les animaux, ce sera
par conséquent aussi lutter contre les souffrances injustes que
nous leur infligeons.
Prier pour les êtres vivants, sans autre précision,
peut paraître absurde. « Je suis plein de sympathie pour
les êtres vivants, quels quils soient », lisons-nous
dans Les carnets de Théodore Monod. De manière un peu
simple, peut-être, mais combien sage, nest-il pas juste
alors de penser que Dieu reconnaîtra les siens ? Il y a peut-être
bien quelque chose de cette Église invisible, et de sa reconnaissance,
dans une prière qui, se tournant vers Dieu et cela sans privilégier
tel ou tel être vivant, lui remet alors la création tout
entière.
Certains sinterrogent sur le statut dune
prière dintercession ; elle leur paraît attirer,
de manière presque impie, lattention de Dieu sur celles
et ceux dont il connaît mieux que nous lexistence et les
souffrances. Mais, dans un certain sens, qui me paraît tout à
fait décisif, il me semble que la prière universelle nest
pas tant un prier pour quun prier avec. Puis-je, de façon
assez égocentrique ou anthropocentrique, oublier le reste de
la création à lheure de la prière ?
Laurent
Gagnebin