Roger Williams est une figure aussi atypique
quattachante de la théologie nord-américaine
à lère coloniale. Dans les années 1640,
il développe une théologie politique dont les intuitions
étonnamment novatrices se révèleront décisives
dans lévolution ultérieure des colonies de la
Nouvelle Angleterre, puis des États-Unis d'Amérique.
Né à
Londres au début du XVIIe siècle, Williams reçoit
sa formation théologique à Cambridge. Après avoir
servi comme aumônier privé dans une famille puritaine,
il sembarque en 1630 pour la colonie du Massachusetts. Il espère
y exercer un ministère pastoral, mais ses positions radicales
en faveur de la neutralité de lÉtat dans les affaires
religieuses lentraînent dans de virulents conflits avec
les pasteurs et les magistrats de la colonie. Banni du Massachusetts,
il trouve refuge auprès dune communauté amérindienne,
dont il découvre avec respect les traditions culturelles et religieuses.
Estimant que les terres américaines sont la propriété
des peuples qui les habitent, il leur achète un territoire. Baptisé
« Providence », lendroit deviendra la première
plantation de la future colonie de Rhode Island.
Williams
sengage alors dans une controverse avec ceux quil tient
pour responsables de son bannissement. Son principal adversaire est
un pasteur de Boston nommé John Cotton (1584-1652), qui cherche
à réformer lÉglise dAngleterre dans
un sens congrégationaliste. Pour Cotton, en effet, lÉtat
et lÉglise ont des droits et devoirs distincts, mais ils
doivent coopérer pour créer une communauté qui
uvre au service de la morale et de la foi chrétienne. Cotton
demande donc que le droit de voter ou de briguer un mandat politique
soit réservé aux membres de lÉglise et il
soppose à ce que la dissidence religieuse soit tolérée.
Dans un pamphlet publié en 1644, The Bloudy Tenent
of Persecution, Williams reproche à Cotton de vouloir monopoliser
la force de lÉtat au service de ses propres convictions
religieuses. La volonté détablir lunité
religieuse par la force est à lorigine, selon Williams,
dinnombrables crimes. Cest elle qui engendre la persécution
des dissidents qui résistent au nom de leur conscience. Williams
est ainsi conduit à plaider pour une séparation radicale
de lÉglise et de lÉtat, qui seule peut garantir
une véritable liberté de culte. Cette liberté de
culte est pour lui plus quune simple tolérance. À
la même époque en Grande Bretagne, les défenseurs
de la tolérance limitent généralement cette dernière
aux protestants. La liberté de culte réclamée par
Williams est plus radicale : il plaide pour que les juifs, les musulmans
et les catholiques bénéficient dune entière
liberté religieuse. Même John Locke et la Glorieuse Révolution
(1688) niront pas aussi loin, du moins pour ce qui concerne
les catholiques ! Dans la colonie de Rhode Island, ce principe de la
liberté de culte a permis de faire cohabiter en bonne harmonie
des juifs et des quakers avec les communautés puritaines.
Des expériences comme celle de Rhode Island resteront
marginales jusquau moment de la Révolution américaine.
Les puritains dAmérique se sont montrés peu tendres
avec ceux qui ne partageaient pas leurs convictions, quils soient
anglicans, quakers ou baptistes. Dans la controverse qui oppose Cotton
et Williams, Cotton se contente en définitive de faire valoir
des arguments largement répandus parmi ses coreligionnaires.
Lidéal politique de Williams finira pourtant par emporter
la victoire. Il sera dabord renforcé par la création
de la Pennsylvanie, une colonie que les quakers feront reposer sur des
principes semblables à ceux de Rhode Island. Il sera ensuite
partiellement confirmé au moment de la Glorieuse Révolution.
Il sera enfin pour ainsi dire ratifié avec la création
des États-Unis dAmérique. Le principe de la liberté
de culte et de la séparation de lÉglise et de lÉtat
entrera alors dans la constitution américaine. Mais la reconnaissance
dune séparation entre lÉglise et lÉtat
na pas empêché (et peut-être même a-t-elle
favorisé) lémergence, dans la nation américaine,
dun patriotisme teinté de valeurs et de symboles religieux.
Il faudra pourtant attendre la seconde moitié du XXe siècle
pour que les communautés religieuses étrangères
au protestantisme intègrent à leur tour la « religion
civile » de lAmérique. Lélection du
catholique John Kennedy en 1960 marque peut-être, de ce point
de vue, la concrétisation véritable de lidéal
politique de Roger Williams.
Marc
Boss