Le chemin parcouru
À la question
« Lunion des chrétiens est-elle possible ? »
la réponse nest pas facile. De remarquables progrès
ont été réalisés depuis les origines du
mouvement cuménique, en 1910 à la conférence
missionnaire des Églises protestantes dÉdimbourg.
La création en 1948 à Amsterdam du Conseil cuménique
des Églises, le COE, a suscité un énorme intérêt.
Il ne groupait au départ que des protestants ; il sest
ouvert massivement, en 1961, aux orthodoxes. Il comprend aujourdhui
300 Églises non catholiques dune centaine de pays.
Les protestants ne veulent
pas être considérés comme des dissidents quil
faut ramener dans le droit chemin. On a eu tort de loublier.
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Dès le début, lÉglise Catholique
Romaine (ECR) a refusé den faire partie et ce refus se
continue encore aujourdhui. Le Pape Pie XI en a donné clairement
la raison, le 6 janvier 1928, dans lencyclique Mortalium animos
: « Le siège apostolique na jamais permis à
ses fidèles dassister aux Congrès des a-catholiques,
lunion des chrétiens ne pouvant être procurée
autrement quen favorisant le retour des dissidents à la
seule véritable Église de Jésus-Christ quils
ont eu jadis le malheur dabandonner. » Il ny a donc
pas lieu de chercher ailleurs puisque seule lÉglise Catholique
Romaine possède et lunité et la vérité.
Mais les protestants ne veulent pas être considérés
comme des dissidents quil faut ramener dans le droit chemin. On
a eu tort de loublier.
Les mentalités changent. Un nouvel esprit douverture
et de compréhension se développe avec les pontificats
de Jean XXIII (1958-1963) et de Paul VI (1963-1978).Le Concile de Vatican
II (1962-1965) est le premier à ne prononcer aucune condamnation
! À partir de ce concile, des observateurs catholiques sont envoyés
au COE. En 1968, neuf catholiques deviennent membres à part entière
de Foi et Constitution, la commission théologique du COE. Vatican
II donna une formidable impulsion au dialogue catholico-protestant aussi
bien au niveau des fidèles quà celui des théologiens.
Mentionnons également le groupe théologique
des Dombes fondé en 1937. Bien que les textes quil signe
restent privés et nentraînent pas ladhésion
de tous, ils tiennent une place de choix dans lhistoire de la
pensée cuménique : les accords de Lima (en 1982)
sur le B.E.M (Baptême, Eucharistie, Ministère) en fournissent
la preuve.
Bien avant le Concile, en 1935 à Lyon, labbé
Paul Couturier instaure la Semaine de prière pour lunité.
Des paroisses de quartier, proches les unes des autres, vivent ensemble
un véritable cuménisme spirituel. Le succès
en fut immense et dure toujours. Nous navons ni su ni voulu en
voir lambiguïté. Labbé Couturier précisait
« lunité telle que Dieu la veut. » Comment
un protestant peut-il prier pour lunité telle que la conçoit
lECR ?
Les communautés locales ont parcouru un chemin
considérable. Il y a des acquis auxquels il ne faut pas renoncer
: les réunions de prière ; létude en commun
de la Bible ; le partage des expériences spirituelles ; la comparaison
des doctrines, des traditions liturgiques et des méthodes pédagogiques
; les échanges de chaire entre prêtres et pasteurs ; les
célébrations cuméniques de mariage (interdites
avant janvier 1970) et aussi de funérailles. On a appris vraiment
à « partager ».
Communier ensemble ?
On en vint à vouloir
communier ensemble... et on est passé à lacte, en
dépit de linterdiction (rappelée par le secrétariat
catholique de lunité en avril 1983) faite aux prêtres
de donner la communion aux protestants. La désobéissance
a continué et prit de lampleur. Lévêque
de Versailles finit par autoriser la communion dans un centre cuménique
de son diocèse.
«La présence
de Dieu dans le monde est une présence mystérieuse
et impossible à précipiter.
Tout aussi impossible à
préciser sont les limites de lÉglise.
Cest seulement dans
un but de domination et de puissance à exercer quon
croit possible de la fixer.»
Nicolas Berdiaeff, Dialectique existentielle
du divin et de lhumain (1947).
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Le pape Jean-Paul II mit fin à leuphorie
en publiant le 17 avril (jeudi saint) 2003 lencyclique Ecclesia
de Eucharistia. Il expose la doctrine classique et écrit : «
lÉglise vit continuellement du sacrifice rédempteur
du Christ. Le sacrifice se perpétue sacramentellement dans chaque
communauté par les mains du prêtre consacré ».
Ainsi, « personne dautre quun prêtre ordonné
ne peut célébrer leucharistie ». Il ajoute
que la doctrine de la transsubstantiation est toujours valide. Cest
clair, net et précis : ni communauté ni eucharistie sans
prêtre.
À la question que nous nous posons, ce texte répond
: « Lunité de lÉglise comporte lexigence
de la communion totale dans les liens de la profession de foi, des sacrements
et du gouvernement ecclésiastique ; il nest pas possible
de concélébrer la même liturgie eucharistique jusquà
ce que soit rétablie lintégrité de ces liens.
» Communier ensemble sans attendre le rétablissement intégral
des liens en matière de doctrine et de discipline ecclésiastique
est donc, du point de vue catholique, une erreur.
Malgré la colère de certains, la désillusion
de beaucoup et la tristesse de tous, on avait oublié non seulement
que lcuménisme se vit à plusieurs niveaux,
celui des communautés locales, plus pratique, et celui des théologiens,
plus clérical ; mais surtout, que deux conceptions radicalement
opposées de lcuménisme sont en présence,
la catholique et la protestante. Tant que lECR ne comprendra pas
quelle nest pas seule à représenter la totalité
de lÉglise et quelle voudra imposer à tous
sa conception autoritaire et dogmatique de lunité et de
la vérité, tout dialogue sera impossible. Il ne pourra
reprendre que sur dautres bases et avec dautres méthodes.
Pluralité et relativité
Lunité nest
pas uniformité ; celle de lÉglise peut ressembler
à celle dun couple : ni fusion, ni domination, mais communion,
partage, complémentarité, acceptation des différences.
Il faut vivre ensemble et aimer lautre tel quil est, non
tel que lon veut quil soit.
Quant à la vérité, elle nest
jamais ni une ni définitive, mais plurielle et relative. La conception
catholique du dogme nest pas acceptable ; elle nest pas
conforme à la réalité. Les dogmes ne peuvent être
ni infaillibles ni définitifs car ils sont liés à
lhistoire et tributaires dune culture, dune civilisation
et dun langage qui ne cessent dévoluer et de changer
; ils deviendront caducs un jour ou lautre.
Les mots ne rendent jamais compte ni parfaitement, ni
totalement, de la pensée divine. Avant Karl Barth, saint Augustin
disait déjà : « Dieu est tout autre que ce quon
peut en penser ou en dire. »
Par ailleurs, on peut modifier la forme sans changer
le fond. Si Jésus était né en Chine, il naurait
pas pris du pain et du vin pour célébrer la Cène,
mais du riz et du thé. Des jésuites ont tenté lexpérience
: on les a immédiatement rappelés à lordre.
Jean XXIII avait ouvert une piste qui aurait évité
limpasse dans laquelle nous sommes aujourdhui. Son discours
douverture du Concile, le 11 octobre 1962, di-sait : « Autre
est la substance de la foi, autre sa formulation », phrase reprise
dans deux documents conciliaires : le décret sur lcuménisme
Unitatis redintegratio du 21 novembre 1964 (n° 6) et la constitution
pastorale sur lÉglise Gaudium et Spes, du 7 décembre
1965 (n° 44 et 66).
Jamais personne na repris cette possibilité
dun nouveau dialogue et nous ne pouvons pas demander à
lECR de changer de position. Elle a fait un choix quelle
déclare seul acceptable : les vérités de foi se
trouvent dans lÉcriture et dans la tradition. Nous, protestants,
en avons fait un autre en estimant quelles ne se trouvent que
dans la tradition apostolique, cest-à-dire lÉcriture
seule, la tradition post-apostolique étant explicative mais non
normative.
Pour conclure
Luther déclara
à la diète de Worms, le 17 avril 1521 : « Ni ne
pouvons ni ne voulons nous rétracter. » Le texte de Jean
« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père
» (Jn 14,2) nous autorise à être chrétien
autrement.
Pierre
Fath