Nommé au Collège
de France, où il inaugurera une chaire de langues hébraïque,
syriaque et chaldaïque, cest au cours de sa leçon
inaugurale, le 22 février 1862, que Renan parla de Jésus
comme dun « homme incomparable » et non dun
Dieu. Ces deux mots, entre autres, scandalisèrent ; révoqué
de sa chaire, il ne la réintégrera quaprès
la guerre de 1870.
Cest en historien, sappuyant sur la critique scientifique,
quil écrira cette Vie de Jésus. Renan «
magnifie la personnalité de Jésus, mais il démontre
que le fondateur du christianisme nest pas lincarnation
de Dieu. Il donne à admirer un être exceptionnel, mais
un homme rien quun homme », comme lécrit
Michel Winock (Les voix de la liberté, Seuil).
Approche historique, écriture romantique
Partant
des quelques traces dhistoire admises à lépoque,
Renan va reconstituer la vie de Jésus à partir de son
immense érudition, sappuyant sur les travaux de lécole
critique allemande, et y apportant une connaissance profonde de la
Palestine. Toutes ces qualités seront au service dun
véritable génie propre de lécriture, qui
fit de cet ouvrage un succès immense, un chef duvre
de la littérature romantique. Mais il est difficile aujourdhui
de se reconnaître dans ce Jésus suave et mièvre
qui parcourt la Galilée, en compagnie de ses amis et de quelques
femmes empressées, une bande de braves gens simples et crédules.
En ce qui concerne les miracles, Renan constate que Jésus
fut un thaumaturge « à contre cur » et quil
« subissait les miracles que lopinion exigeait, bien plus
quil ne les faisait ».
La résurrection de Lazare ne peut-être que le fruit
dune méprise, à savoir dune confusion entre
le Lazare de la parabole et le frère de Marthe et Marie. Propagée
par les commérages dune ville dOrient, lhypothèse
fut changée en fait. En ce qui concerne la résurrection
de Jésus, Renan considère quelle est le fruit
« de la forte imagination » de Marie de Magdala : «
Pouvoir divin de lamour, moments sacrés où la
passion dune hallucinée donne au monde un Dieu ressuscité
!»
Si Renan ne croit pas à la divinité de Jésus
(pas une seule fois il ne parle du « Christ »), il voue
à lhomme une admiration sans bornes. « Sêtre
fait aimer à ce point quaprès sa mort, on ne cessa
de laimer, voilà le chef duvre de Jésus.
» « Il ne fut pas un fondateur de dogmes [
], cest
linitiateur du monde à un esprit nouveau. » «
Il a fondé la religion dans lhumanité, comme Socrate
y a fondé la philosophie et Aristote la science. » Il
estime ainsi que Jésus est la personnalité qui a fait
faire à lhumanité « le plus grand pas vers
le divin ».
Accueil officiel réservé, succès populaire
Avec ce livre, Renan devint un adversaire redoutable de lÉglise
catholique. Elle fut désorientée par cette interprétation
appuyée sur des centaines de références bibliques,
véritable déconstruction du christianisme dalors.
Les libres-penseurs, de leur côté, mirent près
de cinquante ans avant de trouver dans ce livre une référence
privilégiée ; La Vie de Jésus, nétait
pas, en effet, un manifeste dathéisme et Renan, selon
eux, y donnait une place trop importante au sentiment du divin.
Les protestants, enfin, furent assez réservés. Albert
Schweitzer, dans sa fameuse et monumentale étude consacrée
aux innombrables livres portant sur la vie de Jésus, se montra
très sévère : « Il ny a guère
douvrage qui pullule dautant de fautes de goûts
et des plus affreuses ! Il sagit là dun
art chrétien au pire sens du terme, dart de figurines
de cire. » Pourtant, le succès de cette Vie de Jésus
fut tel quil entraîna ladmiration, puis la conviction
de nombreuses personnes qui se convertirent au christianisme après
lavoir lu.