Mechthild vit au
XIIIe siècle comme béguine. Les béguines vivent
une vie religieuse, seules ou en communauté, mais sans être
cloîtrées et sans prononcer de vux.
Mechthild écrit le premier texte mystique en
langue allemande, La Lumière fluente de la Divinité,
bien avant la Réforme. Wilhelm Preger, un théologien
allemand du XIXe siècle, a cherché à la présenter
comme précurseur des idées de Luther. Il a mis laccent
sur sa critique de lÉglise et lindépendance
de sa pensée, selon lui quasi prémonitoire dun
esprit réformateur. Cest là sans doute aller un
peu loin, car lÉglise a toujours su intégrer une
certaine autocritique et des penseurs marginaux.
Mechthild est une femme de son temps, instruite, nourrie
de lenseignement dominicain et proche de la spiritualité
cistercienne. Elle se montre soumise à son confesseur, du moins
pour la vie courante, et ne tient pas les Écritures pour indispensables,
même pour les prêtres. Il est vrai quelle ne connaît
pas le latin et na donc pas accès au texte biblique.
Sur certains aspects cependant, Mechthild semble vraiment
proche de la Réforme. Elle souligne la gratuité de la
grâce et refuse toute médiation en ce qui concerne sa
relation intime à Dieu. Sa compréhension des mérites
est, elle aussi, très personnelle. Avec humour elle souligne
que cest seulement par amour que Dieu nous fait croire que nous
pouvons mériter quoi que ce soit. En fait, toute « récompense
» est pur don.
Sans désigner Mechthild comme précurseur
de la Réforme, on peut cependant parler dun certain esprit
commun. Mechthild et Luther sont originaires de la même région,
comme dailleurs également maître Eckhart, dun
demi-siècle plus jeune que la béguine et qui, sans aucun
doute, a lu La Lumière fluente de la Divinité. Bien
avant lui, Mechthild valorise une « mystique de la vie quotidienne
». Tout, y compris les « tâches les plus indignes
», fait partie dune vie entièrement vouée
à Dieu et vaut donc autant que la contemplation. Mechthild
semble regimber contre le modèle de sainteté que les
hommes veulent imposer alors aux femmes, une vie contemplative à
labri de la clôture où lascèse remplace
la charité et la pauvreté spirituelle la pauvreté
apostolique.
Mechthild porte aussi à son comble ce que certains
nomment une « mystique abyssale » : ce nest pas
en sélevant vers les cimes de la jouissance spirituelle
que lâme peut rencontrer Dieu, mais en suivant son mouvement
dabaissement jusquen enfer. Cette « humiliation
» loin de Dieu donne sens au sentiment lancinant que son Bien-aimé
divin est absent, et cest pour augmenter sa louange quelle
assume cet état et cherche à lapprofondir. Si
finitude et péché sont à lorigine de sa
souffrance, Mechthild « proteste » en même temps
de son indignité fondamentale qui seule fonde son appartenance
à Dieu. Jésus sur la croix est le modèle pour
lâme assumant labsence de Dieu.
Vivre dans cet éloignement se révèle
alors la vraie « suivance ». Mechthild la nomme «
gotz vroemedunge », terme qui lui est personnel et que jai
essayé de rendre par « éloignance ». Cest
là, me semble-t-il, une dimension à (re-)découvrir
pour une spiritualité « protestante ».
Waltraud
Verlaguet
Mechthild de Magdebourg, La Lumière fluente
de la Divinité, traduit et introduit par Waltraud Verlaguet,
Grenoble : Jérôme Million, 2001, ISBN 2-84137-117-4.
Waltraud Verlaguet, L« éloignance
», la théologie de Mechthild de Magdebourg (XIII e
s.), Bern : Peter Lang, 2005, ISBN 3-03910-616-3.
Waltraud Verlaguet, Comment suivre Dieu quand Dieu
nest pas là ?L« éloignance »
de Mechtild de Magdebourg. ISBN 2-204-07986-3