Telles sont les dimensions
de ce petit tableau de Jean-Baptiste Carpeaux (reproduit en couverture
de ce numéro dÉvangile et liberté), le sculpteur
de la Danse qui agite les hauteurs de lOpéra de Paris ou
des nymphes du bassin vide autour duquel senroulent les queues
résignées pour les expositions du Grand Palais. Carpeaux
le nordique, qui a peint en 1872 ce Coucher de soleil comme on voudrait
en contempler beaucoup, sous toutes les latitudes, conservé au
musée de Valenciennes.
En sa compagnie, je respire.
En son espace, je ne sais pas si des hommes habitent,
si des fumées sélèveront, le soir, de possibles
maisons, fermes blotties dans un creux de vallée, hameau posé
sur une colline, si lon parlera de travail et de terre, de temps
et de gens, car il réside un silence dans cette image du monde,
un vide qui se suffit, un calme qui appelle ma sérénité.
Lombre de la nuit déjà à moitié
étendue va estomper toutes choses, elle va engloutir léclat
inattendu dune branche au feuillage frémissant, mais linstant,
ici arrêté, resplendit encore pleinement, englobant le
spectateur et son regard.
Le ciel porte seul les éclats de la lumière,
écharpes claires et dorées gagnées par les langues
gris cendré granuleuses du crépuscule, portées
musicales quaucune note ne vient contraindre à se figer.
Le monde et sa beauté nous sont offerts, profonds,
vastes, immenses même, tranquilles, simples, gratuits comme des
paroles de bénédiction, comme un chant de paix.
Vingt quatre centimètres sur trente deux et demi
de pur bonheur, réduits encore au format des cartes postales
avidement collectionnées pour se construire un musée abordable
et portatif, fil et trame dune toile qui pourraient conduire à
la contemplation de laube dun jour à venir, encore
vierge de toute peur, comme ils conduisent à celle dune
journée vécue où sachève lagitation,
où se formule laction de grâce. Miracle de luvre
qui touche, au hasard dune exposition, qui réjouit pour
la Création, suscite ladmiration pour un autre que soi,
repousse les limites de lespace, élève lintelligence,
aiguise lil, apaise lâme, dispose tout simplement
pour le souffle léger de lEsprit et rend heureux.
Je plains le public compassé, pétri de respect
pour les uvres quon lui présente, impressionné
par le tonnerre déloges quelles suscitent, par les
foules quelles déplacent, par la « culture »
dont elles garantissent le sérieux
Je demande à
une exposition dart quelle agisse sur moi comme une liturgie,
ce cheminement codifié qui fait bouger et grandir, quelle
me transporte dallégresse, comme un culte, comme une occasion
de rencontre avec Dieu. Si jai la chance dy connaître
un choc comme devant ce Coucher de soleil de Carpeaux, alors ma joie
emprunte les voies complices de la prière.
Cécile
Souchon