Le mot grec «
ethnos » se traduit par peuple, nation. Il est bien connu, puisquil
est la racine de lexpression française « ethnie »
qui signifie un groupement humain uni par une même langue et une
même culture. La Bible hébraïque parle déjà
de ce concept. Au singulier, cest le peuple dIsraël
; au pluriel, ce sont les autres peuples. Distinction importante puisque
cette Bible a commencé à prendre forme au moment de la
grande dispersion provoquée par lexil à Babylone.
À la fin de cet exil, les uns sont restés à Babylone,
les autres sont revenus en Israël, les troisièmes ne lavaient
pas quitté, les quatrièmes avaient fui en Égypte.
Il faut rassembler tout ce monde pour constituer un nouveau peuple ayant
le même Dieu, la même histoire et les mêmes ancêtres.
« Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu » clame le
prophète Ézéchiel.
Dans ce Proche Orient ancien, chaque peuple avait son
dieu. Le dieu dIsraël était Yahvé. Les autres
peuples avaient dautres dieux. La foi en Yahvé était
donc complètement liée au fait dappartenir à
la nation dIsraël. Le politique et le religieux étaient
indissociables. Cest au point que parfois la TOB traduit un des
mots hébreux signifiant « les peuples » (goïm)
par « les païens » (Ps 67,3).
Le Second Testament hérite de cette façon
de voir : ethnos au singulier signifie la nation juive ; ethnê
au pluriel les autres nations, les non-juifs. Lorsque ethnê est
employé dans un sens plutôt politique, les traducteurs
ont mis « nations ». Si le sens leur a semblé religieux,
ils ont mis « païens ». Par exemple, en Matthieu 6,31,
Jésus demande de ne pas sinquiéter du boire et du
manger « comme le font les païens ». Il sagit
en fait des ethnê, des autres peuples. La version Segond traduit
plus pertinemment par « non-juifs ».
Les évangiles, en général, manifestent
un certain manque douverture, vis-à-vis des autres nations.
Aujourdhui, comme autrefois, chaque peuple a du mal à supporter
les autres. Il a tendance à senfermer sur lui-même.
Mais Jésus, à lintérieur de ce cloisonnement,
est assez ouvert aux non-juifs. Il guérit le serviteur du centurion
romain et la fille dune Cananéenne, il parle à la
Samaritaine, etc.
Le véritable décloisonnement du christianisme
naissant est venu de linfluence de la diaspora juive, ouverte
à la culture grecque. Lapôtre Paul en est la figure
emblématique ; nest-il pas lapôtre des païens
ou des nations, selon les traductions ? Juste après la mort de
Jésus, les chrétiens faisaient évidemment partie
de la nation juive. Mais voilà que, progressivement, des étrangers
se convertissent aux idées de Jésus, alors quils
ne sont pas juifs. « Que viennent donc faire ces nouveaux venus
qui veulent suivre Jésus alors quils ne sont pas de chez
nous ? » se demandent les chrétiens restés profondément
dans le judaïsme. On ne peut pas aimer nos idées nouvelles
sans se plier aussi aux usages hérités de nos ancêtres.
Ceci fut à la base dune grande brouille entre les judéo-chrétiens
de Jérusalem et les pagano-chrétiens dAsie Mineure,
soutenus par Paul. Lapôtre fit très clairement entrer
les « ethnê » dans son Église, favorisant ainsi
léclatement des limites traditionnelles entre les nations.
Il a voulu que les personnes ne soient plus qualifiées par leur
appartenance « ethnique » mais par leur croyance, ce qui
nest plus superposable (Il ny a plus ni juif, ni grec).
Pour entrer dans le christianisme, il nest plus nécessaire
de faire partie de la nation juive, mais il suffit de croire que Jésus
est la voie pour le salut du monde. On ne se rattache plus à
un système religieux par hérédité, mais
par un choix personnel. Paul a appris à ses contemporains à
sortir de cette habitude de se situer par rapport à son appartenance
ethnique, pour se situer plus pertinemment par rapport aux valeurs que
lon défend.
Aujourdhui, avec tous les problèmes entre
les peuples, nous devrions aussi réapprendre cela.
Henri
Persoz