Jadore les aéroports
! Dabord parce que jai toujours été fasciné
par ces énormes masses volantes quon appelle les avions.
Mais aussi par tout ce qui se passe dans les aéroports. Ou plutôt
par tous ceux qui passent dans les aéroports
Vous êtes
là, parfois en transit entre deux avions. Vous venez de Tunis,
en escale à Milan et vous rentrez à Bruxelles. Vous croisez
des humains, comme vous, sauf queux arrivent de Moscou et partent
pour Tel Aviv, Johannesburg ou Tokyo. Ce soir, ils seront à des
milliers de kilomètres de vous. Mais ils sont là, et vous
aussi. Lunité de lieu ouvre à la multiplicité
de lespace. Chaque personne est dans un parcours et en même
temps fait partie, du moins pendant quelques heures, de la communauté
des passagers. Car cest bien dune communauté quil
sagit, avec ses codes et ses processus de reconnaissances. Soudés
le temps dune escale. Frères éphémères
dune chapelle du voyage
Notre société ne ressemble-t-elle pas de
plus en plus à ces aéroports ? Individualisation des parcours
didentité, solidarités éphémères,
illusion rassurante dune communauté
Lhumain,
on ne sait plus ni doù il vient ni où il va. Il
y a, dans cet état de fait, un côté jubilatoire,
celui de la liberté. Le protestant libéral est aux anges
et en tire des conséquences théologiques : individualisation
de la formulation de foi, liberté des expressions, relativisation
des institutions,
Mais observons notre aéroport : lavion pour
Bruxelles est annoncé avec trois heures de retard, alors que
bien dautres sont annulés, pour cause de tempête.
Nous sommes en Italie ; en France, cela aurait été pour
cause de grève
Et là, début dinquiétude
Presque de langoisse
Tous ceux qui travaillent dans les
aéroports vous le diront : cest un lieu de stress et dangoisse
aussi. Le moindre grain de sable dans la programmation et le joyeux
voyageur devient un apatride déraciné inquiet. La jubilation
de la liberté a sa limite, celle de la précarité
de toute existence. Et si la communauté humaine, la société,
était moins évanescente quune fraternité
éphémère
Jean-Marie
de Bourqueney