L’éthique d’entreprise
est en plein développement : on crée des chartes éthiques,
des fonctions de déontologues, des rapports de développement
durable, des agences de notation éthique. Pourtant, le scepticisme
ne désarme pas : « C’est de la cosm-éthique
! », décrètent les stagiaires de HEC ; « On
oublie l’éthique dès qu’elle coûte ! »
Des cadres du MCC (Mouvement des cadres et dirigeants chrétiens)
dénoncent un double langage : « Les paroles ne sont pas
conformes aux pensées, les actes ne sont pas conformes aux paroles
! »
Mais quand bien même l’affichage d’une éthique
ne provoquerait que de telles réactions, leur existence ne constitue-t-elle
pas déjà un progrès ? Et un chef d’entreprise
qui s’engage dans une déclaration éthique n’est
il pas condamné à l’appliquer, sous peine de voir
l’image de l’entreprise encore plus dégradée
que s’il n’avait rien fait ?
La contestation surgit alors d’un autre bord. Initiateur en éthique
d’entreprise, O. Lecerf, alors PDG de Lafarge, avait invité
le cardinal Lustiger à parler devant ses cadres : quelle déconvenue
de l’entendre développer que l’entreprise « n’était
pas légitime à produire de l’éthique »
! A. Comte Sponville a, depuis, écrit la même chose.
IBM, Danone, considèrent que l’éthique relève
du domaine privé ; ces entreprises invitent leurs membres à
interpréter suivant leur conscience individuelle les principes
du Développement Durable.
Si néanmoins l’éthique d’entreprise, «
art d’éclairer les comportements en s’appuyant sur
un certain nombre de valeurs cooptées », se développe,
c’est qu’elle permet
- de prévenir des risques d’illégalité,
- d’améliorer l’image de l’entreprise auprès
de ses clients et de son personnel,
- d’éclairer les membres de l’entreprise qui n’ont
pas bénéficié d’éducation morale,
- d’accroître l’efficacité, car « l’éthique
permet la confiance, qui autorise de dire la vérité,
condition du progrès » (O. Gélinier).
Les « chartes éthiques » contiennent : principes
d’action, bonnes pratiques, engagements de l’entreprise. Elles
sont de deux types : le type « anglo-saxon », (adopté
par la SNCF), liste les obligations légales et professionnelles
donnant lieu à contrôle de conformité et sanctions
; le type « européen », (adopté par EDF),
considère au contraire que « l’éthique commence
où s’arrête la loi qui impose ». La charte propose
alors, sans les imposer, des valeurs et comportements recommandés
pour progresser dans son métier et mieux vivre ensemble. S’y
ajoutent des exemples de questionnement en conscience, sur des sujets
comme la prévention de la corruption ou du harcèlement.
La cooptation de valeurs permet à des hommes d’appartenance
philosophiques et religieuses différentes de mieux travailler
ensemble, de parler de leurs raisons de vivre.
L’agence Wellcom a, en 2004, répertorié les 24
valeurs les plus revendiquées dans les publications d’entreprises
françaises. Elles sont de quatre types : valeurs relationnelles
(écoute, solidarité…), valeurs entrepreneuriales
(initiative, responsabilité…), de conscience (intégrité,
équité…), de compétence (qualité, rigueur…)
Ne figurent pas : l’humilité, le courage, ni même
la reconnaissance, constamment réclamée par le personnel
! Du serment des rois à Reims : « je promets d’exercer
la justice, la miséricorde, et de lutter contre le mal »,
ne subsiste que la justice.
C’est que notre époque se refuse à nommer le mal
: comme le note Chantal Delsol, elle n’en est que plus sévère
pour les coupables.
Elle voit aussi dans la justice une vengeance légale, ce qui
exclut la miséricorde. Or, n’arrive-t-il pas que le par-don,
don d’une nouvelle chance, régénère chez le
coupable, et dans l’entreprise, confiance et espérance ?
Jésus Christ a admiré chez les « petits »
– ceux qui font tourner nos entreprises – la miséricorde
et sept autres « Béatitudes ». Si toutes trouvaient
place dans l’éthique d’entreprise, ne rallieraient-elles
pas les cœurs, et donc les énergies ? 
Jean-Paul
Lannegrace
Note : Pour compléter l’article ci-dessus,
on peut commander un Cahier de 20 pages : Repères, n° 13,
Église Notre Dame de Pentecôte (01 47 75 83 25) intitulé
« Éthique, déontologie d’entreprise et valeurs
évangéliques ».