Marie regarde Jésus
qui regarde Marthe qui regarde Jésus.
Les trois visages sont réunis dans la moitié
gauche du tableau, celle quisole la diagonale partant du bas à
gauche et montant, en suivant les avant-bras de Marie et Jésus,
vers le haut à droite. À droite de Jésus est la
zone éclairée, la zone lumineuse. Lautre moitié
du tableau est dominée par le vert sombre des robes de Jésus
et de Marie, le vert de lespérance certes mais une espérance
qui devra sortir de lombre.
Marie
« a choisi la meilleure part » (Lc 10,42). « Assise
aux pieds du Seigneur, elle écoute sa parole » (v. 39).
Elle ne fait quun avec Jésus, les plis de leurs robes se
confondent, elle semble aimantée par la main droite de son hôte,
tendue vers elle. Attentive, elle est prise dans le mouvement ascendant
de la diagonale.
Marthe se tient, elle, sur laxe de symétrie
vertical du tableau. Debout et solide avec ses bras légèrement
écartés, elle apporte une corbeille de pain quelle
sapprête à poser sur une nappe blanche. Elle est
dans « sa » maison (v. 38) et domine la scène. Son
« affairement aux multiples soins domestiques » (v. 40)
ne cacherait-il pas quelque volonté de puissance, quelque goût
immodéré de la maîtrise ? Pourtant, elle sincline
mais cest pour demander « Seigneur, cela ne te fait-il rien
que ma sur mait laissée seule à faire le service
? » (v. 40). Elle en oublie de regarder le pain, centre de gravité
du triangle qui unit les trois visages.
Il est pourtant bien là, ce pain, trait dunion
entre ces surs qui ne se regardent pas, trait dunion entre
ces surs si différentes mais quun drap, blanc comme
un linceul, unit.
Dans quelques temps, cest en partageant ce pain
quelles feront mémoire de leur hôte si déroutant,
celui à la droite duquel, elles se trouvent toutes deux.
Les versets de Luc, lus et relus, saturés de commentaires
et dinterprétations convenues, prennent sous le pinceau
de Vermeer la saveur de linouï. Par le jeu des formes et
des couleurs, le peintre donne à voir, à penser et à
entendre. Ici, le plaisir esthétique nest pas seulement
plaisir des yeux, le désir de comprendre nest pas seulement
désir de lintellect, laspiration à se faire
disciple nest pas laspiration dune dimension de notre
être aux dépens de lautre. Loin des exégèses
qui ne sadressent quà la raison et des discours édifiants
qui ne visent que lémotion, le texte (re)devient parole
vivante. Nos communautés paroissiales peuvent y trouver la figuration
de leurs tensions mais aussi de leur communion. Chacun(e) peut y trouver
limage de ses tensions internes mais aussi un encouragement à
la réconciliation intérieure. Dans la lumière de
celui qui sinvite dans nos maisons, il y a place pour les Marie
et pour les Marthe, sa main nous est tendue, son regard nous invite.
Johannes Verneer : Jésus dans la maison de Marthe
et Marie, 1654.
(National Gallery of Scotland Edimbourg)