Numéro 207
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Façade de l'église Notre-Dame-de-Lorette à Paris IX (arch. Hippolyte Lebas). On peut lire sur le linteau du portail la devise républicaine surmontée de deux croix grecques. Photo Pierre Moisan |
On ne trouve pas de doctrine politique spécifique dans les évangiles. Avec la « théorie des deux règnes », certains interprètent lépisode de « limpôt dû à César » (Mt 22,16-22) comme une injonction de bien séparer les problèmes politiques (qui soccupent de notre vie sur terre) des problèmes théologiques (qui concernent le Royaume à venir après notre mort).
Mais la façon dont Jésus invite ouvertement à sa table des prostituées et des collecteurs dimpôts est une prise de position politique forte. La loi juive « vous aimerez létranger comme vous-même » (Lv 19,34), étendue par Jésus à « aimez vos ennemis » (Mt 5,44), est éminemment politique. On peut difficilement prétendre suivre lÉvangile et entourer une nation de frontières étanches pour éviter toute immigration.
La politique est « ladministration de la cité ». Le chrétien doit, peut-être plus que tout autre, sintéresser à lavenir du monde. On peut légitimement être à la fois chrétien et citoyen. Pourquoi entretenir des cloisons étanches entre ces deux aspects de notre vie ? « Il est impossible dans la vie chrétienne de dissocier une vie privée et une vie publique. La personne devant Dieu est un tout et on ne peut séparer la participation à la société ou à lactivité professionnelle (qui est politique !). Nous ne pouvons pas nous désintéresser du monde dans lequel nous sommes placés, et dont nous sommes responsables devant Dieu, ainsi que des hommes au milieu desquels nous vivons », écrivait Jacques Ellul.
Alors pourquoi cette crainte de voir se mélanger Église et politique ? LÉglise doit aider à la réflexion, interpeller, interroger et parfois protester. Elle manquerait à sa mission si elle ne le faisait pas.
À loccasion de lélection présidentielle, la Fédération protestante propose sur son site Internet (www.protestants.org) onze dossiers sur des sujets importants. Chacun peut les consulter et surtout en débattre pour avancer vers une société plus juste et plus humaine.
Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne
Jean-Paul II donnant la communion à Lech Walesa lors dune visite pastorale en Pologne. Photo DR. |
Il y a quelques temps de cela, jai écrit un de mes « billets » dans ce même journal Évangile et liberté, en mentionnant le nom dun éminent homme politique qui, depuis, est devenu lun des candidats à la prochaine élection présidentielle française. Cela ma inévitablement valu du courrier. Pire, deux personnes mont reproché davoir écrit cet article, avec des arguments imparables : lun mayant reproché dêtre de droite, lautre mayant reproché dêtre de gauche. Au moins, ma stricte déontologie du devoir de réserve en tant que pasteur était sauve ! Au-delà de lanecdote, cette histoire révèle que la question politique, en lien avec la théologie ou la foi, nest pas une question comme une autre. Elle déclenche rapidement les passions et les invectives, beaucoup plus que la question de la Trinité ou de la double nature du Christ Cest ainsi. Je crois donc quavant de chercher à réfléchir théologiquement au fait politique ou même à faire des propositions pour une éthique politique, il nous faut chercher à analyser ce phénomène étrange.
Sans doute nous faut-il remonter le temps pour comprendre pourquoi, aujourdhui, le simple fait de prononcer le mot « politique » dans une enceinte déglise peut faire fuir certaines personnes. La politique serait-elle le dernier tabou ? On ne cesse daffirmer, et à juste titre, que le modèle des relations entre chrétiens est la fraternité, mais on admet difficilement, en tout cas en politique, que cette fraternité ne soit pas gémellaire Or, la diversité, si chère à nos âmes protestantes, existe aussi en politique sans que cela ne soit insupportable. Je peux voter différemment de mon épouse sans divorcer pour autant
Partout où religion et pouvoir fonctionnent ensemble, on court le risque de larrogance et de la perte des libertés humaines les plus fondamentales.
Les histoires douloureuses
Laprès-guerre fut sans doute une histoire difficile pour nos Églises. Comment vivre la fraternité avec les ennemis dhier ? Comment réconcilier victimes et bourreaux, résistants et collabos ? Américains, Français, Belges, Allemands et Japonais ? Comment affirmer encore luniversalité de lÉglise alors que seule la guerre fut universelle et que les humains ne furent que des humains, chrétiens ou non ? Comment oser dire quoi que ce soit alors que le christianisme na pas réussi à endiguer la barbarie ? La récente affaire de la démission de celui qui devait devenir archevêque de Varsovie et primat de Pologne illustre encore les cicatrisations parfois difficiles du passé. Le pape a accepté sa démission car une enquête (menée par lÉglise) avait révélé quil avait collaboré avec la police secrète de la dictature communiste. Au moins dans cet exemple, les choses ont été dites, non sans courage. Mais parfois, plutôt que de se diviser, il est plus simple déviter certains sujets. Tout groupe humain refoule ses conflits en les érigeant en tabou, en interdit. Même les familles ont leurs secrets. Ce nest sans doute pas la meilleure des solutions mais cela préserve, en tout cas à court terme, les relations humaines. Notre Europe occidentale fut très marquée par ces « silences fraternels ». La France fut aussi meurtrie par la guerre dAlgérie. Les attitudes, souvent opposées entre elles, des chrétiens dans cette guerre ont créé des souffrances encore très vives. Il suffit dévoquer la question de la torture pour que le ton monte dans un synode encore aujourdhui (je lai vécu).
Une autre histoire, nettement moins tragique cependant, marque encore nos esprits : mai 68. Ou plutôt les années 60 et 70. La politisation de tous les débats fut à son comble et eut souvent comme effet de vider les églises. Le reproche, sans doute justifié, fut que cette politisation évacua toute notion de spiritualité et de théologie. La pétition avait valeur de prière et le discours politique de théologie. Plutôt que de penser en terme de complémentarité, on eut tendance à supplanter lun par lautre. Même nos facultés de théologie furent politisées, comme toutes les autres universités dailleurs. Il y avait les facs de gauche et les facs de droite, souvent radicales les unes et les autres. Le discours théologique sappauvrit en se fondant dans une idéologie politique. Du coup, prononcer le mot « politique » est, aux yeux de certains, revenir à cette époque décriée et redoutée. Or, aujourdhui, risquer de vider les églises cest courir le risque de la mort des paroisses, vue lérosion de nos statistiques.
Don Camillo et Peppone, une image du difficile dialogue entre Église et État. Photo DR.
Le complexe césaro-papiste
Il est vrai que le passé de lEurope « chrétienne » ne plaide pas en faveur dune trop grande collusion entre politique et Église. Lhistoire nous montre que lalliance du sabre et du goupillon, le fameux « césaro-papisme » (système de gouvernement temporel [César] qui, dans une volonté de domination universelle, cherche à exercer son pouvoir sur les affaires religieuses [pape]), nengendre pas que de belles choses. Lactualité nous montre aussi que partout où religion et pouvoir fonctionnent ensemble, on court le risque de larrogance et de la perte des libertés humaines les plus fondamentales. Cest vrai dans des pays « musulmans » (la dictature iranienne des ayatollahs) comme dans des pays « chrétiens » (linfluence des fondamentalistes sur la politique du président américain). Cette dénonciation doit être faite partout et en tout temps. Mais, à vouloir éviter le césaro-papisme, ne sommes-nous pas devenus muets ? La foi étant désormais du domaine de lintime (et non plus seulement du privé), il est déplacé de dire quoi que ce soit de public au nom de sa foi. Il est même fortement recommandé à un homme politique de taire, voire de cacher, ses convictions religieuses. Lexpérience de la laïcité française, bien que largement positive, nous fait courir le risque dune schizophrénie des convictions, qui renforce le divorce entre foi et politique.
Par ailleurs, la laïcité française, qui est une expérience parmi dautres, est à intégrer dans cette évolution plus vaste de la sécularisation de la religion. Cela a eu pour effet de « déconnecter » la foi de la morale. Plusieurs personnes peuvent avoir une même morale, un même engagement, mais au nom de convictions différentes. Un athée, un chrétien, un musulman, un juif peuvent se retrouver sur le terrain de laction. On découvre alors une fraternité de laction plus que de la conviction. Au sein dune association, dun syndicat, dun parti politique, tous agissent dans le même but. Parler des fondements, philosophiques ou religieux, de chacun fait courir le risque de la division. Autrement dit, on ne parle pas plus de religion dans les partis politiques que lon ne parle de politique dans les églises Là encore, le divorce est consommé.
Funérailles de layatollah Khomeyni. Photo DR.
Une nouvelle donne : lIslamisme
La situation internationale inquiète toute la planète. Cela va de soi. Certains vont jusquà évoquer un « conflit des civilisations ». Ce que lon observe, image après image dans les médias, ce sont ces « fous de Dieu » invoquant Dieu avant dassassiner des innocents. Cela, et cest le moins que lon puisse dire, ne redore pas le blason des religions. Car au-delà de lamalgame entre islamistes et musulmans, cest lensemble des religions qui est touché. Le cliché « les religions napportent que la guerre » a le vent en poupe, parfois même relayé par des intellectuels. Ceux-ci dailleurs critiquent une religion qui nexiste plus depuis longtemps. La religion sert de repoussoir pour affirmer des convictions « plus modernes ». Le dialogue entre théologie et politique devient, dans ce contexte international, une réalité difficile.
Toutes ces raisons expliquent sans doute cette difficulté, pour ne pas dire parfois cette impossibilité, à évoquer la religion en milieu politique et la politique en milieu religieux. Et pourtant, sans vouloir revenir au mélange des genres et au césaro-papisme, je crois que le chrétien ne peut ignorer, ni spiritu-ellement, ni théo-logiquement, la question politique. Navons-nous rien à dire sur « les affaires de la cité » (sens étymologique du mot « politique ») ? Sommes-nous condamnés à névoquer que la cité « céleste » et laisser aux politiques le soin de soccuper des affaires de la société ?
Visite de Benoît XVI en Turquie. Photo DR. |
Lincarnation désigne souvent la théologie selon laquelle Dieu se serait fait homme en Jésus Christ. Ce fut lobjet de nombreux débats dès les origines et on définit, notamment à partir de cette notion, le concept de « trinité » et de « double nature du Christ ». Mais si le débat semble sêtre focalisé sur cette notion de « nature » du Christ, il en vint sans doute à oublier la vie de Jésus. Le Symbole des apôtres locculte même complètement : à peine « né de la Vierge Marie », le voilà qui « souffre sous Ponce Pilate », sans même lui laisser le temps de vivre, de rencontrer, de libérer, daimer, d « incarner » Dieu dans sa vie.
Une spiritualité de lappartenance humaine
Nos lectures des textes bibliques sont sans doute trop influencées par la philosophie néo-platonicienne du IIIe siècle (Plotin notamment). Lorsque le prologue de Jean affirme « la parole sest faite chair », il ne désigne pas la même chose par ces mots que la philosophie qui apparaîtra 150 ans plus tard ! Dans la culture juive, la notion de « chair » ne vise pas essentiellement lontologie, la « nature » humaine, mais, plus simplement, notre « condition » humaine, notre vie quotidienne. Autrement dit, la Parole a quelque chose à dire de notre condition humaine, de notre existence en société, des affaires de la cité. Jésus « vit » la Parole jusque dans sa quotidienneté. Le christianisme peut alors développer une spiritualité de lappartenance humaine. Il nest pas une religion de la fuite du monde mais il fait le choix du monde.
Il est vrai que, là encore, le christianisme a été influencé par une forme de néo-platonisme qui dévalorisait la condition humaine. La perfection était conçue comme objectif quil fallait atteindre dans lau-delà de notre vie. La notion de « paradis » prit son essor, vite accompagnée par son frère ennemi « lenfer ». Quimporte alors lengagement pour la justice dans le monde puisque le Royaume (identifié au paradis, ce qui est loin dêtre évident dun point de vue biblique) est après notre mort. Pire, une certaine compréhension du paradis servit de vague consolation aux misères du monde. La fuite plutôt que le combat.
Il me semble quune théologie de lincarnation nous invite, au contraire, au combat résolu contre tout ce qui risque de défigurer notre humanité. En dautres termes, lincarnation réconcilie la cité de Dieu et celle des hommes. Cest aussi le sens profond du mot « Emmanuel », Dieu avec nous, le « nous » désignant ici lhumanité tout entière. Il faut dailleurs ici noter que lhistoire a eu tendance bien souvent à « limiter » la portée de ce « nous », en le réduisant à lÉglise par exemple (hors de lÉglise, point de salut) ou à un pays (« Gott mit uns » sur le ceinturon des soldats allemands). La portée universelle du message chrétien, cette spiritualité de lappartenance humaine, interdit tout nationalisme restrictif, en opposition aux autres nations ou peuples. Cest pour cela, entre autres, que lextrême droite est incompatible avec le christianisme, même si lhistoire nous a parfois montré un autre visage. Hélas !
Sengager pour le monde cest chercher, à la suite du Christ,
à « incarner » la Parole,
à la traduire en actions concrètes,
en projets de société, bref
en actions politiques.Une éthique de lengagement
Fort de cette théologie de lincarnation, le chrétien vit dune éthique de lengagement. On peut reprendre indéfiniment le débat entre Calvin et Luther sur le troisième usage de la Loi. Celui-ci a agité le monde protestant et continue parfois encore à agiter le microcosme des Églises. Ce débat peut se résumer en une question : est-ce que de la foi découle une éthique ? Peu importe à la limite, du moment que le chrétien a une éthique La sécularisation nous a au moins permis de dépasser ce débat sur les fondements de léthique au profit de la question de la finalité éthique : que visons-nous lorsque nous agissons pour le monde ? Avec une vision du monde, avec une « espérance », on cherche à agir pour améliorer le monde. On peut, sans complexe, le faire avec dautres qui le font au nom dune autre vision. Lorsque lon cherche à traduire cette espérance en termes politiques, souvre alors lespace de linterprétation. On entre dans le débat démocratique. Il y a, du point de vue de lÉvangile, autant de légitimité pour chacune des propositions politiques démocratiques. Un chrétien peut être de gauche, du centre ou de droite. Je naccepterai jamais le simplisme qui consisterait à déduire un vote de lÉvangile (lorsque lon est dans une alternative démocratique). Ce serait occulter tout cet espace de linterprétation, tout cet espace de lengagement. Ma seule certitude cest que lÉvangile me pousse inévitablement à me soucier de la question politique.
Une théologie de la Création
Dès lors que je place mon engagement dans lespace universel, jaffirme ma foi en un Dieu Créateur. La spiritualité de lappartenance humaine va de pair avec lintégration de cette humanité dans une notion de volonté, de projet divin. Dans la théologie du process notamment, Dieu est compris dans sa finalité plus que dans sa causalité. Le Créateur est celui qui donne un sens à la création. On a souvent opposé, notamment dans la lecture que lon fait de lAncien Testament, la théologie de la Création à celle du « Salut ». Doit-on encore opposer ces notions ? Le salut, la « libération », la finalité de lhistoire passe par la prise en compte du rôle spécifique de lhumanité au sein dun ensemble plus vaste qui est notre monde. Je ne crois pas, par exemple, quil faille opposer, ni même choisir, entre la recherche de la justice et la défense de lécologie. Nous, humains, sommes auteurs de création et, parfois de « dé-création », de retour au chaos. Lorsque nous défigurons la nature, nous défigurons lhumanité ; lorsque nous portons atteinte à la justice, nous défigurons lhumanité.
Sengager pour le monde cest chercher, à la suite du Christ, à « incarner » la Parole, à la traduire en actions concrètes, en projets de société, bref en actions politiques.
Une image symbolique du poids de la noblesse et du clergé sur le Tiers-état peinte sur une assiette de lépoque révolutionnaire. Paris, coll. part. |
On la bien compris : sil existe des votes illégitimes du point de vue du christianisme, il ne saurait exister un seul vote légitime. Mais je crois que le protestant libéral (théologiquement parlant) peut aborder sa propre recherche dinterprétation avec une certaine « posture », un certain « style », caractérisé par un certain nombre déléments. Jen propose sept :
1. la réhabilitation du politique
On ne peut se contenter dêtre les perroquets ou les marionnettes dune idéologie. La recherche libre simpose en politique comme en théologie. Cest un travail exigeant. Mais la merveille de la politique, cest précisément lalliance de laction et de la réflexion. Aménager lespace urbain, par exemple, ne se fait pas uniquement de manière « pragmatique » ; cela se réalise au nom dune certaine vision de la société quil faut définir, conceptualiser. Lemplacement dun pot de fleur dépend parfois dun concept ! Il me semble que les protestants libéraux portent en eux ce double souci de la réflexion intellectuelle et de laction en faveur de la société que lon veut construire. Soyons des intellectuels pratiques, existentiels.
2. la critique évolutive
Les dogmes qui ont la prétention de léternité ne nous plaisent guère Il en va de même en politique. Il sagit daccompagner, voire danticiper parfois, les évolutions de la société. Non pour en devenir les « suiveurs », mais pour prendre le temps dune réflexion critique sur la société et ses mouvements. Notre critique ne peut alors se figer dans le marbre dune tradition, mais elle doit épouser les fluctuations de la société.
3. des propositions pour lhomme
Si la critique est indispensable, elle ne doit pas nous dispenser dinvestir le champ du politique en faisant des propositions. Les Églises sont parfois (souvent ?) en position dattentisme et attendent que les lois soient votées pour les critiquer. « Protestant » ne signifie pas uniquement « râleur » mais aussi « témoin pour » (pro-testimonium). Dautres cercles de convictions (par exemple la franc-maçonnerie) réalisent un travail en profondeur qui débouche parfois sur des propositions de loi. Nous avons, nous aussi, notre place dans les débats de société, sans honte et sans arrogance.
4. le rôle social des religions
Les convictions dun individu font partie de son identité. De ce fait, toute religion peut être appréhendée dun point de vue social, comme conviction faisant partie du débat didées et didentités dans la société. Cet aspect « identitaire » lui confère une mission sociale, celle de favoriser la coexistence des groupes et des individus. Nombreux sont les responsables politiques qui lont compris et sappuient sur les « communautés » religieuses pour maintenir la paix sociale. On peut ainsi sortir de lopposition stérile entre communautarisme et uniformisation de la société. Le protestant libéral se sent particulièrement à laise dans ce modèle dunité dans la diversité. Oserais-je dire que nos convictions libérales sont davant-garde ? Je le crois ; sincèrement. Nous refusons autant les replis (égoïsme ou communautarisme) que les tentatives duniformisation. Nous pouvons devenir moteur dans ce rôle social, et donc politique, des religions.
5. action locale et universelle
La « mondialisation » est devenue une réalité, avec son cortège de difficultés et dinégalités. Devons-nous rester passifs et nous contenter de « prendre acte » ? Le christianisme est, dès sa fondation, une forme de mondialisation. Son message a une portée et une vocation universelles. Nous croyons « lÉglise universelle », quelle que soit la définition et les limites de celle-ci. Ne sommes-nous pas précurseurs en la matière ? Or, si lhistoire chrétienne na pas toujours été moralement exemplaire, elle a aussi été semée de prises en compte positives de cette « mondialisation ». Des systèmes dentraide, de solidarité entre les Églises surs, et du coup entre les peuples, ont vu le jour ; des structures internationales ont été créées (Vatican pour les catholiques, COE Conseil cuménique des Églises pour les autres). Nous sommes convaincus aussi quune action locale est toujours reliée à une réalité universelle. Cest lun des sens de nos cultes. Ceux-ci ne sont pas que la prière dun club restreint, mais porte lensemble de lÉglise. Par cette longue histoire universelle, ne pouvons-nous pas être une parabole de ce que pourrait être la mondialisation ? Là encore, le modèle dunité dans la diversité peut avoir sa pertinence.
6. la nuance comme style politique
Le protestant libéral aime la polémique quand celle-ci est intelligente et respectueuse. Il abhorre les idées trop simples, les lieux communs de la pensée. Toute réflexion est une recherche plus quune certitude. Elle ne peut se faire quen dialogue. Le protestant libéral a non seulement une « éthique de la conversation », pour reprendre une expression chère à Olivier Abel, mais aussi une « théologie de la conversation ». Cette manière de procéder évite les simplismes et les réductions, en acceptant la complexité des problématiques. Il en va de même en politique. Les réponses simples aux questions complexes sont souvent dangereuses. On ne peut se contenter dappliquer aveuglément des principes édictés une fois pour toutes. Pour reprendre la distinction classique, il nexiste pas déthique de conviction sans éthique de responsabilité. De plus, cette culture du dialogue évite les enfermements partisans définitifs. Certes la démocratie est un rapport de forces, mais plusieurs partis (dans lespace démocratique) peuvent avoir de bonnes idées. Ni adhésion aveugle, ni condamnation systématique. Cela explique sans doute quil existe peu de votes extrêmes chez les protestants libéraux. Et, quand ils existent, ils sont plus lexpression de peurs, dangoisses ou de frustrations que de convictions établies.
7. la volonté de débat
En tant que pasteur, je me tiens à un strict devoir de réserve quant à mes convictions politiques, notamment dans la prédication. Mais deux remarques simposent. Tout dabord, il mappartient, par mon souci de fidélité à lÉvangile, de rappeler lincompatibilité entre certains votes et la foi chrétienne, si diverse soit celle-ci. Dautre part, ce devoir de réserve fait partie de la déontologie pastorale (et jy tiens !) dans lexercice de fonctions et de responsabilités, mais il ne sapplique pas à lensemble de lÉglise. La réserve pastorale ne signifie pas le silence des chrétiens. Et pourquoi ne pas imaginer alors, puisque nous sommes frères et surs, unis et divers, que lon puisse débattre entre nous, sans animosité ? Le débat est indispensable à la recherche de la nuance. Il est un vaccin contre limbécillité.
Être chrétien cest choisir daimer le monde ; sengager politiquement, cest choisir de servir le monde. Ne pouvons-nous pas faire un bout de chemin ensemble ?
À partir de droite : le pasteur Vissert Hooft, président du conseil cuménique des Églises, Rajkumari Amrit et Kaur Jawaharlal Nehru, prés. de République Indienne à loccasion du Congrès du COE à New Dehli, 1961. |
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