Les évangiles marquent un
certain embarras pour expliquer la résurrection. On le serait
à moins. Comment expliquer que lon puisse être mort
et vivant à la fois ? Le genre littéraire utilisé
est celui des apparitions. Elles se placent au-delà de lhistoire,
dans un monde qui force la réalité, pour mieux communiquer
des impressions fortes ; de la même façon que les peintres
impressionnistes forçaient la réalité des couleurs
et des formes pour mieux exprimer des vérités ultimes,
que la simple description de ce quils avaient vu serait incapable
de signifier.
Cette rencontre sur le chemin dEmmaüs témoigne dun
perpétuel quiproquo entre Jésus et ses deux compagnons
de route. Lorsque Jésus parle, ses compagnons ne le reconnaissent
pas, et lorsquils le reconnaissent il a déjà disparu.
Le Ressuscité se situe entre la présence et labsence,
dans une rencontre irréelle qui se conclut par un repas manqué,
puisque tous les convives quittent la table les uns après les
autres avant même davoir commencé à manger.
Présence insaisissable du Ressuscité, utilisée
par Luc pour signifier le paradoxe de cet homme qui est mort, mais qui
rencontre toujours les siens.
Michelangelo Merisi, il Caravaggio,
La Cène dEmmaüs. Londres, National Gallery.
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Sur la route, les deux disciples se perdent dans des explications
sur un tombeau, sur des gens qui y sont allés et nont pas
vu le corps, comme les compagnons de route ne voient pas le Maître
en ce moment. Personne ne voit rien dans cette histoire. Jésus,
toujours incognito, les rabroue vivement en leur expliquant quils
ne trouveront pas leur Jésus dans un tombeau, mais dans lÉcriture
et dans les paroles des prophètes. Ces paroles qui réclament
inlassablement la justice dans la vie sociale et la protection des personnes
« en difficulté ». Nous voyons bien dici Jésus
leur dire : « Ayez dabord le cur et lintelligence
pour comprendre dans quelle tradition prophétique votre Messie
sinsère, et vous verrez alors que vos histoires de tombeau
sont dérisoires ». Les compagnons ne saisissent toujours
pas bien, mais sont suffisamment intrigués pour retenir cet étrange
personnage à dîner.
Jésus nest vraiment reconnu quen rompant le pain,
tellement les disciples lavaient vu souvent faire ce geste auparavant.
Sitôt reconnu, sitôt disparu, avant même davoir
mangé le pain. Le Jésus qui leur reste est dans la mémoire
de cette Écriture qui leur fut enseignée en chemin et
dans cet exemple du pain partagé.
Au même instant les deux disciples « se relèvent
». Le verbe employé (anisthémi) est le même
que celui traduit habituellement pas « ressusciter ». Les
disciples sont donc suscités à nouveau par cette rencontre,
remplis dune force nouvelle qui les fait changer de plan, renoncer
à leur repas et refaire, le ventre creux, la longue route vers
Jérusalem pour annoncer la bonne nouvelle : « Jésus
nous a parlé en chemin, il nous a expliqué lÉcriture.
»
Les disciples sont ressuscités davoir compris lÉcriture.
Jésus est ressuscité de lavoir expliquée.
Il nest plus dans la mort du tombeau, mais sur la route qui ouvre
à cette mémoire écrite récapitulant la sagesse
des anciens et le besoin de lamour.
Si vous cherchez à me voir, dit le Jésus de Luc, dans
un tombeau, ou le long dune route, ou autour dune table,
vous ne me verrez pas. Si vous croyez me voir, ce nest déjà
plus moi. Car je ne suis plus que Parole, Verbe de Dieu, Esprit saint.