«Lautorité
a disparu du monde moderne », écrivait déjà
en 1954 Hannah Arendt. Les réalités contemporaines confirment
cette analyse visionnaire. Je vois cinq raisons à cette «
crise de lautorité » qui touche des domaines aussi
divers que la famille, lécole, la justice, les Églises.
Il y a dabord les dérives tragiques des
pouvoirs autoritaires qui ont laissé dans lhistoire des
blessures inguérissables. Elles alimentent un regard critique,
permanent et nécessaire à légard de lautorité.
Une deuxième raison réside dans un rapport
au temps devenu problématique. Notre société semble,
en effet, ne plus disposer dune mémoire vivante. Elle nest
plus ordonnée à la reproduction et à la transmission
dun héritage. Or cest linscription dans une
tradition qui autorise à faire uvre de création
en inscrivant lauteur dans une précédence.
Troisième motif, lindividualisme contemporain.
La sincérité et lémotion subjectives sont
devenues normes et critères de ce qui est vrai, mettant à
mal toute autorité qui prétendrait être porteuse
dune vérité ou au moins indicatrice de valeurs communes,
reconnues par tous.
Cette « sincérité triomphante »
ouvre sur une quatrième raison, à savoir leffacement
et même la délégitimation des instances et fonctions
dautorité. Les institutions qui établissent le lien,
permettant ainsi de vivre avec les autres dans le temps et dans lespace,
sont aujourdhui soupçonnées, fragilisées,
voire disqualifiées. Or comment « vivre ensemble »
sans autorité reconnue à des institutions, à des
fonctions, à des personnes ?
On touche là la dernière raison, peut-être
la plus fondamentale, à la crise de lautorité. Elle
se manifeste dans une réticence générale à
faire crédit ou créance à un autre que soi-même.
Comme si cette dissymétrie de lautorité dans la
relation était devenue insupportable à nos sociétés
démocratiques, fondamentalement égalitaires. Pourtant,
sans cette confiance qui « accrédite » lautorité,
celle-ci risque de ne se réduire quà un sinistre
jeu de pouvoirs.
Michel
Bertrand