Une liturgie pour aujourd’hui
! Voilà le thème d’une session de formation proposée
aux pasteurs au mois de mai dernier. Titre accrocheur pour un enjeu
majeur pour nos Églises. De quoi avons-nous parlé ? D’orthodoxie
liturgique, de tradition, de retour aux sources, de célébration
de la cène dans l’Église primitive. Nous avons aussi
appris quelques nouveaux chants en latin et découvert qu’il
existait un certain nombre de livres codifiant les gestes, postures
et regards à destination des liturges.
Cette formation proposée par des institutions
ecclésiales et animée par les responsables de commission
liturgique de nos Églises montre combien le « semper reformanda
» (toujours à réformer) est une formule de laboratoire
plus qu’une réalité concernant le concret de la vie
d’Église. Ce n’est pas en se réfugiant dans
une théologie des antiquaires que nous pourrons répondre
à l’éternelle question de l’inscription de l’Évangile
dans notre présent.
Une théologie simple et moderne en semaine
Ce décalage entre l’attendu et le vécu
est celui de bien des personnes que nous rencontrons à l’occasion
d’une célébration ou d’une conférence.
À l’issue d’un enterrement ou d’un mariage, les
personnes viennent voir le célébrant et disent de manière
quasi systématique combien ils se sont sentis rejoints dans la
situation de joie ou de peine qui était la leur, combien ils
se sont sentis concernés par la Parole et les paroles proclamées,
combien la théologie protestante leur semblait moderne, simple,
actuelle.
Dans un autre registre nous pourrions parler des nombreuses
tables rondes, conférences, cafés théologiques
où nos convictions s’expriment en dialogue et en tension
avec les sciences humaines et la culture contemporaine. Un souffle de
liberté est alors ressenti par les participants voyant combien
intelligence et foi se conjuguent joyeusement.
Tout au long de la semaine nous annonçons avec un certain bonheur
l’Évangile dans des entretiens, lors de célébrations
plus ou moins privées ou de rassemblements plus importants. La
bonne nouvelle a semblé actuelle et accessible pendant toute
la semaine, malheureusement il y a le dimanche matin.
Un culte pour initiés le dimanche
Le dimanche matin est le lieu du divorce entre l’expression
théologique de nos convictions et la célébration
exprimant par la prière, les chants et la prédication
ces mêmes convictions. Subitement il n’est plus question
de modernité, de liberté, d’acculturation mais d’un
culte s’adressant essentiellement à des initiés.
Il n’est plus question de culte public mais d’une célébration
pensée pour un groupe social qui se rêve encore homogène.
Groupe homogène : cela a été en
grande partie vrai que ce soit à Vernoux en Vivarais, à
l’Étoile à Paris, à La Rochelle ou à
Saint Jean du Gard. Homogène dans sa diversité donc !
Dans un protestantisme largement endogame, la pratique religieuse est
familiale. Le renouvellement de l’Église réformée
suit un modèle généalogique dans lequel chacun
apprend par imprégnation à aimer le psautier huguenot,
à entrer dans le dialogue liturgique et à aiguiser son
esprit au fil des prédications aussi intelligentes que subtiles.
Le culte n’est pas pensé pour des familles mais pour des
adultes ayant des enfants. Une école du dimanche ou une garderie
permet de tenir les braillards à distance.
Mais les « nouveaux protestants » ne parlent
pas couramment « le réformé »
Mais voilà, ce protestantisme-là est pour
ainsi dire mort et dans bien des lieux la majorité des personnes
participant au culte n’est pas issue du protestantisme et vient
d’horizons culturels extrêmement variés. Ces «
nouveaux protestants » ne parlent pas « le réformé
» couramment et n’aiment pas forcément la musique
baroque. Ils ne sont pas sensibles au rythme de la joie chez Bach ni
à la liturgie d’Eugène Bersier revue et corrigée.
Ils ont des yeux pour voir, des mains pour toucher, un corps pour bouger
et sont sensibles aux émotions.
Bien sûr notre culte protestant réformé
est encore nourrissant pour une frange non négligeable des membres
de nos communautés parce qu’il est riche de sens. Il répond
vraiment à l’attente des personnes qui, à force de
présence, ont réussi à entrer dans la logique des
célébrations. Mais que faire de ceux qui n’ont pas
la patience, ou la soif, ou la motivation pour aller au-delà
de la période d’initiation au langage si spécifique
d’un culte réformé ? Ils sont pourtant nombreux,
dans les villes, ceux qui entrent pour la première fois dans
un temple.
À l’heure où l’Église
réformée, de synode en synode, proclame sa volonté
de s’engager toujours plus dans la mission d’évangélisation
qui est la sienne, il est plus que temps de s’interroger sur notre
manière de vivre le culte. Pour que l’exposé de notre
pensée théologique dans l’espace publique ne relève
pas d’une logique de séduction sans lendemain, mais qu’au
contraire elle soit l’occasion d’un approfondissement spirituel,
il est nécessaire d’articuler cette démarche dans
ce qui est à la fois l’ordinaire et le centre de la vie
communautaire, à savoir nos célébrations dominicales.
Avoir le courage de penser autrement
Nous voulons un culte qui permette à chacun, quels
que soient son âge et sa culture, d’entendre une parole qui
le concerne dans la situation particulière qui est la sienne.
Le principe du « semper reformanda » devrait nous permettre
de nous interroger librement sur notre manière de célébrer
pour atteindre cet objectif. Nous avons tellement résisté
devant le changement qu’il ne s’agit plus de se demander quel
lifting il faut appliquer au culte, mais avoir le courage de penser
autrement sans être obnubilé par les « il ne faut
pas faire catho » ou les « ça fait évangélique
».
Personnellement il me semble qu’il faudrait réfléchir
sur l’incarnation de cette parole qui nous fait vivre. Donner plus
de chair à la Parole !
Prédicateur régulier, je sais le temps
que prend la préparation d’une prédication et pourtant
je sais aussi que ce qui fera la différence entre un bon et un
mauvais culte ne sera pas tant le contenu de la prédication que
l’ambiance, l’atmosphère. Si l’impression qui
est gardée est la joie, la joie dans la relation, la joie ressentie
et exprimée notamment au travers d’un répertoire
renouvelé de chants, alors ce sera un bon culte. Un bon culte
aussi parce que l’écoute de la parole proclamée sera
facilitée.
Un des thèmes majeurs de la prédication
réformée est certainement celui de la grâce. Nous
en parlons beaucoup mais nous pourrions essayer de vivre plus concrètement
cet accueil inconditionnel qui nous fonde. Connaître les personnes
qui viennent par leur nom. Les reconnaître dans ce qu’elles
sont et ce qu’elles font. Les soutenir dans leur engagement ou
leur préoccupation. Prendre des nouvelles des uns et des autres.
Autant d’attitudes concrètes, d’attentions et d’intentions
qui sont synonymes de vie. Notre réflexion pourrait alors s’étendre
à l’aménagement intérieur de nos temples en
nous demandant ce que nous donnons à voir de notre conception
de l’Église et du type de relation que nous y organisons.
N’y a-t-il pas ici une pertinence à redécouvrir ce
message de la grâce incarnée dans une société
qui produit de l’isolement ?
La communication passe aussi par les émotions
et le corps
Un catholique sourd peut suivre une messe sans trop de
problème tandis qu’un protestant peut être aveugle
pour assister à un culte. Voilà ce que nous disions avec
une certaine fierté. L’incarnation passe par la prise en
compte de tous les sens. Aujourd’hui la communication passe au
moins autant par le visuel, les émotions et le corps que par
l’oral. Nous devons résolument sortir de nos codes de communications
pour nous ouvrir aux langages des personnes qui viennent à nous.
C’est à nous de faire l’effort de les rejoindre dans
leurs repères culturels et dans leurs manières d’apprendre
et de s’exprimer et non l’inverse. Après tout, c’est
bien ce qu’ont recherché les Réformateurs en abandonnant
les messes en latin et en réformant le chant d’Église.
De notre côté, l’enjeu serait plutôt du côté
de l’interactivité et du visuel.
Il s’agit donc toujours de la même exigence
de recevoir et d’exprimer la parole qui nous fait vivre mais dans
un langage adapté à la capacité de réception
des personnes qui se trouvent à la marge de nos communautés.

Frédéric
Keller