Numéro 214
|
Carlos Cruz-Diez : Physiochromie n° 1258. 50 x 70 cm. Paris, 1988. |
Comment aujourdhui définir « la famille » ? Quest-ce qui fait le lien familial ? Le mariage à léglise ou à la mairie, la vie sous le même toit, lamour, les gènes communs ? En tout cas un sondage, réalisé par la SOFRES en 2000, a montré que « la famille » vient largement en tête des mots très importants pour les 15-24 ans ! Loin de la phrase dHervé Bazin : « Où peut-on être mieux quau sein de sa famille ? Partout ailleurs ! »
Depuis plusieurs dizaines dannées les divorces, les enfants nés hors mariages, les remariages de divorcés se multiplient. On voit apparaître des familles monoparentales (un seul parent) et des familles homoparentales (deux parents du même sexe). La « famille recomposée » (terme apparu récemment) est devenue une banalité.
Autrefois on se remariait après le décès de son conjoint. Aujourdhui les remariages sont devenus indépendants des décès, si bien quil ny a plus seulement un couple et ses enfants, mais le couple actuel avec ses enfants, les enfants des précédents mariages, les anciens conjoints qui sont rarement très loin, les nouveaux enfants des remariages des anciens conjoints, sans parler des parents des conjoints
Ces nouvelles façons de vivre entraînent-elles automatiquement des traumatismes psychiques ? Certainement pas, répondent les conseillers familiaux et les thérapeutes ; mais il y a néanmoins des conditions nécessaires pour faire une famille heureuse.
Jean-Paul Sauzède, pasteur, et Anne Sauzède-Lagarde, tous deux psychothérapeutes de la famille et du couple, ont récemment écrit Former une famille recomposée heureuse (InterEditions, 2005). Ils précisent dans les pages qui suivent ce qui, à leur avis, détermine les liens familiaux permettant lépanouissement des personnes.
Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne
Carlos Cruz-Diez : Chromosaturation. Labyrinthe de la couleur pure. Dimensions variables. Paris, 1965 . |
La famille pouvait être antérieurement définie comme un ensemble de personnes vivant sous le même toit, ou encore comme espace légal de transmission des biens ou comme le rassemblement de ceux qui sont liés par des liens de sang.
La réalité sociale du divorce, des recompositions familiales, des familles monoparentales, homoparentales nous contraint à dautres approches.
Une réalité sociologique est à prendre en compte. Plus dun couple marié sur deux aujourdhui à Paris divorce. Le titre dun film était à ce sujet évocateur : « Chic mes parents divorcent ! ». La séparation et la recomposition familiale se banalisent. Le divorce est considéré comme une bonne nouvelle, à limage dun départ en vacances ! Nous connaissons le mot denfant interrogeant ses parents : « Papa, maman, pourquoi vous ne divorcez pas ? » Comme si lenfant se sentait hors norme lorsquil continue à vivre avec ses deux parents biologiques.
Pour autant, la majorité des enfants continuent à vivre au sein de leur famille dorigine. Limpermanence suscite plus danxiétés et de contraintes dadaptation, pour les enfants comme pour les parents, que la permanence qui par nature est moins sujette à changements et controverses.
Cette réalité de limpermanence sétend au-delà de la famille et affecte différents domaines du quotidien : le champ professionnel confronté à la nécessité dune mobilité géographique et de changements de métier ; limpermanence touche aussi nos frontières intellectuelles et politiques, nous confrontant au quotidien à une autre monnaie, à une identité nationale changeante et des croyances remises en cause dans leurs fondements.
La famille recomposée a toujours existé suite au décès dun membre parent par maladie, à la disparition de lhomme à la guerre ou encore aux décès en couches pour les femmes. La famille recomposée a toujours existé, même si elle nétait pas nommée comme telle, ni choisie par aucun de ses membres. Les historiens de la famille estiment à 10 % les familles qui étaient recomposées. Le pourcentage est sensiblement le même aujourdhui. Au point que nous nous interrogeons sur cet invariant, comme une sorte délément constitutif de la société.
Les causes actuelles de la recomposition familiale et donc ses fondements sont radicalement différents. Hier, il y avait contrainte due au décès de lun des deux parents, suivie souvent dune obligation de recomposition pour subvenir aux besoins matériels ou éducatifs des enfants. Aujourdhui la recomposition est un choix qui suit un autre choix délibéré, au moins pour un des parents : celui de la séparation ou du divorce. Une statistique en témoigne : une femme sur cinq et un homme sur trois ont rompu leur première union, toutes générations confondues.
La famille recomposée est qualifiée comme telle par la sociologue Sylvie Cadolle seulement depuis 1987. Jusque-là elle nétait pas désignée, sauf par le biais du parent qui « refaisait sa vie », ou se remariait. La prise en compte de la recomposition familiale, incluant donc les enfants, reste un phénomène récent.
Trois enfants de moins de 25 ans sur dix vivent dans une famille qui nest pas composée dun couple et de ses enfants. Ils peuvent donc vivre dans une famille monoparentale ou dans une famille recomposée, mais ils ne sont pas avec leurs deux parents biologiques.
Plus dun million et demi denfants sont concernés en France par les recompositions familiales dont les deux tiers cohabitent avec un demi-frère ou une demi-sur.
Toutes ces nouvelles situations, vécues par les enfants et les adultes, obligent à ajuster ces relations à la réalité du quotidien.
Familles monoparentales, recomposées, homoparentales, mais aussi les procréations assistées ou les familles adoptives interpellent les liens familiaux. Tout, dans ces systèmes familiaux, est objet de négociation. Ces nouvelles familles sont contraintes de se poser des questions sur le fonctionnement familial, ce que les familles dorigine peuvent passer sous silence car ces dernières sappuient, certes souvent de façon illusoire, sur les liens inaliénables du sang et sur des fondements extérieurs de la morale sociale. Rien nest évident ni inaliénable dans les nouvelles compositions familiales. La fragilité du système entraîne plus douvertures et dinterrogations sur la vie familiale et sur le monde. De ce fait les nouvelles configurations familiales nous obligent à réinterroger ce qui constitue la famille aujourdhui.
La réponse peut paraître simple : au moins des parents et un enfant !
Laffaire est plus complexe : un, ou deux parents ? Séparés ou sous le même toit. Des parents biologiques, adoptants ? Si un des parents est absent et quun autre adulte, sans lien de sang avec les enfants est lui présent, ceux qui sont là ensemble, adultes et enfants, constituent-ils une famille ?
Ladulte présent sous le même toit, mais sans lien de filiation avec lenfant peut-il être aussi considéré comme parent ? Avec quels droits et quels devoirs ?
Si deux adultes dun même sexe vivent avec un enfant issu dau moins un des deux adultes, constituent-ils aussi une famille ?
Un groupe dadultes et denfants pourrait-il constituer une famille ? Sur quelles bases ?
Quest-ce qui est nécessaire pour que des parents ayant ou non des liens biologiques avec des enfants constituent une famille ? Lamour ? Mais si lamour est absent entre parents et enfants ayant des liens biologiques ils ne constitueraient donc plus une famille ? Y a-t-il alors primauté des liens de cur sur des liens de sang ?
La filiation biologique est-elle un constituant nécessaire pour quune famille existe ? La réponse aujourdhui est clairement négative. Les nouvelles configurations familiales nous obligent à reconnaître que notre vision de la famille comme regroupement de personnes reliées par des liens de filiation est aujourdhui caduque.
Notre travail clinique de psychothérapeutes de la famille et du couple nous conduit à différentes observations et convictions.
Nous considérons la famille comme un système, cest-à-dire comme un ensemble déléments constitué par chacun des membres qui interagissent entre eux.
Nous posons un certain nombre dhypothèses : afin que ce système familial fonctionne de façon fluide, il a besoin pour se développer de se constituer autour dune hiérarchie reconnue, avec des fonctions distinctes et des frontières clairement marquées. Ce système sinscrit dans des lignées transgénérationnelles.
Lorsque aujourdhui nous recevons des appels pour des jeunes enfants ou des adolescents qui sont en difficulté, nous demandons dabord à rencontrer la famille. Cest-à-dire toutes les personnes vivant sous le même toit. Le travail avec la famille permet alors dobserver que la souffrance ou les perturbations observées chez lenfant sont le symptôme dune perturbation familiale. Le symptôme nest pas le problème, mais le révélateur dun dysfonctionnement du système familial. La difficulté est de dégager la personne (souvent lenfant) porteur du mal-être, dune responsabilité ou culpabilité qui ne lui incombe pas. Le travail consiste alors à observer et travailler, avec la famille présente, soit sur la hiérarchie, soit sur lexercice des fonctions, sur le (non-)respect des frontières ou la place (ou labsence de place) du trans-générationnel au sein de la famille en consultation.
Notre position thérapeutique nest pas de nous intéresser à ce qui se dit ou au contenu du symptôme, mais aux personnes dans les interactions quelles développent au sein du système en présence. Nous allons développer quatre axes, qui, à nos yeux, permettent douvrir le débat actuel autour des nouvelles configurations familiales et de sortir dune conception, certes légitime mais aujourdhui insuffisante, de la famille comme lieu de transmission ou fondée sur les liens de sang.
Nous entendons par hiérarchie, non pas la mise en place de liens de pouvoir, mais la reconnaissance de places générationnelles au sein du système familial.
Cette hiérarchie permet de structurer les relations et mettre en évidence les droits et les devoirs de chacun.
Lorsque dans une famille la mère, par exemple, va traverser une période dépressive, elle va laisser sa place vacante quun des enfants soctroiera par mission. Celui-ci, dans une forme de parentification, prendra une place hiérarchique parentale, alors que la mère occupera, temporairement sans doute, une place denfant.
Il peut arriver quune grand-mère prenne la place dune mère ou dun père, palliant ainsi labsence ou la supposée incapacité de son propre enfant dans ses responsabilités parentales. Ce grand-parent se positionne alors dans une autre ligne générationnelle se trouvant à donner des ordres ou partageant des moments dintimité, comme un parent, avec ses propres petits-enfants. Il confond ainsi symboliquement dans une même ligne générationnelle son enfant et ses petits-enfants. De ce fait il seffectue un glissement de ligne générationnelle. La grand- mère paternelle par exemple peut se retrouver sur la même ligne que sa belle-fille en laissant son fils dans un statut denfant, ce qui permet au grand-parent de ne pas glisser dans sa propre ligne générationnelle.
Labsence de hiérarchie, cest ce que nous vante la publicité en exposant une mère et une fille maquillées et habillées de façon identique, effaçant ainsi la différence de générations.
Cest encore la mère qui va sépancher auprès de sa fille et lui confier ses déboires conjugaux ; cest aussi le père qui va sortir en boîte avec son fils partageant les espaces de loisirs ou dintimité et parfois même les copines !
Ce qui va, entre autres, « faire famille », cest la présence nommée et établie de places hiérarchiques au sein du système. Une famille dont la hiérarchie est perturbée peut engendrer des dysfonctionnements.
Carlos Cruz-Diez : Chromosaturation. Labyrinthe de la couleur pure. Dimensions variables. Paris, 1965 . |
Lorganisation des fonctions est fortement liée à lorganisation de la hiérarchie.
La hiérarchie oblige à regarder « qui est qui pour qui ? » Observer les fonctions au sein dune famille, cest se poser la question : « Qui fait quoi pour qui ? » Ce qui va faire famille, cest la fonction que chacun va avoir pour lautre et comment parents et enfants vont occuper leurs places.
Regarder les fonctions au sein dune famille, cest reconnaître que chaque membre du système a une place particulière. Cette place, doù découle la fonction, donne une responsabilité spécifique : aussi bien celle dassurer les comptes, de faire rire, dêtre celui qui développe les conflits, ou dêtre en retard. Ce qui fait famille, cest que chaque élément du système est en interaction avec une fonction spécifique qui a des répercussions sur lensemble familial.
Dans les nouvelles configurations familiales, nous pouvons être attentifs à la manière dont un beau-père, une belle-mère, un parent avec son beau-fils vont chacun exercer une fonction parentale et comment ils vont ou pas être reconnus dans cette fonction.
Comment et par qui la fonction parentale sera-t-elle partagée ? Est-ce que la belle-fille va accepter lautorité de son beau-père ? Comment la mère va-t-elle partager sa fonction de parent avec son nouveau compagnon ? Va-t-elle imposer à son nouveau partenaire une place identique à celle dun enfant ? Lenfant va-t-il, face à sa mère par exemple, prendre la place laissée vacante par son père ? Le lien de sang à lui seul ne fait pas fonction. La place hiérarchique et la manière dont la fonction parentale est exercée vont permettre de sentir au sein de la famille si la fonction parentale est remplie et reconnue par les enfants et lautre conjoint.
Pour aller plus loin, deux adultes qui ne sont pas ensemble parents génétiques (par procréation assistée, par adoption simple ou entière ou par remariage) exercent pour autant une fonction parentale sur les enfants présents à condition quils soient à une place et une fonction hiérarchique clairement reconnues.
Nous pouvons aussi imaginer la situation de deux personnes du même sexe ayant décidé de vivre sous un même toit avec des enfants. Parce quelles sont à une place hiérarchique et des fonctions parentales clairement reconnues par les enfants et lentourage, elles constituent une famille avec les enfants présents. Dans une perspective systémique de la famille les personnes ne sont pas définies par leur identité sexuelle, mais par leur fonction et leur hiérarchie au sein du système familial.
R. Neuburger, psychiâtre et thérapeute de couple, a particulièrement développé cette notion en précisant que lenfant, pour se développer, a besoin de préserver au moins trois territoires de lintime : celui de son espace matériel et physique, celui de son corps et de sa sexualité, celui de sa pensée et de ses émotions.
Ces trois territoires de lintime sont actifs et constitutifs de la famille. Un non-respect des frontières qui ferait intrusion dans le territoire de chacun peut entraîner de graves distorsions dans les interactions familiales. Le cur de notre identité et notre sens de laltérité se constituent dans ces territoires de lintime.
Ne pas respecter lindividualité de chacun, regarder le carnet intime de son enfant, chercher le code secret du disque dur de son partenaire ou de ses enfants, interchanger fréquemment les chambres des enfants, trop insister pour imposer une idée, un choix politique ou spirituel peuvent être autant datteintes à lintimité de chacun. Les situations extrêmes de linceste et des violences physiques sont dans cette perspective une négation des frontières et une perturbation inadmissible des fonctions et des hiérarchies.
Chaque famille, par ailleurs, élaborera les frontières qui répondent à ses choix de valeurs. Chacun saura ou pas les faire respecter avec plus ou moins de rigidité ou de flou, et cest parfois ce qui fera problème au sein dune famille.
Alors que le symptôme de lenfant (mauvais résultats scolaires ou violences de lenfant par exemple) attirera le regard des parents et du thérapeute, le problème pourra être celui du non-respect des frontières au sein dune famille. Lessentiel est de reconnaître que ce qui fait famille cest lexistence et le maintien des frontières, cest-à-dire des territoires de lintime où chacun peut évoluer dans le respect des hiérarchies et des fonctions.
Les nouvelles configurations familiales démultiplient les problématiques liées aux frontières : entre quasi-frères et surs par exemple qui ne sont pas obligés de saimer ; avec la belle-mère qui nest pas la copine des filles du père ; avec le parent séparé pour lequel lenfant pourrait être utilisé pour recueillir des informations sur sa nouvelle relation amoureuse ; ou le nouveau couple parental dont la relation amoureuse, par naïveté et enthousiasme, pourrait trop sétaler devant enfants et beaux-enfants, etc.
Pour reprendre les écrits de la sociologue Sylvie Cadolle, la famille développe, de façon concomitante, la dimension relationnelle et la dimension généalogique. Il y a une naïveté couramment répandue au sein des familles qui consiste à croire quil ny a pas dinterférences entre les générations précédentes et les générations actuelles. Schématiquement, nous pouvons décrypter deux modes réactionnels face à lhistoire familiale : un mode de réparation et un mode de répétition. Dans sa construction lenfant sorganise en fonction de ce quil perçoit ou de ce quil a entendu dire de ses parents et de tous ses ascendants. Même sans les connaître, lenfant (et ladulte que nous sommes), est influencé dans sa vie par les messages quil a reçus tels que : « Tu ressembles bien à loncle Paul » (que lenfant na peut être jamais connu) ou bien : « Chez nous, on est tous des littéraires !» Ces évidences vont participer à la construction identitaire de lenfant.
Les enfants adoptés sont souvent dans une quête impérieuse de contacter leurs origines. Il y a une violence réelle pour un enfant à être coupé dune part de son histoire comme cest le cas dans certaines familles monoparentales lorsque la place du père et de sa famille est niée.
Inversement, les enfants des nouvelles configurations familiales font lexpérience dacquérir une autre ligne trans-générationnelle par des quasi grands-parents, oncles et frères et surs qui viennent enrichir son patrimoine initial. Limpact de cette nouvelle ligne trans-générationnelle sera proportionnel à linvestissement affectif tissé entre lenfant et cette famille délection affective, qui nest pas celle de son origine. Une fois de plus, nous sommes face au vieux débat de linné et de lacquis dans lequel il nous paraît injuste daffirmer un parti pris en faveur de lun ou de lautre, alors que lenfant des nouvelles configurations familiales se construit et avec son inné (ses liens de sang), et avec son acquis (ses liens délection affective).
Ces quatre axes hiérarchies, fonctions, frontières et transgénérationnels sont à nos yeux opératoires pour repérer ce qui fait famille, quelle soit initiale ou dans une nouvelle configuration. Si, dans les familles dorigine, tout semble aller de soi (ce qui est loin dêtre le cas), cest la force et lapport des nouvelles configurations familiales de nous contraindre à nommer et préciser sans cesse la qualité et le sens des liens qui constituent et animent la vie familiale.
De notre point de vue, les familles monoparentales, homoparentales ou recomposées sont fonctionnelles et légitimes en tant que famille à partir du moment où lenfant et le système familial évoluent dans un cadre où les frontières, la hiérarchie et les fonctions sont clairement nommées et où le trans-générationnel, dorigine et par alliance, est explicitement reconnu.
Lethnologue, Agnès Martial décompose la parentalité en cinq éléments : mettre au monde, nourrir (subvenir aux besoins de lenfant), éduquer, donner une identité à la naissance et enfin garantir laccès de lenfant au statut dadulte.
Habituellement, ces cinq fonctions sont appliquées dans une famille initiale. Par contre, les nouvelles configurations familiales bousculent ces fonctions qui ne sont plus assurées par les mêmes personnes : qui assure la fonction parentale ? Celui qui a donné naissance, mais qui nest peut-être pas celui qui éduque lenfant ? Celui qui adopte et reconnaît lenfant comme son fils ou sa fille, mais qui ne lui a pas donné naissance ? Le beau-père ou la belle-mère qui nourrit et paie pour son beau-fils ou belle-fille et le conduit à lâge adulte, mais qui na donné ni naissance, ni un nom à lenfant ?
Aucune réponse définitive nest possible. Nous ne pouvons quobserver et reconnaître que la fonction parentale sest démultipliée, et que nous évoluons aujourdhui vers une pluri-parentalité : plusieurs adultes qui partagent et assurent ensemble ou séparément des fonctions parentales différentes. (Il y a le parent « de naissance » et celui qui a élevé lenfant). Un enfant peut avoir plusieurs adultes qui vont tous assurer une fonction parentale, à une place hiérarchique explicitement reconnue. Il est possible que ni son père, ni sa mère de naissance, ni même sa « vraie » grand-mère, nauront dans sa carte affective une place première, par rapport à son beau-père, la nouvelle compagne de son père, ou sa nouvelle belle grand-mère. Lenfant va avoir dans les nouvelles configurations familiales des quasi ou demi-frères et surs qui vont habiter dans dautres lieux. Il va reconnaître dans sa famille dautres parents que ses parents dorigine qui, pour autant, assurent et partagent en co-parentalité une responsabilité à son égard.
Quimporte cette démultiplication des adultes considérés comme parents, si nous acceptons dentrer dans ces nouvelles configurations où les liens du cur, consécutifs aux nouveaux choix amoureux des parents de naissance, peuvent rivaliser, sans les effacer, avec les liens du sang. Lactualité de la réalité familiale nous oblige à dépasser notre regard sur la famille comme étant seulement le rassemblement de frères et surs issus de mêmes parents.
On pourra sinquiéter de la santé psychique de lenfant en se demandant comment il sy retrouve dans cette mosaïque familiale ? Il peut continuer à se construire et se développer lorsque tout ou presque est nommé des relations, des échecs amoureux des parents, des origines des naissances, ou des fonctions de chacun. Lenfant immergé dans une nouvelle configuration familiale va développer dautres formes dappartenance que celle, inaliénable, du lien du sang. Dans sa vie quotidienne, par les relations quil entretient avec ses co-parents, et au travers des processus didentifications avec les adultes autres que ses parents ou sa famille dorigine, il agrandit ses champs dinvestigations et de représentations.
Ces passages de déstructurations / restructurations divorces, reconstitutions dun couple, adoptions sont souvent douloureux et complexes, pour les parents comme pour les enfants. La tentative de liberté, dont ils sont porteurs, nécessite de structurer la situation nouvelle quils génèrent. Lorsque lamour prédomine sur lorganisation des nouvelles configurations familiales, la parole est nécessaire pour consolider et parfois justifier les liens.
Il est vain de se lamenter sur la dilution dune conception familiale en apparence solide et fiable. Les nouvelles configurations familiales sont un état de fait, une réalité quotidienne. Elles nous interpellent sur le sens de la famille, le thème de la transmission, les responsabilités parentales et leur nature, sur lidentité homme-femme et la sexualité. Ce sont les liens du cur et la relation conjugale qui sont mis en avant. Nous ne sommes plus à lépoque de lenfant roi où le couple devait rester ensemble pour préserver lenfant. La situation actuelle permet de donner au couple conjugal une juste place, quil navait jamais eue.
Nous avons tous connu des parents qui ont su se sacrifier pour leurs enfants, et le leur rappeler, en ne se séparant pas, ou en refusant certains choix professionnels ou personnels. Lenfant et la famille, et parfois limage sociale, faisaient autorité et nécessité. Il serait dommageable que les parents des nouvelles configurations familiales soient dans une perspective totalement inverse, où le seul intérêt de leurs choix amoureux et personnels dicterait leur avenir et celui de leurs enfants. Il y a une tension à soutenir entre le choix des adultes et lengagement éducatif auprès des enfants. Les nouvelles configurations familiales sont les témoins de lamour en marche avec ses choix audacieux et ses risques de faux-pas.
Il revient au législateur, mais aussi aux Églises, de savoir accueillir et accompagner dans une réelle reconnaissance ceux et celles, parents et co-parents, enfants et beaux-enfants, qui vivent cette réalité.
Jean-Paul et Anne Sauzède-Lagarde
Depuis les années 50, Carlos Cruz-Diez est
une des figures principales de lart cinétique. |
Bienvenue |
|
|
Numéro 214 |
|