Sébastien Castellion
(1515-1563), à la fois fin lettré et excellent pédagogue,
a eu le courage de s’opposer à la dictature de Calvin et
de dénoncer le bûcher de Servet (même s’il n’en
approuvait pas les idées). On cite souvent la phrase admirable
qu’il écrivit en 1555 à ce sujet : « tuer un
homme, ce n’est pas défendre une doctrine ; c’est tuer
un homme ».
Un peu plus tard en 1562, il publie le Conseil à
la France désolée. Il y plaide contre le « forcement
des consciences » que pratiquent aussi bien les huguenots que
les catholiques. Les uns et les autres lèvent des troupes, persécutent,
oppriment et veulent contraindre par la force les gens à les
suivre. C’est une aberration. Qu’on laisse chacun, demande
Castellion, marcher sur la voie qu’il juge la meilleure et adhérer
librement à la religion de son choix. Ce petit livre intelligent,
ouvert et généreux a été condamné
aussi bien par les catholiques que par les protestants du XVIe siècle.
Triste époque où la tolérance passait pour une
faiblesse et une lâcheté.
En 1555, Castellion traduit la Bible en un français
populaire, imagé et pittoresque, celui que parlaient les petites
gens. On lui a d’ailleurs reproché cette version de la Bible
écrite non pas en style noble mais dans le langage des «
gueux ».
Les papiers que Castellion a laissés après
sa mort ont été transportés de Bâle à
La Haye et recueillis par les Resmonstrants qui les ont utilisés
pour la formation de leurs pasteurs. Parmi ces écrits, se trouve
un manuscrit intitulé De l’art de douter et de croire, d’ignorer
et de savoir. Il ressemble plus à un brouillon inachevé
qu’à un manuscrit abouti. Certains passages nous paraissent
confus. Mais beaucoup d’autres sont lumineux. Il comprend deux
parties.
La première, une sorte de discours de la méthode,
porte sur l’explication et l’interprétation de la Bible
et pose les bases d’une explication rigoureuse des textes. On doit
les comprendre dans leur contexte historique, tenir compte de leur genre
littéraire (prophétie, enseignement, poésie), ne
pas oublier que nous disposons de manuscrits transcrits par des copistes
qui comportent des omissions et des erreurs. De plus, tout dans la Bible
n’est pas Parole de Dieu ; l’inspiration divine s’y mélange
avec des idées et des formulations humaines. Contre Calvin qui
affirme que tout y est parfaitement clair, Castellion souligne l’obscurité
et l’ambiguïté de nombreux passages, ce qui rend possibles
et légitimes des interprétations différentes.
La deuxième partie du livre porte sur la foi.
Elle est confiance en Dieu, amour du prochain, et non connaissance de
choses surnaturelles. Les doctrines classiques, considérées
comme orthodoxes, sur la Trinité ou sur la Cène par exemple,
sont discutables et révisables. Que celui qui les comprend et
à qui elles parlent les conserve, mais qu’il admette que
d’autres en soient insatisfaits et cherchent à expliquer
et à exprimer leur foi différemment. Si on ne doit pas
donner aux doctrines et aux rites une valeur inconditionnelle, par contre
la pureté de la vie et l’amour du prochain sont des impératifs
absolus qu’on ne doit en aucun cas, sous aucun prétexte
(même sous celui de rendre gloire à Dieu) enfreindre.
Qu’on ne demande pas au croyant de faire le sacrifice
de sa raison ou de son intelligence ; elles sont des dons de Dieu qu’il
doit utiliser quand il lit la Bible, quand il réfléchit
sur Dieu, sur la religion et sur l’existence humaine. La foi se
doit d’être pensée, mystique, active et éthique.
Elle n’a rien à voir avec la crédulité sotte
et le fanatisme aveugle.
Une vive piété et une intelligence novatrice
animent ce livre. Malgré ses quelques faiblesses de style et
d’argumentation, il me paraît supérieur à bien
des œuvres de Zwingli, de Luther ou de Calvin. 
André
Gounelle