Les exclus meurent aussi. Leur saleté renvoie à la décomposition des corps et à la mort. Cette réalité brutale nous oblige à changer de regard.
Vous le connaissez, vous l’avez vu ! Il est là, assis. La couleur de sa peau disparaît sous la crasse qui recouvre tout de ses plaques noirâtres. Ses cheveux sont en boucles et partent en tous sens, ébouriffés, ternes et sales. Ses habits délavés et luisants sont à la limite d’être en loques. On l’évite, on le voit mais on ne le regarde pas. On fait un détour car il sent mauvais… Il sent la mort.
Quand la misère saisit quelqu’un et l’entraîne aux limites du supportable, le malheureux porte sur lui sa propre mort. Parce qu’elle est proche, voisine. L’épuisement d’une vie d’exclu, sans domicile, les privations, les maladies, les déceptions, la solitude, les violences de la rue, l’alcool sont autant de facteurs qui marquent les gens dans la misère et annoncent une fin inéluctable. Alors on lâche prise et la dignité de soi, de son corps, s’estompe, et l’être se dégrade peu à peu, psychiquement et physiquement.
Mais si la mort est proche dans ces conditions de vie, elle reste mal vécue. Elle pourrait être une délivrance, un moment où enfin on se retrouve tous égaux… Mais non ! Une étude psychologique menée dans le cadre du « Collectif des morts de la rue » révèle que les gens de la rue, dans des conditions extrêmes, portent leur mort et leur propre deuil sur eux parce que personne ne portera leur deuil, parce que personne ne les accompagnera au cimetière. Là aussi, dans la mort, c’est encore la solitude et l’exclusion. L’analyse nous dit que cet homme qui sent si mauvais, sent comme un mort qui se décompose ; cet homme qui se terre et s’enterre la nuit pour dormir dans une cave, un garage, quelque trou qui, tel une fosse, l’accueille, cet homme dont les vêtements sont dégradés comme s’ils avaient séjourné longuement sous terre, cet homme qui n’a plus d’être, d’identité, sera enterré « sous X » ! Cet homme ne peut assumer son propre deuil, sa propre mort. Il est là comme une sorte de fantôme qui hante nos rues. Ils sont là, tels des zombis, des morts-vivants.
Comment une société comme la nôtre peut-elle tolérer une telle horreur ? Comment nos démocraties et nos christianismes peuvent-ils accepter qu’un individu puisse en arriver à un tel état de destruction ?
Évidemment il est plus facile d’écrire un article que d’agir. Mais dénoncer est un premier pas pour une prise de conscience, et agir est possible. Vous le connaissez, vous l’avez vu ! Eh bien regardez-le maintenant et ne regardez pas en lui la face cachée de nos sociétés, peutêtre de notre vie comme un portrait de Dorian Gray, mais dites-lui seulement bonjour !… C’est déjà un premier pas, une bénédiction, le début d’un dialogue.
La dignité humaine ne pourra se reconquérir que si nous nous faisons les prochains de ces gens-là, si nous allons vers eux avec un peu d’amour, avec un peu d’espérance
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