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Marcher à côté de ses sandales

Où l’on voit que les contradictions, d’un évangile à l’autre, peuvent s’expliquer par des intentions différentes des auteurs. Dans ces situations, nous entendons plus les évangélistes que Jésus lui-même.

  Faut-il que la Bible dise juste pour qu’elle dise vrai ? Faut-il qu’elle soit un compte rendu exact, sans aucune distorsion de ce qui s’est passé (ce que ni les historiens, ni les journalistes, ni les témoins d’un événement ne sont capables de faire) pour qu’on lui accorde quelque crédit ? Si c’est le cas, passons notre chemin car la Bible est truffée d’erreurs et de contradictions. Prenons l’exemple de Jésus qui envoie des disciples en mission. Cet épisode est rapporté par les évangélistes Matthieu, Marc et Luc. Dans un cas Jésus recommande de se chausser de sandales (Mc 6,9), dans deux autres cas il demande de ne pas se chausser de sandales (Mt 10,10 ; Lc 9,3 qui est à lire en parallèle de Lc 10,4). Il y a là une contradiction dans les termes, que nous pouvons utiliser pour disqualifier ces textes (considérant qu’ils se trompent nécessairement et nous trompent par la même occasion) ou que nous pouvons prendre comme une richesse que nous offrent les auteurs bibliques.

  En effet, cette contradiction peut n’être qu’apparente si nous prenons le soin de ne pas nous arrêter à la surface du texte mais d’essayer d’interpréter l’intention des auteurs. Commençons par le cas de Marc : se chausser avant de prendre la route, c’est considérer que le chemin sera long et qu’il vaut mieux partir équipé pour ne pas être obligé de s’arrêter prématurément. Se chausser de « sandalia » est l’attitude commandée par le bon sens qui inscrit la mission des disciples dans la durée et la persévérance. Être disciple du Christ, ce n’est pas forcément la Dolce Vita

  A contrario, Matthieu envisagerait-il une mission éclair qui n’aura même pas le temps d’abîmer la plante des pieds ? Ce serait assez contraire à l’esprit de cet évangile qui esquisse l’échec de la mission auprès des Juifs et ouvre de nouvelles perspectives auprès du monde dit païen (les mages, la femme cananéenne qui réorientera le sens de la mission dont il est question ici, les soldats romains dont ceux qui sont au pied de la croix). Du point de vue de Matthieu, la mission sera longue, elle aussi, mais la mention des sandales n’est pas en rapport avec la difficulté du chemin. Les sandales peuvent renvoyer à une autre caractéristique de l’expérience religieuse : la présence du divin. En présence de Dieu, le sol sur lequel on se tient est saint, nous apprennent d’autres passages bibliques. Moïse près du buisson ardent (Ex 3,5, Ac 7,33), Josué près de Jéricho (Jos 5,15), se déchaussent en présence de Dieu, à la manière du musulman pénétrant dans une mosquée. Ne pas se chausser d’upodemata (le terme grec utilisé dans cette série de textes) signifie, alors, que le champ de mission qui s’ouvre devant les disciples est un lieu où il est possible de rencontrer Dieu. Nous le savons, Dieu ne se rencontre pas premièrement dans les lieux réputés pour être saints, mais partout où il proclame lui-même son nom (Ex 20, 24). Matthieu souligne que l’envoi en mission par Jésus requalifie cette présence qui sera effective partout où des disciples du Christ rendront manifeste le règne de Dieu, partout où ils agiront selon son espérance. Ainsi, les disciples marchent à côté de leurs sandales pour annoncer que Dieu se donne à voir dans ces rencontres inopinées et, déjà, retentit cette promesse de rencontrer Dieu parmi les plus petits de nos frères (Mt 25,40).

  Ces bouts d’évangiles sont paradoxaux : ils insistent sur des aspects différents en utilisant la même image des sandales, qui est riche de significations. Les enquêteurs de police savent qu’il n’y a rien de plus suspect que deux témoignages qui seraient rigoureusement identiques, au mot près : cela signifierait que les témoins se sont entendus au préalable sur la version à donner. Le témoignage authentique, lui, s’efforce de mettre des mots sur ce qui a été vécu, ce qui a été exprimé parfois non verbalement, pour faire revivre un moment et le partager avec un autre. Jésus n’a peut-être jamais parlé de sandales, cela n’enlève rien à la vérité de ces récits.*

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

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