Rencontre du 23 septembre 2017 du cercle montpelliérain
Introduction par Thierry Lerch
responsable de l’accueil juridique de la CIMADE Montpellier
La libre circulation des personnes en Europe est de plus en plus restreinte, ce qui pose des problèmes éthiques. La Cimade assure l’accueil juridique de tous les migrants : demandeurs d’asile, conjoints de citoyens français, migrants en situation régulière ou non ; le RESF s’occupe des mineurs, jeunes majeurs et des familles avec enfants scolarisés.
La population mondiale comprend 3 % de migrants. Ce chiffre est plus fort autour des pays d’émigration (Liban, Turquie etc.) et beaucoup plus faible en Europe (1 million).
Les raisons de la migration sont politiques, économiques ou climatiques et, en fait, sont conditionnées les unes par les autres. La Cimade ne fait donc pas de différence entre ces catégories.
L’Europe dresse des barrières qui provoquent les noyades de milliers de personnes et augmentent le coût du voyage pour les migrants. D’autres barrières sont mises en place depuis la Libye, par exemple. Elles sont dénoncées par l’ONU et les humanitaires, à cause des conditions inhumaines de vie pour les migrants retenus.
Les chemins des migrants passent essentiellement par la Grèce, l’Italie, l’Espagne. Ces pays sont tenus de prendre les empreintes des migrants arrivant chez eux et deviennent ainsi responsables de leur admission ou de leur renvoi. En Italie, notamment, l’opération se fait parfois avec violence pour obliger le migrant à laisser ses empreintes. Beaucoup de migrants sont ensuite laissé livrer à eux même et certain y sont exploités (obligation de donner leur sang p.ex.). La France s’est engagée à accueillir 30 000 migrants ; en réalité, elle n’en a reçu que 3000, pour le moment.
Le nombre des mineurs, venant surtout d’Afrique, s’accroît constamment. Les départements sont tenus de les prendre en charge. (Dans l’Hérault il y a env. 500 mineurs non-accompagnés)
Problème : Le premier accueil se fait par la police, avant d’être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). La police des frontières doit juger de l’authenticité de l’acte de naissance. Elle juge toujours à charge : usurpation d’identité, faux papiers, etc. Le test de la radio des os de la main n’est plus fiable après 16 ans, il est pourtant pratiqué couramment malgré sa condamnation par la Cours Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) de nombreux mineurs sont ainsi, injustement, reconnus majeurs. Ceux dont on estime qu’ils ont plus de 18 ans sont mis à la rue, parfois envoyés en prison puis en centre de rétention, avant d’être expulsés.
La scolarisation des mineurs est obligatoire, mais de nombreux mineurs ne sont pas scolarisés, ce qui les condamne à devenir « irréguliers » à leurs 18 ans. Mais le nombre de places pour allophones a été réduit par le gouvernement, qui crée ainsi une situation inadmissible. Pourtant, le désir des jeunes d’apprendre est grand et les résultats sont probants. L’Education nationale est la seule instance qui refuse la discrimination, elle offre des places d’internat, de cantine, de transport … !
Les migrants sont une richesse pour leur pays. L’argent que certains gagnent et envoient directement à leurs familles échappe à la corruption.
Débat
- Amphoux souligne la contradiction entre les devises de la Cimade : « Il n’y a pas d’étrangers sur cette terre » et « Nous ne sommes propriétaires de rien » et la thèse des anti-migrants : « Nous sommes chez nous ».
- Meyer pense que si nous, réunis ici, voulons réellement aider les migrants, nous devons essayer de changer de façon significative la mentalité d’une partie importante (et peut-être majoritaire) des Français. Sinon nous ne prêchons que des convaincus. Pour cela nous devons chercher des arguments solides pour justifier la présence des migrants en France. Ainsi nous devrions, par exemple, chercher à démontrer de façon chiffrée si possible, que l’arrivée des migrants ne changera pas les habitudes auxquelles les Français sont si attachés, n’augmentera pas le chômage et que les frais de leur présence en France ne seront pas à payer par les Français. Ces démonstrations faites nous pourrons essayer de changer les mentalités.
- Gounelle y voit un conflit entre phantasme et réalité : La difficulté d’intégration des migrants, p.ex., est un phantasme ; le rejet des réformes par les Français, une réalité.
Que peut-on faire contre ce repli ? N’est-ce pas de la responsabilité de la communauté chrétienne d’y remédier ?
Th. Lerch regrette la présentation négative du problème par les médias. Il faut se battre pour la diversité culturelle.
- Nicolas pense que le gouvernement devrait lutter plus fermement contre les passeurs.
- Amphoux rappelle la protestation des commerçants lorsque Peugeot renvoyait ses ouvriers maghrébins au pays, il y a une vingtaine d’années. La perte de clients, donc de revenus, les faisait réagir en faveur des migrants.
- Roux demande ce que la Cimade fait pour les « Dublinés », ces migrants dont la demande d’asile a été rejetée, parce que leur pays ne présente pas d’urgence humanitaire.
Th. Lerch : la Cimade leur offre de l’aide juridictionnelle, mais pas de logement. Ils ont par ailleurs droit à l’aide médicale, nutritionnelle et juridictionnelle, et aux cours de français. Pour ceux qui ont pu déposer une demande d’asile, il y a des places en CADA, env. 200 à Montpellier.
L’Eglise n’a pas de structures d’accueil. Il est regrettable même que l’AFEP s’en soit dégagé. Il est arrivé que des parents avec un bébé soient expulsés de l’hôtel par une assistante sociale et se soient retrouvés dans la rue, en plein hiver. Les hôtels où certains migrants sont logés, en attendant leur permis de séjour, coûtent chers (2000 € par mois). Des appartements seraient plus économiques. Il n’y a pas assez de places. On craint « l’appel d’air ». En plus des logements manquants, c’est l’interdiction de travailler qui pose problème et retarde l’intégration. Les employeurs engagent plus facilement des femmes que des hommes.
Que peut-on faire ? – Créer des structures où accueillir (O. Roux) ; – Accueillir dans les familles (H. Roux) ; – Résistance mentale, organiser des colloques et rencontres pour convaincre, développer les pays d’émigration (J. Nicolas) ; – Ecrire à nos élus (R. Meyer).
Conclusion André Gounelle
Réflexions sur la frontière ou la barrière
Il y a deux façons de pratiquer la frontière :
1) la frontière étanche ou hermétique : p.ex. : le rideau de fer, le mur de Berlin, le barrage électrifié de la Tunisie, pendant la guerre d’Algérie ; au Maroc (Ceuta), aujourd’hui ; entre le Mexique et les E.U.
Le passage des frontières était difficile, il y a 50 ans, la libre circulation est en progrès aujourd’hui, mais elle n’est pas terminée.
La frontière hermétique sélectionne, sécurise et protège. Pour le théologien E. Hirsch, dans les années 30, elle faisait partie de l’ordre de la création car elle permettait d’éviter le chaos (cf. Dt 32,8; Ac 17,26). Le cosmopolitisme était considéré comme un danger, p.ex. par M. Barrès, pour lequel déplacement signifiait déracinement et métissage. Un exemple des conséquences de cette pensée est l’apartheid.
2) la frontière ouverte permet rencontres, échanges et circulation, favorise la sortie du provincialisme ethnique et national. L’homme compte en tant que personne.
Ex. : Abraham, dans Gn 12. Abraham doit partir, franchir des frontières : c’est à ce départ qu’est liée la promesse de bénédiction pour tous les peuples. Abram devient Abraham, père d’une multitude. Il en est de même pour Moïse : la sortie d’Egypte signifie libération.
Dans les années 1950 les allers-retours de touristes et de scientifiques, notamment entre la France et le Canada, ont permis d’abolir des méfiances. Des transfrontaliers réguliers, comme Tillich et Girard, enseignaient alternativement au Canada ou aux E.U., et en France. Les Américains leur demandaient même de ne pas s’assimiler pour leur apporter un autre modèle d’humanité, donc une nouvelle espérance, tandis que la France poursuit son modèle d’intégration, c’est-à-dire d’absorption, de déracinement de l’étranger, pour le rendre semblable à l’indigène.
Nous étions tous nomades. Nous avons tous développé notre humanité en rencontrant les autres. C’est une situation difficile, sur le moment. Les migrants sont donc des personnes qu’il faut aider.
Rédigé par Hildegard Roux
Pour faire un don, suivez ce lien