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« Les pasteurs peuvent se marier »

 

Ayant prononcé en 2016 une prédication pour le dimanche de la Réformation, j’avais préalablement interrogé un jeune catholique de 15 ans. J’étais désireux de connaître sa compréhension du protestantisme. Dilan est servant de messe (enfant de chœur, comme on disait autrefois), inscrit dans une école catholique. Je suis un ami de sa famille, mais il m’avait paru intéressant de m’adresser à lui plutôt qu’à ses parents. Sa parole serait peut-être plus personnelle que celle d’adultes installés depuis bien des années dans leur Église. J’ai donc demandé à Dilan de caractériser en quelques mots le protestantisme. Il m’a déclaré d’abord que c’était une branche du christianisme. Réponse très positive, mais je lui ai fait remarquer qu’on pourrait en dire autant d’autres confessions chrétiennes. J’attendais de lui quelque chose de plus spécifique, une marque propre au protestantisme. Il m’a alors affirmé : « Les pasteurs peuvent se marier. » Certains penseront qu’il s’agit là d’une réponse normale dans la bouche d’un adolescent ; d’autres qu’il s’agit d’une réponse assez superficielle. Je ne le pense pas. Sa réponse touchait en fait à quelque chose de fondamental appartenant à notre identité protestante.

On se rappelle que, sorti de son couvent, Luther se marie en 1525. Il a déjà publié en 1522 son traité De la vie conjugale qui va connaître aussitôt un immense succès. Du mariage des prêtres voulu par Luther, Marianne Carbonnier, professeur honoraire d’histoire moderne à la faculté de théologie protestante de Paris, écrit qu’il fut « le signal concret d’un nouvel ordre du monde chrétien, visible de tous, même des non-lettrés » (Évangile & liberté, n° 267 mars 2013). Nul besoin, par conséquent, d’être un théologien chevronné pour accéder au cœur d’une Réformation perçue à juste titre comme un véritable séisme.

Avec le mariage des prêtres, s’opère une réhabilitation du mariage. Le célibat et la chasteté ne sont plus considérés comme une vie supérieure, comme un sommet de la vie chrétienne, privilège de quelques-uns. Dans cette volonté du mariage des prêtres, on revalorise le mariage : même les prêtres peuvent se marier. Mais, d’autre part, on le désacralise. Le mariage n’est plus un sacrement. Il n’a en effet rien de spécifiquement chrétien : il correspond à une réalité universelle et humaine qui dit la dignité du monde profane et quotidien, qui dit ce sublime ordinaire cher à Raphaël Picon. Jusque-là, dans la chrétienté, le mariage était concédé aux laïcs, qui vivaient alors dans un état inférieur à l’idéal chrétien incarné par les prêtres, les nonnes et les moines. Il était refusé à ces derniers, parce qu’on le jugeait contaminé et flétri par une œuvre bassement matérielle et physique. Il y a, avec la Réforme, une dédiabolisation de la vie sexuelle. Le mariage, réalité profondément et magnifiquement humaine, est tout simplement offert à tous les hommes.

La réponse de Dilan concernait bel et bien le centre du protestantisme. La réforme de Luther ne fut pas qu’un bouleversement théologique. Luther, en effet, n’a pas seulement construit une nouvelle compréhension de la religion chrétienne mais également une nouvelle compréhension de la personne humaine et du croyant dans le monde. Le clergé tout entier est désormais inséré dans la société. Le mariage des prêtres/ pasteurs exprime cet ébranlement. Oui, comme l’a écrit Marianne Carbonnier, auquel le présent article doit beaucoup, le mariage des prêtres fut la traduction visible « d’un nouvel ordre du monde chrétien ».

 

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À propos Laurent Gagnebin

docteur en théologie, a été pasteur de l'Église réformée de France, Paris ( Oratoire et Foyer de l'Âme ) Professeur à la Faculté protestante de théologie.Il a présidé l’Association Évangile et Liberte et a été directeur de la rédaction du mensuel Évangile et liberté pendant 10 ans. Auteur d'une vingtaine de livres.

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