On connaît Primo Levi avant tout pour Si c’est un homme, qui témoigne de son expérience du Lager avec une grande précision, sans faire du lecteur un voyeur. Le devoir de mémoire incite à la lecture de cet ouvrage qui raconte la capacité de l’être humain à se déshumaniser en déshumanisant l’autre. Face à ce récit qui dévoile l’immensité de notre capacité de destruction, La Trêve raconte de façon particulièrement réjouissante l’incroyable résilience – la résurrection – dont l’être humain a la ressource. Quelques juifs italiens et d’autres de leurs compagnons d’infortune sortent des camps, atterrissent dans les mains d’une armée rouge qui semble fantasque et peu organisée, puis pérégrinent plusieurs mois à travers l’Europe de l’Est avant de retrouver l’Italie.
Avec un talent de conteur certain, Primo Levi anime chacune des personnes rencontrées d’une vie intense. Tout est brinquebalant, précaire, improbable, absurde, mais la vie transpire de chaque détail de la narration, de l’inventivité – pas toujours parfaitement honnête, mais truculente – nécessaire pour trouver des œufs ou un poulet, aux techniques de fabrication de marmites artisanales au cœur de la forêt biélorusse. C’est une sorte d’Exode sans guide, où la terre promise se fait attendre, où le chemin est long et chaotique, mais où en réalité c’est le chemin qui est lieu de vie, plus que ne le sera le retour au foyer. Le nécessaire pour subsister tombe plus ou moins du ciel, d’une cantine de caserne, ou de la poche d’un inconnu, comme une manne ; rien n’est prévu ni prévisible.
Les quelques mois ainsi dépeints constituent une parenthèse où la vie est vivace et gratuite, où son intensité est liée au fait qu’elle est un temps suspendu entre le temps du camp et celui du quotidien turinois, qui sera empoisonné par le souvenir de ce qui rythmait le temps d’Auschwitz. La Trêve fait alors figure de ce qu’en langage théologique on pourrait nommer un « kairos », un temps dont la qualité échappe au « chronos ».
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