La question du ministère pastoral féminin dans l’Église
Réformée de France
Le 20 octobre 1949, Mlle Elisabeth Schmidt, pasteur de l’Église
réformée de Sète, est consacrée. C’est
la première fois qu’une femme est reçue pasteur
dans l’E.R.F.
Qui a décidé dans l’Église de reconnaître
le ministère pastoral féminin?Qui est Elisabeth Schmidt,
pourvue depuis 1936 d’une délégation pastorale
annuelle, dont on reconnaît la vocation ?
La question du ministère pastoral féminin, évoquée
en 1939 dans l’E.R.F., est posée en 1945. L’Église
réformée de Sète demande la consécration
de son pasteur. Elle s’adresse au président du Conseil
national : le pasteur Boegner s’engage à soutenir “personnellement
devant le synode national la demande”.
E. Schmidt expose la situation des femmes dans l’E.R.F. au
synode régional de Quissac en 1947.Sans négliger les
Epîtres de Paul, elle précise que rien dans l’enseignement
de Jésus ne montre l’exclusion de la femme des charges
confiées à un homme. Dans l’Église primitive,
des femmes exercent un ministère. Dans l’Église
catholique, le Culte de Marie, les ordres religieux féminins
compensent le silence des femmes. L’Église réformée
limite leur rôle à l’inverse des mouvements du Réveil
et de l’Armée du Salut. E. Schmidt conclut : des femmes
sont présentes dans presque toutes les professions, le droit
de vote leur a été donné. Manquent-elles d’autorité
? Cet attribut vient de Dieu, pense-t-elle, ajoutant ne pas croire
“qu’une femme puisse tenir longtemps si Dieu ne la maintient”.
Les délégués synodaux savent tout cela : la
Bible n’autorise ni n’interdit à une femme d’être
pasteur. Une minorité est favorable au ministère en
cas de vocation authentique.
La majorité pense que la femme doit être soumise à
l’homme. On argumente. Les propos “non-théologiques”
fleurissent : “en tenant un foyer, une femme semble donner son
maximum” dit le secrétaire général de l’E.R.F..
La question est renvoyée au synode national de 1948. En 1949
on admet, enfin, la consécration d’une femme, mais ce
doit être l’exception et la femme pasteur doit rester célibataire.
Seize ans après, en 1965, la question revient, la société
a évolué. Une minorité voit l’E.R. comme
une communauté patriarcale dont le pasteur est le père.A
une courte majorité, le synode lève les restrictions
précédentes. La décision définitive n’est
arrêtée qu’en 1966, synode de Clermont-Ferrand.
Aux Colloques d’Orsay, en 1979 et 1982, les femmes réfléchissent
au sacerdoce féminin, souhaitant qu’il favorise une relecture
de la Bible.
L’Église de Sète fixe la consécration
de son pasteur au mois d’octobre 1949. Le pasteur Westphal préside,
le Président de région prononce les paroles d’installation,
Mlle Schmidt rappelle comment Dieu l’a guidée jusqu’à
ce jour.
Depuis son adolescence, elle est convaincue que Dieu est “présent
au dedans de chacun”. Elle a été élevée
par son père, député des Vosges avant la première
guerre et sa mère, professeur d’allemand, sans aucun préjugé.
En Suisse où sa mère est soignée, Elisabeth entend
parler de la Bible et de l’amour de Dieu. En France, elle suit
l’instruction religieuse à Sèvres, elle est baptisée
en 1923. Elève brillante, elle étudie en philosophie
“La liberté chez Malebranche : ses rapports avec la grâce”.Elle
apprécie les réunions de la Fédé, rencontre
quelques uns de ses amis : Madeleine Barot, C. Bonzon, C. Julien,
Ch Westphal.
Mlle Schmidt est décidée à servir l’Église.
A la Faculté de Théologie de Genève, elle obtient,
en 1934, le prix de prédication.Elle veut être pasteur
mais rien n’est prévu pour les femmes.M. Bertrand, président
de l’Union des E.R., l’envoie à Saint-Croix-Vallée-Française.
Pendant ses six années de ministère cévenol,
E. Schmidt réveille cette église et “ranime les
tisons sous la cendre”. Elle organise des cours ruraux, une Union
chrétienne de jeunes filles.
Aux débuts de la Guerre, elle est surprise par l’invasion
allemande, accablée par la défaite et l’armistice
et voit ariver les premiers réfugiés. Au printemps 1941,
M.Barot, secrétaire générale de la Cimade, lui
demande son aide. E. Schmidt part au Camp de Gurs, au service des
réfugiés. Avec une assistante sociale, elle organise
les secours, apporte la lumière et l’amour du Christ.
Six mois après, atteinte de typhoïde, elle est évacuée.
En septembre 1942, elle rejoint l’Église de Sète.
Consacrée en 1949, Mlle Schmidt dessert Sète et les
protestants disséminés du bassin de Thau jusqu’en
1958. Servir dans la paroisse vacante de Blida-Médéa,
en Algérie, lui paraît l’appel attendu.
De retour en France en 1963, elle termine son ministère pastoral
à Nancy en 1972 et profite de sa retraite auprès de
sa sœur, à Castres,jusqu’en 1986.
L’E.R.F. et d’autres églises protestantes ont préféré,
jusqu’en 1965, “le ministère obscur, difficile et
précieux de la femme du pasteur et celui des diaconesses”.
Pourtant la Réforme a été favorable à
l’émancipation de la femme. L’Église réformée
doit, en partie, son maintien au zèle des mères qui
“rectifient” le soir, les “erreurs” enseignées
par le prêtre après la Révocation. Seule femme
pasteur jusqu’en 1966, E. Schmidt est “pionnier” en
ce domaine mais non “leader”, elle souhaitait que l’E.R.
reconnaisse sa vocation, l’appel de Dieu et sa “passion”
au service d’une foi.
Jean-Claude Gaussent
Elisabeth Schmidt est bien la première femme à avoir
reçu la consécration pastorale dans l’Église
réformée de France (ERF). Cependant, elle n’est
pas la première femme à avoir reçu une délégation
pastorale dans une Église réformée en France.
Les premières semblent avoir été, d’une
part, Mme René FPfender, née Marguerite Gueylard (1889-1976),
qui fut pasteur des Églises réformées évangéliques
à Troissy-en-Champagne, puis à Choisy-le-Roy entre 1916
et 1919, son mari étant mobilisé comme aumônier,
et d’autre part, Mme Bourquin, qui remplaça son mari,
mort pour la France, comme pasteur à la tête d’un
poste de la Société chrétienne du Nord, filiale
de la Société centrale évangélique (SCE).
Elisabeth Schmidt ne fut pas non plus la première femme consacrée
au ministère pastoral en France, puisqu’une luthérienne
le fut en 1926 dans l’ECAAL, en Alsace. Il ne faudrait pas non
plus oublier les délégations pastorales accordées
à plusieurs femmes (par exemple, Myriam Garnier, veuve d’un
officier des FFL et pasteur à Marennes) durant la Seconde Guerre
mondiale.
B. de Visme. “La Revue Réformée” n°
204