Notre civilisation a préféré
le rendement et l’efficacité au charme des relations personnelles.
Comme dans les super-marchés, les objets abondent, mais les
personnes s’effacent. Vous cherchez en vain un employé
qui vous renseigne, et les acheteurs passent, muets et glacés,
comme si vous apparteniez à une espèce différente.
Jadis, on pouvait parler à l’épicier, au boucher,
au boulanger. Dans les cas plus graves, on recourait au curé,
au pharmacien, au médecin.Maintenant, il ne reste plus que
le psychanalyste : il vous minute férocement son temps, il
se tait et vous coûte très cher.
Même en famille, surmenés de travail, de sollicitations,
de télévision, les êtres se côtoient et
ne se parlent plus. Les femmes elles-mêmes la quittent “pour
travailler”, mais peut-être n’est-ce parfois que pour
trouver des interlocuteurs.
Paradoxe de notre époque : plus les moyens de communication
se multiplient et se perfectionnent, et plus la communication réelle
entre les hommes disparaît ! Bombardés d’informations,
réduits à la passivité de spectateurs devant
le déferlement des événements et des individus,
étrangers à nous-mêmes et aux autres, nous nous
plaignons de notre solitude, mais nous sommes excédés
de contacts.
Dans l’entassement des villes et dans la foule des indifférents,
on se sent plus seul que dans les déserts parce qu’on
est, à la fois, distrait de soi et frustré des autres.
On envie le solitaire qui peut se recueillir ou le villageois qui
a quelqu’un à qui parler.
Louis
Evely “Oser parler”