Après le texte du
Rite dexorcisme de lEglise Catholique Romaine (avril
99), nous avons publié dans le numéro de mai
Freud et le Diable de Michel Baron, psychothérapeute,
et la réponse du pasteur Pierre-Jean Ruff, du Foyer de lAme
à Paris. Voici des réflexions de Jean-Paul Sauzède
à propos de cette enquête.
Pardieu, jy crois au diable. Sans quoi, comment serais-je
ce que je suis ?
Paul Tillich disait que Dieu est peut-être ce que nous avons
de plus profond et de plus intime en nous, que nous ne savons pas
nommer, si ce nest par le terme de profondeur.
Le Diable est du même ordre, ce que je narrive pas à
nommer, mais qui vient perturber ma profondeur mais aussi mon extérieur.
Je ne saurais lui donner une figure, une attitude, mais je constate
dans ma vie, et dans le monde cette puissance et cette force. Le diable
(dia-bolos), vient diviser, mettre la zizanie, cest un perturbateur,
il soppose au symbole (sun-bolos), la parole et les sacrements,
qui rassemblent, donnent une forme, un sens, un ordre et permettent
à la vie de naître.
Le diable, cest ce qui me permet de donner un nom à
la folie des hommes, la folie que traite les psy, mais aussi celle
de linjustice sociale, de la violence délibérée
ou de la maladie.
Le monde nest pas un ring où saffronteraient
puissances bénéfiques et maléfiques ? Mais le
monde et ma vie sont des lieux de grâces reçues, mais
sans cesse exposées au risque de la perdition, de la maladie,
de la violence. Ce que je reçois (ma vie, lamour de lautre,
mes relations, mon travail, etc.) sont un don sans cesse aux prises
avec le risque dun dévoiement, dune faille, ou
dun détournement. Le diable entre par effraction, il
prend le pouvoir, il sinsinue, il peut me perdre. Si, selon
la bonne formule théologique, Jésus est pour le pécheur
et contre le péché, le diable est pour le péché
et contre le pécheur.
Le diable sollicite mon agressivité car il y a un vrai combat
contre le diable et pour la vie, la maintenir dans un projet, lui
donner un sens, garder et faire fructifier le don reçu.
Je retrouve ce combat dans certains dialogues et tout particulièrement
dans une relation daide. Face à des personnes en souffrance,
la rencontre paraît un combat entre ce qui divise et perturbe
et ce qui peut apaiser et rassembler. Lentretien permet dassister
à une sorte de lutte entre le diviseur, et le désir
de se rassembler. Jai pu faire lexpérience de personnes
en profonde lutte interne, par exemple en cas de dépression,
pour retrouver un élan de vie et du lien face à une
prodigieuse puissance qui semble attirer le dépressif vers
un fond. La présence dun tiers et la parole prononcée
et échangée viennent alors offrir, comme une grâce,
un rassemblement , contre lécartement
de la personne, pour reprendre une expression du Psalmiste.
Mais le diable nest pas que de lordre de linquiétant,
et du nuisible. Il sappelle aussi Lucifer et trouve son étymologie
dans la lumière (Lux). Cest dire quil y a des moments
de bazar existentiels et sociaux qui peuvent être aussi source
de lumière et davancée. Cest dire que nos
vies ont parfois besoin dêtre visitées et troublées
par ce diable-lumineux pour y mettre un peu dair,
de clarté, et peut-être de souffle. Il y a des séparations
et des révolutions dures et douloureuses, sources de blessures,
mais aussi de vie et de nouveauté. Dieu nest pas que
du côté de la paix confite ou de lamour communautaire,
pas plus que le diable nest que du côté du péché
mignon et malin.
Je reste toujours surpris par les afin que des évangiles
! Pourquoi interrogent les évangiles, cet homme est-il lépreux,
pourquoi le péché, la souffrance, et la mort ? Pourquoi
je minterroge dans ma vie, le diable et lucifer-lumineux
qui envahissent nos vies, nos écartèlements ou
nos conflits personnels ou sociaux ?
Afin que , cest la réponse de lévangile.
Afin que la gloire de Dieu soit manifestée .
Je crois que même le diable y contribue.
Jean-Paul
Sauzède