Comment échapper au temps
? Qui nous délivrera du temps ?
Il y a cependant en nous autre chose que du temps. Il existe des
moments où nous en sommes libérés, des moments
d’éternité, des heures où nous laissons
revenir notre âme, où nous recommençons à
être, où nous coïncidons avec le meilleur de nous-mêmes.
L’homme se souvient alors de sa destination essentielle : il
est fait pour penser, se souvenir, imaginer, rêver, créer.
Il est capable de s’associer à cette sorte de contemplation
paisible et heureuse qui est le charme d’un beau paysage, de
s’identifier aux merveilleux nuages, au chant d’un oiseau,
à l’odeur de l’herbe coupée, au “bruit
des rames reposées au fond des barques qui accostent”.
Il arrive ainsi que nos facultés se délient, la libre
disposition nous est rendue de ce qui nous est le plus personnel et
cependant le plus inaccessible.Notre dimension intérieure s’est
ouverte et on y pénètre pour des découvertes
infinies. Le passé revient, vivant comme un présent,
le présent est immobile comme le passé, on pourrait
y vivre toujours. La beauté n’est-elle pas plus réelle
que la vie, la prière plus intense que le travail, l’amour
plus fort que nos désirs, et une certaine sorte de vie n’est-elle
pas si puissante qu’elle défie la mort ?
Nous sommes à la fois dans le temps et hors du temps. Si
nous étions tout entier dans le temps, nous nous écoulerions
avec lui sans le remarquer. Or nous assistons à sa fuite.
Nous ne prenons conscience de l’écoulement du temps
que si quelque chose en nous y échappe. Comment serions-nous
conscients du temps si ce n’est à partir de l’éternité
?
Notre vraie demeure est ailleurs.Notre vrai temps est celui qui
se goûte, qui se détaille, qui se distend infiniment
à notre gré, qui est capable d’enfermer l’éternité
dans un instant.
On peut imaginer notre vie éternelle comme la présence
à soi de tout ce qui a été vécu, de tout
ce que nous avons voulu et aimé au cours de notre existence.
Avez-vous de quoi peupler cette éternité ? A la question
banale : “Avez-vous de quoi vivre ?”, Il faudrait ajouter
: “Avez-vous de quoi mourir ?” !
Louis
Evely
“Chaque jour est une aube”