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Pâques : vision ou hallucination ?

Il y a quelques temps l’émission Corpus Christi a diffusé des entretiens de théologiens. Que dire de nouveau par rapport à ce qu’ont avancé depuis près d’un siècle les théologiens protestants de tendance libérale et les catholiques du mouvement moderniste condamné par Rome.

Les trois seules différences notables sont les suivantes :

  • 1° les historiens actuels ont une tournure d’esprit moins positiviste que celle de leurs prédécesseurs et se montrent plus nuancés dans la formulation de leurs hypothèses;
  • 2° la télévision a contribué à diffuser très largement ce qui n’était connu que des gens soucieux de s’informer à bonne source en lisant les livres (nombreux) consacrés à ces questions ;
  • 3° c’est peut-être la première fois que des exégètes et historiens catholiques acceptent de s’exprimer aussi clairement que leurs collègues agnostiques, juifs ou protestants sur des sujets aussi épineux que, par exemple, la résurrection corporelle de Jésus.

Les limites de notre savoir

Une conclusion d’ensemble se dégage de cette série d’émissions - mais une conclusion à laquelle nous sommes habitués depuis longtemps déjà : du point de vue de l’enquête historique sur la mort et la résurrection de Jésus, nous ne savons pas à proprement parler ce qui s’est exactement passé, mais seulement ce que les évangiles, canoniques ou apocryphes, nous en disent. Or ces évangiles ont été écrits plusieurs décennies après les faits qu’ils rapportent, et ils le font le plus souvent en tenant compte des circonstances du moment et du public auquel ils s’adressaient.

Ainsi, par exemple, l'évangile de Jean. Contrairement aux trois autres évangiles, il affirme que les soldats ne rompirent pas les jambes de Jésus (Jn 19:33). Pourquoi ? Plus que vraisemblablement parce qu’il lui importait de faire droit à cette affirmation du livre de l’Exode à propos de l’agneau sacrifié à Pâques par les Juifs : “Aucun de ses os ne sera rompu” (Ex 12:46), et de signaler ainsi que le Christ en croix est le véritable agneau pascal (raison pour laquelle, toujours dans le seul évangile de Jean, tout comme l’agneau sacrifié, il se vide de son sang à la suite du coup de lance d’un soldat romain).

Alors comment remonter des textes aux faits eux-mêmes ? C’est difficile et toujours hypothétique. La manière dont s’expriment les historiens et théologiens d’aujourd’hui est à cet égard nettement plus prudente que celle de leurs prédécesseurs libéraux au début du siècle. Ils ne sont catégoriques que pour mettre en évidence ce qui dans les textes, ne peut pas correspondre à la réalité historique telle qu’elle est reconstituable sur le foi des documents parvenus jusqu’à nous : par exemple l’embaumement et l’emmaillotement du corps de Jésus, contraire à tous les usages juifs en la matière. Autre invraisemblance du même ordre : la réouverture du tombeau. Etc.

Fiction ou réalité ?

C’est évidemment à propos de ce qu’ils se risqueraient à dire de la résurrection qu’on attendait nos spécialistes : iraient-ils jusqu’à dire ce qu’ils en pensent vraiment ou bien se camoufleraient-ils derrière des manières de dire plus ou moins alambiquées ? Question d’autant plus intéressante que, lors de la première diffusion de Corpus Christi par la chaîne Arte à fin décembre 1997, l’épisode du matin de Pâques ne faisait pas partie de la série. On pouvait donc se demander si les réalisateurs et leurs interlocuteurs ne s’étaient pas prudemment arrêtés au seuil du problème le plus épineux.

Stimulés par le succès de leur émission, les réalisateurs n’ont pas hésité, pour cette seconde diffusion, 1999 à ajouter à leur série une émission consacrée à la résurrection, plus expressément encore au problème du tombeau vide. Cet ajout n’a toutefois pas eu toutes les qualités des autres épisodes, tout simplement parce que certains spécialistes interrogés sont justement restés plus prudents que sur d’autres aspects du problème posé par les résultats de la recherche historique sur Jésus.

Lesdits spécialistes ne s’en sont pas moins montrés d’accord sur un point, même s’ils l’ont fait parfois avec bien des circonlocutions : le tombeau vide est une fiction narrative inventée a postériori. L’un deux a parlé de “création liturgique”. Alfred Loisy, au début du siècle, était plus catégorique : il considérait cet épisode comme une “légende apologétique”. Autrement dit, personne ne sait ce qu’est devenu le corps physique de Jésus. De toute manière, les femmes et les disciples ne se sont pas intéressés à ce problème, submergés qu’ils ont été par une certitude à laquelle ils ne s’attendaient pas : le Christ est vivant.

Que s’est-il passé ?

Mais alors, de quelle nature cette certitude - elle constitue la foi de Pâques - a-t-elle bien pu être ? C’est d’autant plus difficile à dire que le vocabulaire pour en rendre compte varie d’un auteur biblique à l’autre, donc d’une communauté chrétienne primitive à l’autre. Le terme même de “résurrection”, qui nous semble si simple en français, traduit en fait au moins deux mots différents du Nouveau Testament - des mots qui pourraient tout aussi bien être rendus par d’autres mots de notre langue : se lever, se dresser, etc. A quoi s’ajoute le fait que la réalité de ce que nous appelons communément la résurrection s’est aussi exprimée d’autres manières dès le premiers temps du christianisme.

Une explication a eu son heure de gloire dans les milieux positivistes et elle ne cesse de refaire surface : les femmes et les disciples auraient été en proie à une hallucination. Les spécialistes interrogés pour la série Corpus Christi se sont bien gardés d’utiliser ce terme. En revanche, ils n’ont pas hésité à admettre que les femmes et les disciples ont très probablement bénéficié d’une vision - tout comme l’apôtre Paul sur le chemin de Damas.

Où est la différence ? Les propos retenus par les réalisateurs de l’émission ne me semblent pas avoir eu toute la clarté voulue sur ce point pourtant décisif.

Hallucination ou vision ?

Hallucinations et visions relèvent d’un même processus de notre conscience imaginative. Il y a des choses, des faits, des événements, des gens, que nous voyons sans les voir vraiment, comme si notre conscience les projetait sur l’écran de notre imaginaire.Mais ce qui relève de notre imaginaire n’est pas nécessairement irréel ; simplement, c’est une manière de percevoir la réalité par le détour de notre imagination. D’ailleurs notre perception des choses passe toujours, d’une manière ou d’une autre, par notre imagination, qu’elle soit visuelle, auditive, olfactive ou tactile.

Cela étant, nous parlons d’hallucinations quand nous partons de l’idée que ces perceptions de notre imaginaire ne sont le produit que de notre seule conscience, qu’elles sont pour ainsi dire une sécrétion en circuit fermé de notre capacité imaginative. C’est dans ce sens que l’on parle de drogues hallucinogènes : elles provoquent des excitations du cerveau qui sont à l’origine de visions effectivement hallucinantes. Mais ce ne sont pas des visions d’autre chose, venu d’ailleurs que de nous-mêmes, sauf à penser avec les peuples qui recourent à de telle drogues dans l’exercice de leur religion que, abaissant grâce à elles le seuil de contrôle de leur conscience claire, ils se mettent d’autant plus à disposition de visitations d’origine divine.

Les visions dont se sont réclamés les spécialistes de l’émission Corpus Christi sont bel et bien des projections de notre conscience sur l’écran de notre imaginaire, mais pour rendre compte d’une réalité qui, pour ainsi dire, frappe notre conscience de l’extérieur. Ce ne sont pas des sécrétions de notre cerveau, mais le moyen de percevoir des faits qui sont donnés d’ailleurs. En affirmant donc que les femmes et les disciples, au premier matin de Pâques, ont été l’objet d’une vison du Christ vivant, on insiste sur la conviction que leur certitude ce matin-là n’a pas été la sécrétion en circuit fermé de leur désir de faire vivre leur Seigneur par-delà sa disparition, qu’elle n’a donc pas été une hallucination, mais bien une vision donnée par Dieu - un don auquel ils ne s’attendaient pas.

Toutes les visions ne se valent pas

La difficulté est en l’occurrence qu’il y a des visions qui tiennent et d’autres qui ne tiennent pas. Nous devons y être d’autant plus attentifs que l’irrationnel, pour bien des gens et pour trop de théologiens, est en passe de redevenir un substitut de religion, comme s’il suffisait d’admettre des choses invraisemblables pour être croyant. Résultat : les visions, mariales et autres, ont de nouveau du succès, en particulier dans les pays de l’ancien bloc communiste. Nous ne saurions nous montrer assez critiques et sévères envers les Eglises et communautés religieuses qui favorisent ces retours de paganisme travestis d’oripeaux pseudo-chrétiens.En disant de la résurrection du Christ qu’elle relève d’un phénomène du même ordre, nous risquons fort de la ramener à fort peu de chose.

Dire des rencontres du Ressuscité qu’elles sont dues à des visions n’est donc qu’une façon de parler, faute de mieux. En fait, nul ne sait ce qui s’est exactement passé. Nous restons devant cette seule affirmation que rien, historiquement, ne peut ni prouver ni infirmer. Le Christ est vivant. Cela, on peut l’admettre et le croire, donc en vivre, sans devoir pour autant continuer à souscrire à la légende du tombeau vide.

C’est une réalité d’un autre ordre, considérablement plus décisif.

Bernard Reymond

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