Mon éducation m’a surtout
appris le contraire : être attentif aux autres, partager, servir,
aider. Ma théologie m’a conforté dans ces choix
: j’ai rencontré un Christ frère des hommes. J’ai
expérimenté le service du prochain comme lieu ultime
de l’expression de la foi, l’Eglise ouverte sur le monde,
au service des plus pauvres, matériellement ou socialement.
J’ai lu la théologie de la libération, j’ai
vu l’engagement pour le développement des Eglises d’Afrique.
J’ai appris à donner. Cela m’a donné un sens.
Comme si je participais à l’histoire, en n’en suivant
peut-être que la mode. Comme si la rencontre de l’autre
permettait l'économie d’une rencontre de moi-même
et de Dieu. Je n’avais pas assez pris ce temps-la
Et une part de mon être s’est trouvé béante,
presque vide. Je me suis lassé de mon agitation qui venait
encombrer le creux d’une présence à moi-même.
Je me suis occupé de moi, douloureusement parfois. Les autres
prenaient moins de place.Certains de mes attachements antérieurs
n’avaient plus de sens. j’ai cru un moment être dans
la solitude. J’ai expérimenté la présence
de Dieu. La rencontre s’est faite dans l’absence. La parole
a fait irruption dans le silence. J’ai fait l’expérience
du lien qui guérit. “La grâce et la paix qui vous
sont données” tant entendues et prononcées en entrée
de culte sont devenues plus réelles. Comme l’expérience
d’être touché, rencontré ou saisi. J’ai
compris que l’intimité avec moi-même et avec l’autre
peut-être le lieu ultime de la rencontre avec Dieu. Comme par
une ascèse, j’ai renoncé à me fuir, et à
fuir l’autre par trop d’actions. j’ai eu l’impression
de me réduire. Or c’est là que j’étendais
mes cordages, pour reprendre l’image du prophète Esaïe.
Je retrouvais un centre, qui me permettait de renouer, mais autrement,
avec des engagements extérieurs. J’ai compris à
quel point aimer l’autre m’évitait de m’aimer
moi, mais que sans passer par cette porte, étroite s’il
en est, je ne pouvais aller dans une vraie rencontre de l’autre.
Et s’aimer soi, c’est accepter d’abord d’être
aimable et aimé, c’est faire fi de tout ce que je peux
mettre en avant entre moi et l’autre pour éviter la rencontre,
c’est-à-dire d’être touché, atteint,
reconnu par l’autre. L’amour de soi, par soi-même,
porte les risques d’un puits béant et sans fond. L’amour
de soi parce que je me sens nommé et reconnu de l’autre,
dans ma profondeur, mon silence ou ma solitude, est un réel
printemps de vie, qui porte ses fruits dans la rencontre des autres.
Jean-Paul
Sauzède