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Interventions humanitaires : Où en est le droit ?

Il y a 10 ans, l’effondrement du mur de Berlin avait pu laisser croire à l’avènement d’un monde réconcilié, délivré de la guerre et géré selon les principes consensuels d’un «nouvel ordre international».Sur le premier point, la Bosnie, la Somalie, l’Algérie, le Rwanda - pour ne citer que quelques exemples - ont rapidement montré qu’il n’en était rien. Sur le second, l’embellie des relations entre les grandes puissances permit pendant quelques années la gestion - faute de résolution - des conflits, souvent civils, sous les auspices des Nations unies. C’est dans ce cadre que l’on vit se développer une pratique d’interventions dites «humanitaires», souvent accompagnée d’une avancée du Droit.

Accompagnant les progrès de la justice pénale internationale (tribunaux sur l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, Cour pénale internationale, poursuites contre le général Pinochet, etc.), ces évolutions auguraient d’un ré-équilibrage possible entre les deux principes de base de la Charte des Nations unies - souveraineté des Etats et protection des droits de l’Homme - dans la gestion de l’ordre international. La fin de la guerre froide permettait d’envisager de donner enfin à la «souveraineté de l’homme» la primauté sur celle des Etats. Ainsi les 54 pays européens et nord-américains membres de l’OSCE ont-ils reconnu que les engagements qu’ils ont contractés en matière de droits de l’Homme dans ce cadre «ne relèvent pas exclusivement des seules affaires intérieures de l’Etat concerné.» C’est la même préoccupation de faire des Etats des «instruments au service de leurs peuples, et non l’inverse» 1 qui a poussé Kofi Annan à faire de l’intervention humanitaire le thème principal du débat de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 1999. Pourtant, les velléités du Secrétaire général d’ancrer ce concept dans la légitimité internationale n’ont pas fait l’unanimité. En gros, ils s’est vu opposer une fin non-recevoir de la plupart des pays en voie de développement, menés par la Chine et l’Inde.Quant aux pays occidentaux, quoique plus favorables, il se méfient d’un principe qui pourrait faire de la faculté d’intervenir une obligation.Il faut dire que le souvenir proche du Kosovo et du Timor était dans toutes les mémoires - la Tchétchénie n’était pas encore d’actualité - alors que les termes du débat sur l’intervention humanitaire qui avait émergé à la fin des années 80 s’étaient largement transformés.

Un concept ambigu

Une des difficultés de ce débat tient à l’ambiguïté du concept d’intervention humanitaire.Longtemps discrédité par le souvenir des interventions coloniales ou néo-coloniales, il a été remis au goût du jour par des hommes de conviction (tel que Mario Bettati et Bernard Kouchner) pour accréditer l’idée que des populations menacées de famine, massacre, extermination, déportation massive, ou autre forme d’oppression grave et irréversible devaient avoir un droit de recevoir assistance. C’est ainsi que furent votées les résolutions 43/131 (1988) et 45/100 (1990) de l’Assemblée générale des Nations unies, élevant le principe de l’assistance humanitaire au niveau du droit international coutumier.De ce droit des victimes à recevoir assistance ne découle pourtant pas le droit d’acteurs extérieurs à apporter cette assistance par tous les moyens, c’est-à-dire, si nécessaire, avec l’appui de la force. Et Mario Bettati de dénoncer là «l’hypocrisie» du droit international2.

Une attitude courageuse et novatrice du Conseil de Sécurité aurait pu pallier les conséquences de cette hypocrisie, comme ce fut le cas au début des années 1990.L’on a vu en effet, pendant la première moitié de la décennie et jusqu’en 1997 à propos de l’Albanie, se succéder une série de décisions dans lesquelles le Conseil, en qualifiant de «menace à la paix et à la sécurité internationale» des désordres intérieurs caractérisés par des situations de détresse des populations civiles, s’arrogeait le droit de passer outre à la souveraineté de l’Etat concerné et d’intervenir par des moyens coercitifs, directement, ou le plus souvent en donnant mandat à des Etats ou groupes d’Etats de rétablir l’ordre ou de porter les secours nécessaires.Tel fut le cas en Somalie (résolution 794/1992), puis en Bosnie (en commençant par la résolution (816/1993), au Rwanda (résolution 929/1994) et en Haïti (résolution 940/1994).

Excepté le cas de l’Albanie, déjà mentionné, ce «zèle interventionniste» du Conseil s’est toutefois tari dans la seconde moitié de la décennie, reflet d’une réaction chinoise d’abord, russe ensuite, devant des pratiques qui risquaient de consolider la mainmise occidentale, et plus spécifiquement américaine, sur la gestion de l’ordre international. Constatons aussi, en sens inverse, la prise de distance des Américains vis-à-vis des Nations unies, «machine» peu contrôlable et qui, en devenant trop active, risquait de les entraîner dans des missions à la fois dangereuses et d’un intérêt minime pour leur propre sécurité (cas de la Somalie).

Kosovo : L’éthique contre le droit ?

C’est dans cette phase de reflux du Conseil quel l’on s’est trouvé confronté à la montée de la violence au Kosovo dans l’été 1998, violence caractérisée par des attaques de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) dont les forces serbes dans la région et une répression de plus en plus dure de celles-ci, non seulement contre les combattants de l’UCK, mais aussi contre les populations civiles. Rappelons que, dès l’été 1998, ces opérations avaient entraîné l’éviction de plus de 250 000 Kosovars de chez eux et la fuite d’une première vague de 80 000 réfugiés à l’extérieur.

La décision de l’OTAN d’intervenir ne fut pas prise sur le champ mais marqua l’aboutissement infructueux d’un long processus diplomatique sous les auspices du «Groupe de contact»3, qui devait s’achever à Rambouillet en février 1999. Les justifications avancées étaient de nature diverse.Solides sur le plan politico-stratégique (risque de déstabilisation régionale) et éthique (population en danger), elles l’étaient moins sur le plan juridique, malgré des références fréquentes aux résolutions 1160 et 1199 du Conseil de sécurité, lesquelles demandaient l’arrêt des violences des forces yougoslaves contre les civils, le retrait des forces engagées dans la répression, le retour des réfugiés et personnes déplacées, et la liberté des secours humanitaires - ensemble de conditions auxquelles le pouvoir yougoslave n’était pas prêt à accéder.

Les opposants à l’intervention n’ont pas eu de peine à faire valoir qu’elle violait la Charte des Nations unies, laquelle, selon l’interprétation classique, ne permet l’usage de la force que par résolution du Conseil de sécurité (Chapitre VII) ou en cas de légitime défense. Celle-ci ne pouvant être invoquée par l’OTAN, en l’absence d’une résolution du Conseil - qui n’aurait pu être obtenue en raison des oppositions russe et chinoise - on se trouvait devant le vide juridique constaté par Mario Bettati : en présence d’un risque constaté (notamment par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité et rapports du Secrétaire général) de violations massives des droits de l’homme, aucune autorité n’avait mandat pour agir. Les membres de l’OTAN ont donc décidé de passer outre, en soulignant qu’il s’agissait là d’un acte exceptionnel, qui ne devait en aucune manière être interprété comme un précédent.

Certes, l’intervention, humanitaire ou autre, devrait être l’exception plutôt que la règle.D’autre parr, on pourrait souhaiter que le Conseil de sécurité «fonctionne», c’est-a-dire qu’il mette au centre du bien commun international, dont il est le garant, la protection des droits de l’Homme.On pourrait aussi souhaiter sa réforme, de manière à le rendre plus représentatif de la société internationale à l’aube du nouveau millénaire.Sans négliger les efforts dans les deux directions, mais parce qu’ils seront lents à produire leurs effets - témoin des débats interminables de ces dernières années dans les enceintes onusiennes - et qu’une plus grande représentativité du Conseil ne serait pas nécessairement synonyme de meilleure garantie des droits de l’Homme, il est impératif de développer la règle de droit pour permettre l’intervention humanitaire.L’alternative est soit l’abandon des victimes à leur sort, soit le règne de l’arbitraire, qui sera alors celui du plus fort ou du plus téméraire.

Des critères à établir

Des juristes travaillent le sujet depuis de nombreuses années et ont énoncé une liste de critères qui devraient encadrer toute intervention dite «humanitaire»4. Ces critères sont très proches de ceux de la «guerre juste» : gravité de la situation; ultime recours après épuisement de toutes les voies non armées de résolution du problème; objectif limité ; proportionnalité des moyens aux objectifs recherchés ; probabilité de succès. Il faudrait y ajouter l’exigence que l’intervention humanitaire soit le fait d’un groupe d’Etats plutôt que d’un seul pays, et que les Etats en question restent en contact étroit avec les Nations unies, se montrant prêts à reverser le sujet dans le portefeuille du Conseil dès que les circonstances le permettent.Notons que cette voie a été suivie au Kosovo, avec la résolution 1 244 subséquente à l’intervention, qui a permis le déploiement de la KFOR et de la MINUK

Certes, le droit de l’intervention humanitaire ne sera jamais une règle imparable, tant il est vrai que le droit international est un reflet de relations avant tout politiques. Il n’en reste pas moins essentiel d’en fixer les paramètres pour que, d’un côté, les victimes ne soient pas laissées sans recours aux mains de leurs bourreaux et que, de l’autre, «l’humanité» ne serve pas de paravent à l’arbitraire de la puissance.

Catherine Guicherd
Assemblée Parlementaire de l’OTAN,
membre de Justice et Paix-France
(Lettre de Justice et Paix, Mars 2000)

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OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Regroupe l’ensemble des pays européens, les Etats-Unis et le Canada. Fondée en 1994, au sommet de Budapest, elle prend la suite de la CSCE, créée en 1975 par l’acte final d’Heisinki.

Objectif : développer la démocratie et le respect des droits de la personne en Europe, promouvoir la gestion pacifique des conflits entre Etats-membres, assurer la sécurité commune par la maîtrise commune des armements.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU se compose de 15 membres, dont 5 permanents (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) qui ont un droit de veto.

Les autres sont élus pour 2 ans par l’Assemblée Générale.

 

OTAN, organisation militaire intégrée de l’Alliance atlantique, sous commandement américain. Aux 16 membres (Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, France, Grèce, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Turquie) ont été adjoints en 1999 la Hongrie, la Pologne et la République tchèque.

Depuis septembre 1999, le secrétaire général est un Anglais, M.George Robertson.

 

KFOR (Kosovo Force).L’accord de KUMDANOVO signé à l’issue de l’opération «Force alliée» menée par L’OTAN en Yougoslavie prévoyait le déploiement au Kosovo d’une force internationale de 50 000 hommes.

Les cinq zones militaires créées au Kosovo sont sous la responsabilité de la KFOR.

 

MINUK : Mission des Nations Unies pour le Kosovo

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