Un siècle après qu’a
fait surface l’idée de mener entre Eglises des discussions
fondées sur le respect de la foi de chacun, mais aussi sur
le désir de retrouver une unité considérée
comme l’espérance même du Père, quel bilan
mitigé !- peut être tenté ?
Il est positif que ces discussions aient pu se poursuivre et que
des aboutissements concrets en soient le résultat : une prière
commune, le Notre Père, dite dans les mêmes termes, une
Bible commune (la T.O.B.), une indéniable décrispation
dans les contacts officiels, des essais de témoignage en commun
sur quelques sujets brûlants de l’actualité (malgré
certaines divergences telles celles touchant le P.A.C.S.). Les spécialistes
collaborent et s’entendent à tel point que, dans les colloques,
les communications des uns et des autres ne se distinguent guère
; les débats traversent chaque confession, le blocage étant,
non chez les théologiens, mais du côté de l’appareil
ecclésiastique et des milieux conservateurs (catholiques),
fondamentalistes (protestants) qui sont influents.
Dans les relations entre individus, la méfiance réciproque
est en partie tombée. Vis-à-vis de l’Etat, la laïcité,
chose impensable au début du siècle, est devenue un
bien défendu ensemble, avec encore, çà et là,
des réticences du côté catholique.
Une pratique commune de la lecture de la Bible et une assez remarquable
convergence dans certaines interprétations est peut-être
une des plus fortes avancées. Elle touche en effet non seulement
les spécialistes de ce livre, mais tout le peuple chrétien.
Nos amis catholiques deviennent aussi assidus dans cette lecture que
nous protestants et cela ne peut que nous réjouir et nous rapprocher.
Notre façon peu dogmatique de lire la Bible commence à
entrer dans les habitudes de nombre de catholiques. Il en découle
parfois une voie pour une catéchèse commune, réjouissante
aux foyers mixtes, et, en matière de dogmes, des rapprochements
conceptuels ont lieu, impensables il y a cent ans (la justification,
le désintérêt des reliques, l’existence de
diverses voies de salut, etc.).
De graves sujets de blocage subsistent au sujet desquels et malgré
le concile de Vatican II, aucun progrès ne semble advenu. Ces
blocages sont attristants parce qu’aujourd’hui nul ne sait
comment les contourner. Essayons d’en dresser une liste :
1/ En dépit de récentes déclarations de Rome
touchant l’absence de désaccords profonds sur la justification
par la foi proclamée par Luther (encore qu’il soit admis
qu’il n’a pu être trouvé à ce dogme
des formulations concordantes), il faut rappeler que la doctrine catholique
et la pratique papale des mérites et des indulgences sont bien
en retrait de ce que nous avions attendu.
2/ Plus grave est le désaccord touchant le caractère
de la messe qui empêche toute intercommunion ; il semble que
ce blocage découle de la vue sacrificielle de la mort de Jésus
et de sa répétition dans la liturgie eucharistique.
Cependant bien des prêtres français manifestent une volonté
de rapprochement en enlevant tout merveilleux inutile dans le langage
de leurs messes.
3/ Un autre élément majeur concerne la nature des
ministères et l’idée de succession apostolique.
La pensée d’une “mission divine” (je reprends
cette expression aux vaudois notamment) conférée à
tel homme ou à telle femme du peuple de Dieu, d’un ministère
aux différentes facettes, ouvert à tous, sans qu’un
sacerdoce de nature supérieure le domine, est loin d’avoir
fait son chemin. Un déblocage sur ce point pourrait entraîner
un déblocage sur bien des rites, en particulier sur la messe.
4/ Moindres désaccords peut-être, mais combien irritants,
sont ceux qui touchent la morale sexuelle, l’avortement, les
ministères féminins, le mariage des prêtres, etc.
Ces blocages sont désastreux dans un monde ouvert qui attend
des chrétiens plus d’amour et de compréhension
mutuelle. Ils sont graves parce qu’insidieusement ils manifestent,
à la Curie romaine, un raidissement dans une conception de
la “Vérité”, avec le sentiment qu’elle
est une et que la “hiérarchie” la détient.
A côté de cela, les divergences relatives à
Marie, au culte des saints et même à l’autorité
et à la position du pape, sont, en apparence, quelque peu secondaires.
Ce qui constitue un paradoxe, c’est qu’autant le dialogue
oecuménique entre Eglises est aujourd’hui bloqué,
autant il progresse lentement mais sûrement entre chrétiens,
un peu grâce au rejet que suscite chez nos frères les
raidissements du pape. L’animosité et la méfiance
qui étaient nettes il y a cinquante ans ont largement disparu,
sauf avec quelques obédiences monastiques plutôt marginales
ou avec quelques intégristes.
L’ oecuménisme des relations entre chrétiens
est en train de se vivre à la base, plus ou moins fortement
selon les lieux et les milieux. Il se développe et, espérons-le,
pourrait entraîner la hiérarchie catholique, qui sent
s’émietter son autorité, à rechercher de
nouvelles voies de dialogue.
Une pratique plurielle de la foi chrétienne, une approche
multiforme du culte naîtront-ils un jour ? Comprendra-t-on alors
que l’unité n’est pas dans l’uniformité,
mais dans une acceptation d’expressions différentes de
la foi venant mutuellement s’enrichir et non se combattre ? Prochainement,
non sans doute. Mais il est permis d’espérer. Pourquoi
les ouvertures de Vatican II ne seraient-elles pas poursuivies par
un autre concile ? En attendant, il appartient à chaque chrétien
d’oeuvrer pour accentuer la décrispation entre nos églises,
dans la bonne humeur et l’amitié, et d’en donner
dans la cité des signes tangibles... et tant attendus chez
ceux qui vivent dans des foyers mixtes.
De l’oecuménisme tenté entre théologiens
à l’oecuménisme pratiqué entre chrétiens
de base...
Et qu’en pensent nos lecteurs ?
Bernard
Félix