Certes, les échanges à
léchelle de la planète se développent,
sintensifient, saccélèrent : mais pas pour
tout le monde et de loin. La mondialisation ne rapproche quun
petit nombre dimmenses métropoles qui sinterconnectent
pour former larchipel mégalopolitain mondial,
laissant à lécart des continents entiers.
Nouveaux clivages
La mondialisation fabrique de la concentration et creuse des vides
: aujourdhui, la moitié de la richesse mondiale est produite
sur 1% des terres (1). Le mirage dune fraternisation planétaire
masque mal linjustice des échanges et laggravation
des inégalités entre les peuples.
Source dexclusion, la mondialisation accentue aussi les inégalités
entre ceux qui y prennent part. La situation des acteurs économiques
varie désormais du tout au tout selon quils produisent
des produits compétitifs sur les marchés internationaux,
ou quils se trouvent exposés à la concurrence
des pays à bas salaires, ou quils produisent des biens
protégés, ces services de proximité
insusceptibles de voyager (facteur, infirmière...). Cette logique
tend à accroître lécart entre compétitifs
et protégés et à laminer les exposés,
préparant la fin des classes moyennes (2). On voit
que, loin de rapprocher les peuples, la mondialisation met à
lépreuve leurs solidarités internes.
Il y a donc urgence à établir des contre-pouvoirs
internationaux (syndicats, ONG et tout ce qui soffre à
linitiative de la société civile) et des régulations
politiques. Entre Etats, ce peut être le rôle de lOMC.
Au plan interne, lEtat a vocation à préserver
la justice sociale et, plus que jamais, à contribuer au vivre-ensemble
de populations aux appartenances de plus en plus disparates. On peut
imaginer que se dessine, sans cela, un clivage croissant entre mondialisés
(mobiles, branchés et pragmatiques) et enracinés
(gens dun seul lieu, fidèles, peut-être un peu
bornés) (3). La mondialisation mettant désormais en
concurrence les territoires, les Etats ont dailleurs tout intérêt
à les aménager pour les rendre accueillants, notamment
en rapprochant les mondes antagonistes qui y vivent (4). Mais à
chacun de nous aussi dy faire face et doeuvrer au maintien
dun espace public qui ne consacre pas quun retour à
des relations de domesticité ou de clientélisme.
Bonnes et mauvaises différences
La mondialisation des échanges suscite des rapprochements
entre Etats et lapparition densembles régionaux,
mais à visées surtout protectionnistes. A mesure que
les frontières seffacent, il sen recrée
de nouvelles. Entre nations ou entre voisins : réveils identitaires,
sectarismes religieux ou politiques et autres crispations sur ce qui
fait racines et re-suscite des différences, créent de
nouvelles distances. Les marchandises et la main doeuvre nont
jamais été si mobiles, mais on contrôle de plus
belle la qualité sanitaire et les flux migratoires. Le consommateur
et la publicité oscillent entre les mérites dInternet
et les valeurs du terroir. A croire que, sous les dehors dune
approche sereine de la mondialisation, ouverte à lavenir
mais fidèle aux origines, se préparerait la spirale
destructrice unissant deux contraires : logique uniformisante du Marché
et singularisme, universalisme et communautarisme, raison et ésotérisme...
Ce sont les difficultés dune transition. Car aussi
bien nous expérimentons physiquement notre condition de citoyens
du monde et pouvons dautant mieux concevoir à présent
que la mondialisation puisse rapprocher les peuples. Cela supposerait
que nous apprenions à laisser raviver les singularités
à travers léchange, mené en vue et dans
le cadre de règles débattues et consenties. Au lieu
dune uniformité imposée et exclusive, construire
une humanité solidaire tendue vers son unité différenciée
(5).
Pierre-Olivier
Monteil
(1) O. Dollfus, La mondialisation, Presses de Sciences Po 1997,
p.168.
(2) P.-N. Giraud, Linégalité du monde. Economie
du monde contemporain, Folio/Actuel 1997, p.352.
(3) Voir E. Chiapello et L. Boltanski : Les petits
dans une société de réseaux, Autres temps n°59,
p.15.
(4) A. Brender, Limpératif de solidarité.
La France dans la mondialisation, La Découverte 1996, p.150.
(5) Selon lexpression de G. Simmel, cité par D. Martuccelli,
Sociologies de la modernité, Folio/Essais 1999, p.404.Responsabilité
planétaire et ingérence