5,1. Voyant les foules, (Jésus)
monte sur la montagne. Il s’assoit. Ses disciples s’approchent
de lui.2. Il ouvre la bouche et les enseigne en disant :
3. “Heureux les pauvres en esprit
: à eux est le royaume des cieux !
4. Heureux les doux : ils hériteront
la terre.
5. Heureux les affligés : ils
seront consolés.
6. Heureux ceux qui ont faim et soif
de la justice : ils seront rassasiés.
7. Heureux les miséricordieux
: pour eux il y aura miséricorde.
8. Heureux les purs de cœur :
ils verront Dieu.
9. Heureux les pacifiants : ils seront
appelés fils de Dieu.
10. Heureux les persécutés
à cause de la justice : à eux est le royaume des cieux
!
11. Heureux êtes-vous, quand
ils vous insulteront et persécuteront, quand ils diront contre
vous toute mauvaiseté (en mentant !) à cause de moi.
12. Réjouissez-vous, exultez
! Votre salaire est abondant aux cieux. C’est ainsi qu’ils
ont persécuté les prophètes, ceux d’avant
vous !” (Traduction Sœur Jeanne d’Arc).
La situation médiatique
Jésus, la foule, les disciples : une relation s’établit
entre Jésus et ces deux groupes. Jésus assis sur la
montagne ; les disciples, à proximité ; les foules,
plus loin, mais cependant à portée de parole. Cette
mise en scène, très visuelle, a une grande valeur de
suggestion : le Maître du Sermon sur la montagne parle entre
ciel et terre ; la parole de Jésus met les disciples à
son école, les rendant de plus en plus disciples ; en même
temps, cette parole n’échappe pas aux foules qui sont
“frappées par son enseignement”. (Mt 7,28).
Un poème sur le bonheur
Nous avons du mal à parler aujourd’hui du bonheur, alors
que beaucoup d’hommes et de peuples s’entre-tuent et que
notre vie et celle de nos proches est souvent faite de petits bonheurs
dont l’addition ne constitue pas “le Bonheur”.
Dans le Sermon sur la montagne (Mt, chap 5 à 7), Jésus
va exiger beaucoup de l’homme mis au bénéfice de
l’Evangile. Avec le message des béatitudes, il célèbre
d’abord le bonheur qu’il offre à l’homme dans
un langage profondément poétique. Comme souvent en poésie,
l’écoulement des mots et des images obéit à
une construction rigoureuse : chaque béatitude comporte une
déclaration de bonheur, toujours la même (“Heureux”),
qui s’adresse à un groupe chaque fois différent
(“les pauvres en esprit”) et annonce le type de bonheur
correspondant (“à eux est le royaume des cieux”).
Les lecteurs se sont toujours demandé si tous ces groupes
de gens heureux le sont en raison d’une situation qu’il
leur est faite (ou qu’ils subissent) ou bien en raison de leur
activité. Autrement dit, est-ce que les béatitudes indiquent
les chemins que l’auditeur de Jésus doit prendre pour
être fidèle à la parole entendue ou bien sont-elles
plutôt et d’abord la célébration généreuse
et joyeuse de ce que le messie apporte aux hommes ? Les béatitudes
paraissent marier, d’une manière subtile et provocante,
la célébration du don et l’indication d’une
exigence, l’offre et la demande l’utopie universelle et
la mise en chantier de tâches concrètes. Elles explicitent
la bonne nouvelle à recevoir mais aussi à vivre, sous
forme de symboles incantatoires qui plongent leurs racines dans l’humus
biblique : le royaume des cieux et la terre promise, le rassasiement
de justice et la totale compassion, la vision de Dieu et la relation
filiale avec lui.
Un bonheur sur parole
Le secret du bonheur annoncé se tient dans la parole de Jésus.
Sont heureux ceux que Jésus déclare heureux. Sans doute,
pour l’instant, ils demeurent ce qu’ils sont : pauvres,
persécutés. Le bonheur annoncé n’attend
pas que la situation actuelle ait été corrigée
; il est là tout de suite, en retombée de la parole
du Maître. Les dons faits aux uns et aux autres sont exprimés
soit au présent (“à eux est le royaume des cieux”),
soit au futur (“ils seront consolés”). Tout n’est
pas donné tout de suite et à tous, mais tout est annoncé
et célébré dans la festive proclamation de Jésus.
Le bonheur des maltraités
La bénédiction des persécutés (v. 10-12)
occupe une place particulière ; la dernière dans la
liste des béatitudes ; elle est adressée aux disciples
par une interpellation très directe (Heureux êtes-vous).
De bonne heure, les premiers chrétiens ont été
maltraités, soit comme “mauvais Juifs”, parce qu’ils
reconnaissaient Jésus comme messie, soit, plus tard, comme
“mauvais citoyens” de l’Empire romain, parce qu’ils
se réclamaient de la seigneurie du Christ et marquaient ainsi
leur différence (dans les domaines du culte et de l’éthique).
La béatitude des malmenés insère les disciples
dans une longue histoire qui évoque, en amont, la persécution
des prophètes dont les chrétiens prennent la succession,
et en aval, la série toujours ouverte des maltraités
pour délit de conviction chrétienne (“à
cause de moi”) : les souffrances des maltraités “ne
sont ni nouvelles, ni accidentelles, ni absurdes” (P. Bonnard).
La voix du Maître redouble de joie (“Réjouissez-vous,
exultez !”) pour dire leur bonheur à venir. Et, prenant
une image commerciale, Jésus d’évoquer le “salaire
abondant” qui leur est réservé dans les cieux.
Non que les persécutés méritent par de grandes
souffrances l’entrée au bienheureux royaume, mais leur
extraordinaire salaire, immérité, peut être fermement
espéré de la seule parole de Jésus.
Les béatitudes me dépassent
Tout ce que l’on peut dire des béatitudes reste très
en deçà de leur force toujours neuve de provocation
et de persuasion. Qui suis-je, moi chrétien bien nourri et
pas maltraité, pour annoncer ce bonheur paradoxal et, sous
certains aspects, scandaleux ? Il est déjà heureux pour
moi que ma place soit d’abord parmi ceux qui écoutent.
Il est bien clair que face à la révélation de
ce bonheur, il est fait appel à notre foi, et non pas à
quelque évidence psychologique ou sociale.
Michel
Cambe