Au début de ce mois de novembre
ont lieu les élections présidentielles aux États-Unis.La
campagne électorale a été une démonstration
supplémentaire des incompréhensions réciproques
franco-américaines, en particulier sur le terrain religieux.
Quel que soit le président élu le 7 novembre, c’est
sur la Bible qu’il prêtera serment. Et la campagne électorale
aura été émaillée, plus que les précédentes,
de préférences religieuses. Le candidat démocrate
Al Gore se dit “born again”, né de nouveau par la
conversion. Il a choisi comme co-listier Joseph Liebermann, juif orthodoxe
et pratiquant, défenseur de valeurs traditionnelles, ce qui
le fait aussi apprécier par des conservateurs.Liebermann a
débuté sa campagne en disant aux Américains qu’ils
devaient “renouveler l’engagement de notre nation et de
nous mêmes à Dieu et au dessein de Dieu” (“renew
the dedication of our nation and ourselves to God and God’s purpose”).
De son côté, Georges Bush déclarait qu’il
fallait un but moral et spirituel à la croissance (“prosperity
with a purpose”).
Drapés dans leur laïcité, les Français
ont suivi avec amusement, agacement ou ironie l’utilisation du
nom de Dieu par les différents candidats. C’est que la
société américaine, et son personnel politique,
ont évolué -nous ne sommes plus dans les années
60 où Kennedy, premier président catholique de l’histoire
américaine, devait rassurer les citoyens en affirmant que sa
foi catholique ne jouerait pas de rôle dans sa vie publique
ni dans l’exercice de ses fonctions. Échaudés par
les scandales moraux et financiers des dernières années,
les citoyens portent de plus en plus d’intérêt à
la personnalité du candidat, y compris à ses références
religieuses.
Certes, il ne faut pas confondre religion et adhésion à
une institution.Les sondages indiquent toujours qu’une large
majorité des habitants des États-Unis croient en Dieu.Pourtant,
cela ne signifie pas une confiance totale dans les Églises
ou groupements religieux.Alors qu’on compte par exemple onze
lieux de culte divers dans une petite ville de dix mille habitants,
la liberté religieuse est plus qu’une formule aux USA
!
La conception française de la laïcité est autre,
parce que notre pays a vécu une histoire différente.
Au cours des siècles, il n’a guère connu qu’une
seule Église, majoritaire, l’Église catholique.Les
divers pouvoirs, à commencer par nos rois, ont cherché
à la dominer, ou à la manipuler.Depuis des siècles,
elle a suscité des réactions anti-cléricales.C’est
par rapport à son existence et à son influence que souvent
les Français se situent et ont réagi -même si
de nos jours la question n’est
plus si brûlante, cela demeure dans l’inconscient collectif.
Du coup, la France en arrive à renier son propre héritage
religieux.Le mois dernier, l’Union Européenne a programmé
une “Charte des Droits fondamentaux”. L’un des projets
du préambule mentionnait que l’Europe a un “héritage
culturel, humaniste et religieux”.Le Premier ministre français
est personnellement intervenu pour s’opposer à ce texte,
au nom de la laïcité française.On en arrive ainsi
à biffer de l’histoire européenne des siècles
où les religions ont aussi apporté leur pierre à
la construction. Est-ce en souvenir des guerres que les religions
ont provoquées en Europe et, qui, en fait, ont été
plus politiques que religieuses ? Est-ce par crainte du fanatisme
et du manque d’ouverture ?
Entre des hommes d’État qui, peut-être, citent
trop la Bible, et ceux qui mettent entre parenthèses toute
référence religieuse, existe-t-il une voie médiane,
qui soit celle de la sagesse et de la reconnaîssance ?
Pierre
Stabenbordt