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Pourquoi Paul rien écrit sur ce qu’a dit et fait Jésus ?

Enquête sur l’apôtre Paul :
Mais pourquoi donc n’a-t-il rien écrit sur ce qu’a dit et fait Jésus ?

Une véritable énigme

L’apôtre Paul a puissamment contribué à répandre le christianisme hors de la Palestine et il a apporté des formulations théologiques solides et subtiles à un message et une proclamation lancés à l’origine par Jésus de Nazareth. Dans ses lettres, il parle de la mort du Christ sur la croix et de sa résurrection, mais pratiquement pas de ses paroles, ni de ses polémiques avec des hommes de son temps, ni de ses compassions, et compromissions vis-à-vis des souffrants et des petits de ce monde ; et encore moins des fameux miracles. Curieusement, alors que les théologiens reconnaissent volontiers cet état de fait, bien peu l’expliquent de façon satisfaisante. Nous nous proposons, dans cet article, d’essayer d’apporter quelques réponses à cette énigme. Nous commencerons par rappeler rapidement que Paul n’a pratiquement rien écrit sur les dire et les faire de Jésus ; et ensuite nous nous poserons la question de savoir pourquoi : ne savait-il que très peu de choses ? Et alors pourquoi n’est-il pas allé aux renseignements ?Et comment peut-on prêcher un Jésus que l’on ne connaît pas ?Ou bien en savait-il beaucoup plus ? Mais alors pourquoi n’a-t-il rien écrit de ce qu’il savait ?Pourquoi les paroles et les actes de Jésus n’entrent-ils pas dans son argumentaire pour convaincre ses interlocuteurs qu’il faut faire confiance à cet homme ?

Voilà donc ce que nous allons essayer d’élucider. Evidemment nous ne ferons que des hypothèses. Et nous attendons que quelqu’un d’autre en fasse de meilleures, de plus plausibles.

Paul ne se réfère pas aux paroles de Jésus, ni à ce qu’il a fait.

L’ensemble des lettres authentiques de Paul ne contient que six références explicites à une parole du Seigneur. Trois fois (I Co 7,10 ; I Co 9,14 ; Ro 14,14), on retrouve effectivement des phrases approchantes dans les évangiles, mais avec un sens différent. Et le Jésus des évangiles est probablement plus authentique que celui de Paul parce qu'il répond à des problèmes juifs ou qui se sont posés avant Pâques, alors que celui de Paul répond à des problèmes gréco-romains ou qui se sont posés après Pâques. Prenons un seul exemple : en I Co 7, l’apôtre ordonne à la femme de ne pas quitter son mari. Alors que le Jésus des évangiles recommande à l’homme de ne pas répudier sa femme. Or, dans le monde juif, l’idée que la femme puisse quitter son mari est totalement exclue, mais pas dans le monde gréco-romain. Sur cet exemple, donc, nous voyons que le Jésus de Paul répond à une question qui ne se posait pas parmi les interlocuteurs directs de Jésus.

Une autre citation (I Th 4,2) est extrêmement vague : elle recommande de vivre dans la sainteté. Une autre (I Th 4,15) est complètement étrangère au Jésus des évangiles ; elle précise que les morts ressusciteront avant les vivants. Enfin le récit du repas du Seigneur (I Co 11, 23-25) est le seul vraiment proche de celui des évangiles, mais beaucoup d’experts pensent que ce serait bien plutôt les évangiles synoptiques qui auraient transcrit une tradition paulinienne. Enfin les formes littéraires adoptées, toujours ambiguës (les instructions que nous vous donnons de la part du Seigneur ; j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur. . . ) montrent bien que l’apôtre s’exprime au nom du Christ, plus qu’il ne rapporte ses paroles. En dehors de ces phrases, on trouve chez Paul des sentences éthiques proches des paroles de Jésus, sur l’amour mutuel, sur le souci et le respect des autres. Car l’un et l’autre sont de grands moralistes. Mais dans ce cas, il n’y a jamais de référence à Jésus, mais plutôt à la Septante.

En conclusion, lorsque Paul pourrait s’appuyer sur des paroles de Jésus, il ne le fait pas. Et les rares fois où il le fait, le sens qu’il donne à ces paroles, est en général assez différent du sens évangélique. Aucune allusion non plus à la vie de Jésus, à ses rencontres avec les malades, les rejetés, les marginaux. Paul défend le Jésus Messie à partir d’une réinterprétation de la Bible hébraïque, ce qui est bien paradoxal, puisqu’il cherche à convertir les païens qui ne la connaissent pas . Mais il ne se soucie pas du tout de retracer ce qu’a été la vie, l’enseignement et les engagements de Jésus.

Nous sommes donc dans une situation curieuse : Jésus a formé des disciples, fait parler de lui jusqu’à alerter les autorités romaines et juives en raison de son enseignement et de son engagement personnel. Au point que certains ont reconnu en lui le Messie. Alors que l’apôtre défend la messianité de Jésus seulement à partir des Ecritures, qui justement n’en parlent pas.

Trois types de littérature

Mais l’apôtre n’est pas tout seul à prêcher Jésus Christ sans parler de sa vie et de son enseignement. Si nous regardons l’ensemble de la littérature chrétienne du 1° siècle, nous pouvons la classer en trois catégories :

Celle qui provient des milieux judéo-chrétiens hellénistiques. Ce sont tous les écrits du Nouveau Testament, à l’exception des évangiles, la lettre de Clément de Rome aux Corinthiens et les 7 lettres d’Ignace d’Antioche. L’ensemble de ces écrits ne parle à peu près pas du Jésus historique ni de ses paroles, mais reprend abondamment le kérygme de l’église primitive : Christ est mort et ressuscité pour le rachat des pécheurs. Toutefois, lorsque l’on regarde attentivement les dates d’écriture de ces textes, on sent bien, vers la fin du siècle, un léger frémissement : les paroles de Jésus commencent à être évoquées, on en trouve quelques bribes. Par exemple on lit en I Tm 6,3 : “si quelqu’un ne s’attache pas aux saines paroles du Seigneur”. Ou Clément de Rome, qui inonde sa lettre de citations du premier Testament, mais cite cependant quelques parcelles du sermon sur la montagne en précisant qu’elles furent dites par le Seigneur Jésus.

Celle qui provient des milieux syro-palestiniens. Ce sont l’évangile de Thomas, la Didachè et l’hypothétique source Q. Ces textes, retrouvés tardivement (sauf évidemment la source Q, pas encore retrouvée !), mais très anciens, citent abondamment les paroles de Jésus. Ils ne contiennent pas de récit de la passion et de la mort de Jésus et pour eux Jésus n’est pas Messie, mais maître de sagesse ou Fils de l’homme. Il sauve par son enseignement et non pas par sa mort sur la croix.

Enfin les évangiles canoniques qui combinent intelligemment ces deux littératures si différentes.

Nous retrouvons ici ce que les théologiens disent depuis un certain temps : il existait, au premier siècle, plusieurs christianismes bien différents. L’un hellénisé n’avait retenu que l’évangile de la croix ; un autre, plus palestinien, était centré sur l’évangile de la parole. Sans compter encore bien d’autres, dont principalement le christianisme jérusalémite, resté très juif, et celui de la tradition johannique. Le premier avait sans doute été porté par des pèlerins juifs de la diaspora qui se trouvaient à Jérusalem au moment de la passion et sont ensuite retournés chez eux, marqués par cette injuste condamnation à mort et par les bruits de résurrection qui commençaient à se répandre. Le second s’est d’abord installé en Galilée parce que les disciples, en majorité galiléens, sont retournés chez eux après Pâques et de toute façon c’est dans cette contrée que Jésus prêchait.

Deux christianismes qui commencent par ne pas se rencontrer

La grande question est donc de savoir à quel moment et à quelle vitesse ces deux christianismes se sont recomposés entre eux et comment se situait Paul par rapport à cette recomposition. Le regard que nous avons porté sur la littérature du premier type montre que cette rencontre ne s’est pas faite facilement ni rapidement. Nous avons beaucoup de mal, en effet, à imaginer qu’en Asie Mineure, on parlait beaucoup du Jésus de l’histoire oralement et que, dès qu’on se mettait à écrire, on ne disait plus rien. Et pourtant, dans ce monde de la diaspora juive, les informations circulaient bien, malgré les distances. Il faut donc imaginer des obstacles à la communication. Le principal a certainement été d’origine sociologique. Le message de Jésus était radical : dépossédez-vous de tout, y compris de vous-mêmes, et vous gagnerez le ciel. Ce message a été entendu et porté par le petit peuple des campagnes qui n’avait pas grand chose à perdre. Mais il était inadapté aux riches villes d’Asie Mineure et d’Europe qui l’ont donc repoussé. Car ce qui n’est pas recevable n’est pas transmis et tombe dans un oubli de circonstance. Le message radical de Jésus est donc transformé arrivant dans ces villes, et a évolué vers deux directions.

L’une est christologique : ce n’est plus le message qui est porté aux nues, mais le Messager.

L’autre est éthique : ce n’est plus la radicalité de la dépossession qui est prêchée, mais une certaine paix sociale. Les riches doivent soutenir les pauvres et les pauvres doivent en être reconnaissants. L’important, c’est la cohésion sociale qui doit être construite sur la base de l’amour mutuel.

Deux périodes chez Paul

Après sa conversion, Paul fréquente donc, à Damas puis à Antioche, des églises qui connaissent essentiellement de Jésus sa mort et sa résurrection et qui l’ont fait Messie. Il hérite de ces idées ; il les prolonge et en pousse le contenu théologique. Et, s’il ne peut pas se renseigner davantage, c’est tout simplement parce que les églises d’Asie Mineure n’en savent pas tellement plus que lui.

Tout ce qu’il savait de Jésus, il le tenait principalement de la polémique pharisienne dans laquelle il baignait avant sa conversion. Car, pour persécuter les chrétiens avec une telle détermination, il fallait bien avoir des raisons. La principale était probablement la distance qu’avait prise Jésus par rapport à une application stricte de la loi. Il est normal que cette position de Jésus ait été à la fois la raison des persécutions que Paul exerçait et la raison de sa conversion ultérieure. Car l’apôtre a toujours été perturbé par la loi, avant, comme après sa conversion.

On s’entend souvent rétorquer que Paul devait en savoir beaucoup plus sur Jésus que ce qu’il en a écrit, mais il considérait cette connaissance comme peu importante. D’après ce que nous avons vu, cet argument devrait être également étendu à l’ensemble des auteurs de la littérature du premier type, c’est-à-dire aux églises d’Asie Mineure. Mais, si un ensemble de faits est si peu important qu’on n’en parle pas, il tombe forcément dans l’oubli. On ne peut pas transmettre une connaissance dont on ne parle pas. D’ailleurs l’apôtre précise bien lui-même, en Ga 1,16 qu’il n’a rien appris des hommes sur Jésus, mais qu’il a tout reçu par révélation. Une révélation peut apporter quelques idées fortes, comme la libération de la loi et qui explique le peu d’intérêt de Paul pour ce qu’a fait et dit Jésus. Le Messie juif vient changer le monde, dans la gloire du Royaume qui doit survenir. Il ne vient pas faire la morale aux foules rencontrées au hasard de ses déplacements.

On voit donc que l’application du titre de Messie à Jésus est un facteur qui a fait passer au second plan son enseignement.

Il faut noter aussi que, si l’apôtre reprend le schéma logique salvateur des religions à mystères, il le transforme profondément. Car le rituel, très important dans les religions païennes et destiné à frapper les imaginations, est pour lui tout à fait secondaire. Ce qui compte, c’est la transformation intérieure et spirituelle, en vue d’accomplir les œuvres de Dieu. La mort avec le Christ, par le baptème, fait resurgir l’homme nouveau, l’homme spirituel, qui doit vivre pour faire triompher la justice. Il n’y avait rien de tel dans les religions orientales. Paul tire la religion vers son véritable rôle, rendre l’homme meilleur.

Ces deux hommes qui ne se connaissent pas

Le christianisme a hérité de ces deux traditions. Celle, prophétique, qui venait de Jésus, et qui voyait le salut dans la perfection de l’amour du prochain. Elle conduisait à une exigence éthique radicale qui allait jusqu’à demander l’impossible à l’homme. Et puis celle, plus institutionnelle, portée par Paul, qui voyait davantage le salut dans une communion avec la mort du Christ sur la croix et qui insistait sur l’unité de la communauté, corps du Christ. L’Eglise n’aurait sans doute pas tenu longtemps sans la combinaison bienfaisante de ces deux traditions. Car Jésus était peut-être trop révolutionnaire et exigeant pour que son message puisse sortir tout cru de son époque et de son milieu. Et Paul tout seul était trop ignorant de la pensée profonde de Jésus pour pouvoir impressionner pendant de nombreux siècles des générations qui s’éloignaient peu à peu de la logique des mystères. Nous avons donc bénéficié d’une heureuse conjonction. Mais il n’en demeure pas moins que le Jésus authentique est celui des paroles ; et qu’après lui, l’Eglise est partie, avec Paul, sur une christologie qui n’était pas d’origine. Heureusement qu’après l’apôtre nous avons eu les évangiles !

Henri Persoz

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