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Violence en Afrique

L’Afrique, peut-être plus que les autres continents aujourd’hui, vit presque essentiellement de la violence. Les Etats et les Sociétés, de manière consciente ou non, ont fait de celle-ci leur mode de gestion et de fonctionnement.Tout un système qui fait chercher à sortir de ce système ou à proposer autre chose à la place de la violence devient un défi.Celui-ci menacerait de désorganisation la structure asservissante et destructrice dans laquelle la plupart des Africains s’enferment, se laissent dominer ou en deviennent des victimes.

Nous osons croire et penser que la violence spontanée ou érigée en système, singulière ou généralisée, ne saurait être une fatalité en Afrique.Il y a lieu et nécessité de lui trouver une alternative.Après avoir attirée l’attention sur la violence, l’Etat et la société en Afrique, nous proposons de montrer que la non-violence peut devenir une solution, voire une solution durable aux conflits en Afrique.Une telle proposition, pour être possible et réaliste, exige des raisons d’une éthique de paix ainsi que des lieux de formation et de culture à l’agir humanisant par la non-violence.

En prenant la violence comme une déshumanisation de l’autre, nous allons constater que les Etats et la société l’utilisent comme principale solution des conflits en Afrique.

La violence, notons-le, est une force brutale exercée sur une personne de manière intentionnelle contre sa volonté et pour lui faire du mal.Elle est “agir nuisible, délibérément infligée à autrui contre sa volonté et en faveur de l’auteur de l’action”1.Rupture brutale de la coexistence par la dépersonnalisation de la non victime, la violence trouve le terrain fertile là où il y a la peur de l’autre et l’absence du dialogue.Dans cette optique, l’autre est perçu comme un danger ou une “chose” gênante qu’il faut écarter, faire disparaître ou annihiler.Elle est alors une méthode de lutte dans laquelle en déshumanisant la victime, le violent devient lui-même inhumain.Il s’abrutit et n’a plus de cœur ou de sensibilité à la souffrance de l’autre.Dans ce sens, la violence, qu’elle soit physique, morale, verbale, économique ou culturelle, est un moyen de résoudre un conflit en détruisant réellement ou symboliquement son adversaire.Le violent se place ainsi en terrain de non-loi, de non-dialogue de la déshumanisation de l’autre et de l’émotion qui l’empêche de réfléchir.C’est une méthode que la plupart des Etats et sociétés africaines utilisent pour la résolution de leurs conflits.

1 - Etats et violence en Afrique

Un grand nombre d’Etats africains ne sont pas forcément l’émanation de la volonté, de l’héritage et de l’idéal communs des composantes des nations dont ils sont sensés être les personnes morales. Plus ou moins artificiels pour la plupart, plusieurs de leurs dirigeants ne jouissent pas de la légitimité que seuls leurs peuples pourraient leur donner, utilisent la violence comme l’unique méthode de gouvernement.Elle se traduit par la dictature, le recours facile et régulier aux forces armées pour intimider, brimer et aliéner les libertés des citoyens. Une telle violence qui déshumanise les populations, fait des dirigeants d’Etats les bourreaux de leurs peuples.On se rend compte “qu’ils soient nés du fait de la fin de la colonisation, ou du fait de l’avènement de libération, les pouvoirs africains se sont presque tous, sous des formes diverses, appuyés politiquement sur leurs armées”2.

En plus des forces armées qui déshumanisaient, l’Etat utilisait et utilise encore les sensibilités affectives pour manipuler les populations et les pousser à s’entrechoquer et se faire violence.L’instigation du tribalisme, de l’éthnicisme, des religions, de la corruption et du favoritisme ont servi à plusieurs Etats à cultiver la zizanie, la peur des autres, la haine, la rancœur qui ont poussé aux violences par les guerres tribales, religieuses et les génocides.Ces instigations à la violence s’accompagnent le plus souvent du non respect des textes des lois et des règlements en vigueur, de l’impunité, de la réduction, annulation ou refus de création des espaces de prise de parole et de dialogue entre les gouvernants et les gouvernés.Le manque de ces espaces provoque le ras-le-bol des populations, leurs débordements et les désordres qui s’en suivent.On arrive à un point où il n’y a ni possibilité d’échanges ni celle de remise en question et de critique.Dans ce sens et partant du conflit de pouvoir entre l’Etat et les paysans, Jean-Marie ELA écrit “Les révoltes paysannes que l’on observe ici et là et les organisations populaires qui se multiplient dans les régions où le plus souvent les coopératives administratives ont échoué s’inscrivent dans une dynamique globale traversée par l’affrontement entre les logiques étatiques et les stratégies paysannes”3.Les conflits entre l’Etat et les citoyens sont réels.Mais devront-ils toujours se régler par la violence ? Comme le constate Séverin Cécile ABEGA “il y a donc un besoin de réaménagement par la détermination de l’espace d’exercice des libertés et des droits du citoyen et de l’autorité, le champ de compétence et d’action du pouvoir, en précisant et en acceptant les rapports de pouvoir entre le pouvoir et le citoyen”4.

Nous constatons ainsi qu’il y a nécessité de changer la violence par toutes autres possibilités qui créent ou facilitent des espaces de rencontre de dialogue et d’autres modes de résolutions de conflits.Ce que nous disons de l’Etat est aussi vrai pour la société.

2 - Violence et société

Nous voudrions montrer ici que la violence peut naître du choc des groupes sociaux, d’une défaillance de l’arbitrage ou peut faire partie de la raison d’être d’un groupe social donné.Nous parlerons de la société en général, y compris la société civile sur laquelle nous reviendrons plus tard.Il s’agit pour le moment de la société globale qui comprend les gouvernants et les gouvernés organisés en fonctions de leurs cadres d’activités ou d’intérêts.

Les mutations non préparées et la désorganisation sociale peuvent conduire à l’impasse.Le manque de repères ou d’une assurance pour un avenir pousse de manière inéluctable les forces vives d’une société vers le désarroi et angoisses qui sont des limons fertiles à la violence. On y arrive quand ces forces vives à intérêts multiples et souvent antagonistes n’ont pas de possibilité de rencontre et de concertation.Chacune d’elle, à sa manière, lutte, avec ou contre l’autre pour survivre, trouver à manger, se soigner, envoyer ses enfants à l’école ou penser à l’hypothétique avenir.Nous pouvons ainsi constater avec Jean Marc ELA que “Dans une Afrique où les scénarios de crise se multiplient dans les formes d’implosion actuelles, il semble nécessaire de construire la rupture à partir des lieux de mémoires où les nouvelles générations se réapproprient les traditions de lutte et de résistance qui appartiennent à l’histoire africaine”5.Nous nous rendons compte de ce que la société qui se veut de plus en plus plurielle porte en elle les germes de lutte et de résistance.Tout devra dépendre aussi de plus en plus de la nature de ces prises de position. Seront-elles violentes ou non-violentes ? Au cas où il n’existerait pas d’espace de négociation, notre société trouvera dans les frottements et démêlés des diverses forces vives, des lieux possibles de tensions pouvant engendrer la violence s’ils ne sont pas régulés ou réglementés autrement.

La démission de l’État dans ses fonctions régaliennes que sont surtout la sécurité, la justice, la protection des libertés et des droits des citoyens ainsi que la bonne gouvernance peut placer les populations dans une situation de violence. On peut ainsi voir des hommes et des femmes qui, parce qu’ils se sentent en danger permanent, utilisent aussi les moyens de la violence pour se défendre. Les exemples des États-Unis d’Amérique, des populations du Nigéria ou des grandes villes du Cameroun nous montrent que quand les citoyens ne se sentent pas en sécurité, il y a recrudescence de la violence 6 .

Il en est de même de la justice mal rendue ou pas du tout rendue. Dans ce cas, on a vu en Afrique du Sud ou Cameroun l’explosion de la justice populaire faite de brutalité, de défoulement, des rancœurs, de vengeances, de règlements de compte de limogeage et de tuerie qui ne mettaient plus de limite à la déshumanisation de la société. La non protection des libertés et des droits a ouvert la voie aux abus de toutes sortes, faisant de la société une jungle dans laquelle tous les coups étaient permis puisqu’on s’installait dans l’impunité et les passe-droits. La période des villes mortes au Cameroun illustre notre propos et montre que dans une société où les libertés et les droits ne sont pas protégés, la violence élit domicile 7. C’est aussi vrai pour les ressources humaines, matérielles ou financières malgérées. une telle situation qui crée des injustices sociales, financières, économiques et autres favorise les frustrations les mécontentements, les révoltes et les haines qui fertilisent les états et les actions de violence.

A cette brutalité due à la démission de l’État de ses fonctions régaliennes, ajoutons la violence suscitée par les motifs ou les enjeux religieux. En effet, l’Afrique est une terre de rencontre des religions. Leurs contacts ne se font pas toujours dans la paix ou de manière conviviale. Nous pouvons remarquer que les religions traditionnelles africaines ont lutté et luttent encore pour défendre et conserver une certaine Afrique qui devrait restée inchangée, immuable. Elles ont été des ressources et moteurs de résistance contre le changement ou en face des envahisseurs étrangers. Comme l’affirme GLELE: “Le Vaudû, on le sait, a en Haïti, grâce au pacte de sang de Bois Caïman, servi de fondement à la résistance et à la lutte des Noirs soudés autour de Toussaint l’Ouverture contre le colonisateur. Le Vandû a fondé et soutend la République d’Haïti. De même, les populations africaines ont puisé dans la religion ancestrale toute l’Energie nécessaire à la résistance aux colonisateurs” 8. Les religions traditions africaines ont permis la résistance. Elles sont encore le refuge de l’Africain devant l’étourdissante mutation et transformation sociale, le déracinement et la perte d’identité des Africains. Leur résurgence ou le recours à elle traduisent donc une certaine peur et peut devenir une source de conflits. Ces conflits sont à prendre au sérieux d’autant plus que ces religions traditionnelles africaines constituent souvent l’objet d’attaque et de destruction des autres religions offensives, missionnaires, expansionnistes et universalistes. Nous constatons que d’une certaine manière, le christianisme et l’islam surtout, passent une majeure partie de leurs efforts à combattre les religions traditionnelles et à se neutraliser, à se battre entre elles. S’installant très souvent comme religions antagonistes, rivales et même ennemies, elles cultivent dans les forces vives de la même société des haines et des germes de violence.

Cette animosité ne se manifeste pas seulement entre les religions en situation africaine. Mêlées aux problèmes ethniques, régionaux et tribaux, une religion peut devenir le facteur ou le lieu de division et de lutte fratricides. On a ainsi un à Foumban au Cameroun comment deux groupes de tendances différentes pourtant tous des musulmans, ont provoqué une guerre sanglante au sein du même peuple. Dans l’Église Catholique du Cameroun, à cause de la nomination d’un évêque d’une autre tribu, l’ordre public a été troublé et il a risqué avoir la guerre entre les Beti du centre et les Bamiléké de l’ouest du Cameroun. Les forces de l’ordre se sont vues obligées d’intervenir dans l’Église Presbytérienne Camerounaise pour arrêter la bagarre généralisée et violente initiées par les membres de cette Église 9 peuvent devenir les facteurs et les moteurs de la violence.

Sans être exhaustifs, terminons cette description en partant de la culture de la violence en Afrique. Traumatisés par l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme, les africains d’hier et d’aujourd’hui n’ont, pour la plupart, connu et reçu que la civilisation de la violence. Le fouet, la matraque et les fusils sont des instruments de brutalité utilisés contre ceux d’entre eux qui sont des travailleurs, des élèves, des étudiants ou des manifestants. Plusieurs écrivains africains en ont fait mention. C’est le cas de EZA BOTO dans Ville cruelle : “ les Noirs remplissaient le Tanga des autres, où ils s’acquittaient de leurs fonctions : Manœuvres, petits commerçants, cuisiniers, boys marmitons, prostituées, fonctionnaires, subalternes, rabatteurs, escrocs, oisifs, main d’œuvre pénale, les rues en fourmillaient... comme les gens de la forêt qui conservaient leur authenticité, les habitants de Tanga étaient neutres, nains trop gais, trop sensibles. Mais en plus, il y avait quelque chose d’original en eux maintenant: un certain penchant pour le calcul mesquin, pour la nervosité, l’alcoolisme et tout ce qui existe le mépris de la vie humaine - comme dans tous les pays où se disputent de grands intérêts matériels. C’était la ville de chez nous qui détenait le record des meurtres... et de suicides ! on y tuait, on s’y tuait pour tout, pour un rien et même pour une femme”10. Charly-Gabriel MBOCK qualifie cette nouvelle mentalité de la violence de civilisation monstrueuse, dépersonnalisante et meurtrière. Il y voit un rapprochement entre le loisir et la violence11.

En plus de cette banalisation de la violence, nous avons plusieurs centres de formation à la brutalité déshumanisante. La fabrication, la vente et les habitudes données aux enfants pour l’usage des armes (jouets ou réelles), les films de l’horreur des vidéoclubs, les énormes dépenses à l’achat des armes et la formation militaire pour intimider et détruire l’ennemi ne favorisent pas le processus de la valorisation et du respect de la vie de l’autre.

Nous pouvons bien entendu nous poser la question de ce qui pousse ainsi à la violence. Cette question a déjà trouvé une partie des réponses dans un certain nombre des motifs de la brutalité. Nous avons parlé entre autre de la peur, des frustrations, des angoisses et du désespoir. On peut encore parler d’instinct de survie, de la réaction brutale contre la violence subie, de l’assainissement ou résistance active contre un environnement hostile obligeant ou contraignant à des actions de sauvegarde.Sans chercher à être exhaustif, nous pouvons dire que la violence provient aussi de l’ignorance, du manque d’information, d’une absence de confiance souvent remplacée par la méfiance, voire la défiance, de la méconnaissance de ses droits et de ceux des autres, de l’orgueil et surtout de l’irrationnel. Il y a la violence là où on perd la raison, quand on n’a pas raison ou lorsqu’on abuse de la raison.

Compte tenu du développement toujours croissant de la violence, de la multiplication des foyers de tension et conflits ainsi que du prix à payer en vies humaines ou ressources matérielles, nous sommes convaincus que l’avenir de notre monde ne se trouve pas au bout des confrontations violentes, mais que nous pouvons lui trouver une alternative.Pourrait-elle être la non-violence ?

Fabien OUAMBA

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