Lors de son avènement, Charles-Quint
avait trouvé aux Pays-Bas l’inquisition épiscopale
et les tribunaux des officialités, mais ces organismes lui
parurent insuffisants pour enrayer la progression des divers groupes
évangéliques. En effet, il n’y avait à cette
époque que cinq diocèses, dont les territoires s’étendaient
sur la Belgique : Arras, Cambrai, Liège, Tournai et Thérouanne.
L’empereur décida de créer de toute pièces
une Inquisition d’Etat, qu’on a qualifiée d’”inquisition
espagnole”, à tort, car elle était encore plus
terrifiante ! L’inquisiteur impérial avait des pouvoirs
étendus : citer, arrêter et emprisonner les suspects,
les soumettre à la torture, -la question ordinaire par l’eau,
le feu ou la corde, et pour les plus endurcis la question extraordinaire,
-saisir leurs biens, puis les livrer au bras séculier s’ils
étaient passibles d’une peine capitale.
Ce nouveau système pénal reposait sur une distinction
essentielle : le crime d’hérésie, que seul l’autorité
ecclésiastique avait le droit de juger, le crime de contravention
aux édits en matière d’hérésie, qui
devait être examiné par les magistrats provinciaux ou
locaux.
Dès 1522, Charles-Quint nommait inquisiteur général
aux Pays-Bas un laïc, membre du conseil du Brabant, François
Vander Hulst, mais pour sauvegarder les droits de l’Eglise romaine
le pape Adrien VI, par dérogation exceptionnelle au droit canon,
produisit une nouvelle nomination. Ce choix était peu heureux,
car deux ans plus tard François Vander Hulst dut être
révoqué pour faux en écritures.
La première affaire que traita l’inquisiteur impérial
et papal, le procès des moines augustins d’Anvers, se
termina tragiquement par l’exécution par le feu des deux
premiers martyrs de la Réforme. Comme les vicaires généraux
de l’évêque de Cambrai s’inquiétaient
de cette propagation des idées luthériennes, ils demandèrent
que l’inquisiteur François Vander Hulst soit chargé
de poursuivre les moines.
Le 5 décembre 1521, le prieur Jacques Praepositus était
convoqué à Bruxelles par l’inquisiteur général.
Il s’y rendit sans méfiance et fut incarcéré.
Il refusait de se soumettre, lorsqu’une lettre compromettante,
interceptée par le gardien, révéla la vanité
de ses dénégations. Le 25 janvier 1522, il finit par
avouer et le dimanche 9 février, en l’église Sainte-Gudule
à Bruxelles, il dut faire acte d’abjuration.
A la suite de l’incarcération de Jacques Praepositus,
les moines du couvent d’Anvers avaient élu un nouveau
prieur : Lambert Thoren. Sous sa direction, ils continuèrent
à prêcher l’Evangile et se référèrent
ouvertement à Martin Luther et à sa doctrine. Au mois
de juin 1522, Vander Hulst fit arrêter tous les augustins, qui
furent conduits au château de Vilvorde et incarcérés.
Le mois suivant ils purent retourner à Anvers après
avoir abjuré, sauf trois d’entre eux qui refusèrent
: le prieur Lambert Thoren et les frères Henri Voes et Jean
Van Esschen. Ils furent alors conduits à Bruxelles et attendirent
dans un cachot que leur procès soit instruit.
Le 1er juillet 1523 la répression contre les augustins d’Anvers
atteignit son point culminant. Le matin sur la Grand Place de Bruxelles,
les trois irréductibles furent dégradés de la
prêtrise.Henri Voes avait été amené le
premier et un témoin raconte : “Je ne pouvais à
cause de la foule entendre le prédicateur ; aussi ne cessais-je
de fixer l’accusé. Pourquoi dissimulerais-je ce qui est
la vérité ? Son visage tranquille et serein trahissait,
non une sorte de mépris de la mort, mais plutôt une réserve
une douceur profonde. Il paraissait extraordinairement attentif. Lorsqu’il
recevait l’ordre d’accomplir tel ou tel acte, c’était
étrange, comme il s’en acquittait avec promptitude et
décision.On m’a dit qu’il voulait être obéissant
jusqu’à la mort”.
Ensuite, on amena les deux autres Jean Van Esschen et le prieur
Lambert Thoren et le témoin poursuit : La barbe leur était
crue en prison, sans qu’ils eussent pu lui donner aucun soin
; en sorte que leur visage était loin d’avoir l’air
agréable de celui de Voes ; toutefois, on pouvait y apercevoir
une expression de constance et d’allégresse”.
L’après-midi, au même endroit, les deux moines
furent brûlés vifs, le prieur avait demandé un
nouveau délai de réflexion.pendant que les flammes montaient,
un des deux s’écria : “Il me semble voir des roses
répandues” [Mich geduncktt man strewe mir rosen under],
puis ils chantèrent le Te Deum et récitèrent
le Symbole des Apôtres. L’un d’eux tomba alors sur
ses genoux, la corde qui l’attachait au poteau d’exécution
ayant brûlé, et il cria : “Seigneur Jésus,
fils de David, aie pitié de nous”. Le supplice dura quatre
heures !
Ce ne fut qu’à la fin du mois de juillet, que Martin
Luther eut la certitude que ses deux frères avaient été
brûlés. Profondément ému, ainsi que le
rapporte Jean-Jacques Kessler, il se serait exclamé : “je
pensais que je serais le premier, qui pour la cause de ce saint Evangile,
serait martyrisé, mais je n’en était pas digne
!”. Il écrivit alors un résumé de l’interrogatoire
des deux moines suivi d’un commentaire, puis, au mois d’août
il rédigea une lettre ouverte Aux chrétiens des Pays-Bas
[Eyn brieff an die Christen ym Niderland] et composa son premier choral
Un beau Chant des deux Martyrs de Christ, brûlés à
Bruxelles par les sophistes de Louvain [Eyn Hübsch Lyed vcon
denn zweyen Marterern Christi, zu Brüssel von den Sophisten zeu
Löven verbrandt] :
Un nouveau chant nous entonnons,
Que notre aide soit au Seigneur !
Ce qu’il a fait nous chanterons
A sa gloire et à son honneur.
A Bruxelles, dans les Pays-Bas,
Au moyen de deux jeunes gens,
Il révéla sa puissance
Merveilleuse, en les décorant
Richement de ses plus beaux dons.
Le nom du premier était Jean,
Riche de la grâce de Dieu.
Henri, son frère par l’Esprit,
Etait sans fraude un vrai chrétien.
De ce monde étant séparés,
Ils sont la couronne gagné.
Comme de vrais enfants de Dieu
Ils sont morts pour sa Parole,
Dont ils ont été les martyrs.
Quant au prieur Lambert Thoren, après sa dégradation,
il fut ramené en prison à la Steenpoort et “condempné
à pain et a eaue”. Martin Luther put encore lui faire
parvenir une lettre d’encouragement le 19 janvier 1524, dans
laquelle il lui transmettait les salutations de Jacques Praepositus
et des autres moines augustins, qui avaient pu se réfugier
à Wittenberg. Lambert Thoren mourut dans son cachot en septembre
1528 sans s’être rétracté et fut enterré
sous la potence à Forest.