Si l’on croit gérer ses affaires au tempo du supersonique,
le cheminement du deuil se fait toujours au pas.
L’ensevelissement de Martin Luther King s’était
fait au rythme des mules qui tiraient un cercueil monté sur
la vieille carriole du temps de l’esclavage. C’est à
pied qu’il faut labourer les sillons intérieurs des
questions, des révoltes, des apaisements.
A une époque marquée par l’équation
“le temps, c’est de l’argent”, la cascade des
deuils escamotés risque de coûter cher.
Nombre de dépressions, de problèmes relationnels,
de déchirement familiaux ou de replis sur soi-même
sont dus à cette précipitation : la société
moderne supporte mal des gens qui s’arrêtent pour pleurer,
qui prennent du recul pour réfléchir, qui demandent
une pause pour se reprendre. On préfère tirer au maximum
sur la corde, quitte à provoquer des ruptures tragiques ou
des fuites dans la maladie ou le travail.
Les mois qu’il faut pour faire grandir l’embryon jusqu’à
la naissance, il les faut aussi aux futurs parents pour se préparer
à l’arrivée d’un être neuf.
A l’autre bout de la vie, on ne se sépare pas en un
clin d’oeil de ceux à qui nous étions attachés,
avec qui nous avons pu partager amour et haine, reconnaissance et
indifférence, reproche ou admiration.
Temps qu’il faut se donner, mais aussi accorder à
l’autre. On ne fait pas naître un poussin en brisant
la coquille de l’extérieur : il faut attendre qu’il
ait fait son travail lui-même. Rien ne sert de reprocher à
l’autre son chagrin, il le vivra d’autant mieux qu’on
le lui accorde.
... la peine acceptée dans la durée permet d’enraciner
l’espérance qui transforme la mort en vie.
Chaque 1er novembre, l’Église catholique célèbre
dans l’allégresse la mémoire de tous les saints
connus et inconnus. C’est la fête de la Toussaint, de
l’ancien français : “Feste de toz sainz”.
Le lendemain, 2 novembre, est consacré à la fête
des Morts, avec laquelle on confond parfois la Toussaint.
La fête de la Toussaint existait déjà en Orient
comme commémoration de tous les martyrs de la Foi. Longtemps,
elle fut célébrée aux alentours de Pâques
ou Pentecôte. Au Vème siècle, en Syrie : c’était
le vendredi de Pâques ; à Rome : le dimanche après
la Pentecôte.
Ce lien avec Pâques et la Pentecôte donne le sens
originel de la fête :”célébrer la victoire
du Christ dans la vie de beaucoup d’hommes et de femmes”.
Cependant, le pape Boniface IV va déplacer une première
fois la date de cette fête. Le 25 août 608, ce moine
bénédictin, originaire des Abruzzes, était
nommé évêque de Rome (608-615). A l’occasion
de son sacre, il reçut un présent de choix de l’empereur
: le Panthéon. Ce temple circulaire, coiffé d’une
impressionnante coupole était à Rome l’œuvre
monumentale de l’époque impériale. Il avait été
construit en 27 avant Jésus-Christ par Agrippa en l’honneur
de tous les dieux et dédié aux septs divinités
planétaires. Boniface décida aussitôt de le
convertir en église, suivant la pratique des premiers siècles
qui consistait à transformer en lieux chrétiens, les
lieux de culte païen. En 610, il consacra l’édifice
à “Sainte Marie des Martyrs” en mémoire
de tous ceux qui avaient versé leur sang pour témoigner
du Dieu unique. Le pape voulant ainsi honorer la foule des martyrs,
dont il avait fait transférer les ossements tirés
des catacombes.
Le 13 mai, jour anniversaire de la dédicace de l’église,
devint la “Fête de tous les martyrs, de tous les saints
et Marie”. La date avait été soigneusement choisie.
En effet, elle correspondait aux célébrations dans
le calendrier romain des jours de mai (9, 11, 13) des “Lemuria”
où l’on sacrifiait au culte des ancêtres pour
se prémunir des lémures ou larves : les âmes
des défunts non satisfaits. Mais cette tradition funéraire
ne s’étendait pas à l’ensemble de l’empire.
Dans les pays celtiques, c’est le 1er novembre que l’on
célébrait tous les disparus des familles avec la fameuse
fête des “Samain”. C’était une fête
de joie que cette fête des morts qui correspondait aussi au
Nouvel An. Le but essentiel de la fête était de rétablir
le contact entre la communauté des morts et celle des vivants.
Les tertres où vivaient les morts étaient entrouverts
pour leur permettre de revenir sur terre. Banquets, festins rituels
et débauches visaient à rétablir l’ordre
cosmique renversé par la disparition d’un proche ou
d’un soldat tombé sur les champs de bataille.
C’est pourquoi, l’empereur Louis Ier le Pieux, institua
en 835 une Toussaint au 1er novembre dans l’espoir de couper
court aux rituels peu chrétiens pratiqués en cette
période de l’année. L’enjeu était
de substituer la commémoration de tous les saints, ancêtres
virtuels de tous les fidèles, au culte des morts familiers,
pratiqué à cette période dans une grande partie
du monde occidental.
Pour unifier ces pratiques discordantes, le pape Grégoire
III fixa la fête de la Toussaint définitivement au
1er novembre. Il dédicaça en ce jour une chapelle
de la Basilique Saint-Pierre en l’honneur de tous les saints.
Vain espoir, car le culte des morts, au 1er novembre, profondément
enraciné dans les coutumes populaires, se poursuivit comme
si de rien n’était.
Au Xème siècle, Odilon abbé de Cluny, conseiller
du pape et des princes, mais aussi fin diplomate, ordonna la célébration
d’une messe solennelle le 2 novembre, “pour tous les morts
qui dorment en Christ”. Cette fête des Morts, née
en France, fut progressivement adoptée dans toute la chrétienté
occidentale.........
La fête de tous, car chacun est appelé à la
sainteté de tous les jours qui consiste à être
simplement évangélique. La conscience chrétienne
d’aujourd’hui reconnaît dans cette fête la
portée et la valeur des gestes quotidiens, le poids de chaque
vie humaine si cachée soit-elle et l’honneur que mérite
le plus humble chrétien.