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La religion des hussards noirs,
Instituteurs des débuts de la IIIème République
Pour une " religion laïque "…

Dans les années 1860-1870, Ferdinand Buisson, Jules Steeg et Félix Pécaut, tous trois protestants, ont en effet élaboré une sorte de réforme du christianisme et tous trois, dès 1879, vont jouer un rôle important dans l'organisation de l'enseignement primaire : dès 1880, Félix Pécaut organise et dirige l'école normale de Fontenay, où il dispense des cours de morale aux futures institutrices ; Jules Steeg lui succède à sa mort en 1896, après avoir publié en 1882 un Cours de morale à l'usage des instituteurs. Quant à Ferdinand Buisson, inspecteur général de l'instruction publique, il est à la tête de l'enseignement primaire de 1879 à 1896, et ses directives vont façonner la politique scolaire de la Troisième République jusqu'en 1940 : plus que Jules Ferry, c'est lui qui est véritablement la cheville ouvrière de cette politique scolaire, lui qui établit les programmes et rédige les instructions aux instituteurs - et c'est donc à lui que doit être portée à crédit la diffusion massive du Tour de la France par deux enfants. Il est en outre l'auteur de plusieurs ouvrages qui définissent sa propre conception de la religion et de la façon dont elle doit ou ne doit pas être enseignée : De l'enseignement de l'histoire sainte dans les écoles primaires (1869). La Religion, la Morale et la Science. Leur conflit dans l'éducation contemporaine (1902), et surtout La Foi Laïque (1912), qui rassemble ses principaux discours et articles sur le sujet.

Les idées de Ferdinand Buisson sont très particulières, et sa conception du rapport religion/laïcité tout à fait originale : il ne s'agit pas d'évacuer la religion au profit de la morale et la spiritualité au profit du matérialisme ; il ne s'agit pas non plus de ne conserver de la religion que sa dimension morale ; et il ne s'agit pas davantage de se borner à ménager les convictions religieuses de la population. Il s'agit véritablement de fonder une nouvelle religion, une religion "qui n'a ni autels, ni dogmes, ni miracles, ni clergé, et qui est simplement l'aspiration de l'homme vers toutes les formes de la perfection de l'esprit". Les idées de Ferdinand Buisson, on le voit, ne sont ni celles de Paul Bert, ni celles de Jules Simon, ni même celles de Jules Ferry, mais ce sont, à d'infimes variations près, celles de l'auteur du Tour de la France par deux enfants, et l'on peut aller jusqu'à dire que, en imposant ce manuel dans toutes les écoles primaires, Ferdinand Buisson n'a peut-être pas tant cherché à garantir strictement l'application du principe de laïcité voté en 1882, qu'à substituer au christianisme traditionnel une nouvelle religion, qui serait au protestantisme ce qu'a été le protestantisme au christianisme, c'est-à-dire une réforme libérale et morale, un retour à l'essence même de la religion.

Cette nouvelle religion, "sans dogmes, sans miracles, sans prêtres", a bien entendu un fort ancrage chrétien. Elle respecte la plupart des commandements du Décalogue, elle condamne les sept pêchés capitaux, elle exalte les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales. Interdictions et prescriptions chrétiennes sont non seulement respectées dans Le Tour de la France par deux enfants, mais aussi illustrées par des épisodes qui dénoncent les méfaits de l'avarice, de la colère, de l'envie, de la gourmandise, de l'orgueil ou de la paresse (pêchés capitaux), exaltent la foi, l'espérance et la charité (vertus théologales), ainsi que le courage, la justice, la prudence et la tempérance (vertus cardinales). On reconnaît même au passage la transposition de quelques épisodes de la Bible (par exemple la parabole du Bon Samaritain, au chapitre XXXI, et la tempête sur le lac de Tibériade, apaisée par la prière, au chapitre XCIX), l'illustration de paroles du Christ ("frappez et l'on vous ouvrira", au chapitre II), ainsi qu'une citation explicite, mais non référencée, de l'Evangile ("Que votre main gauche ignore ce qu'a donné votre main droite", épigraphe du chapitre XIX).

Religion dont le fond reste chrétien, à forte tonalité protestante, mais qui se veut aussi œcuménique et prône "un idéal moral qui n'est ni dépendant ni exclusif d'aucune formule métaphysique", qui se définit avant tout comme humaine, distingue nettement la religion de l'Eglise, et lutte fermement contre les superstitions qui entravent le développement de la liberté et de la connaissance :

“Tout ce qu'il y avait, je ne dirai pas de divin, mais d'humain, et par conséquent de précieux dans les religions du passé, nous l'avons gardé intégralement. Nous n'en avons rien retranché ; nous n'avons diminué en rien le patrimoine de la conscience humaine. (…) Nous n'entendons nullement faire la guerre à l'idée religieuse, encore moins supprimer la liberté religieuse. Ce que nous voulons combattre (…) ce n'est pas l'idée religieuse, c'est l'idée ecclésiastique, l'organisation cléricale ou plutôt la tyrannie cléricale. C'est surtout l'établissement, au service de la contre-révolution, de tout un système de contre-éducation, qui, sous prétexte de religion, perpétue les superstitions, les préjugés et les fanatismes ; je veux parler d'un ensemble de procédés qui constituent une véritable entreprise d'abêtissement.” Ferdinand Buisson

Hélène Millot
" Ecrits et expression populaires "

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