Le rôle primordial de l’organiste
pendant les cultes et les divers services protestants intervient comme
une discipline à part entière, juste après la
prédication. Dans les Facultés de Théologie,
surtout à l’étranger, l’hymnologie et l’initiation
à la musique religieuse font partie de la Théologie
pratique (c’est dans ce cadre que la soussignée a pu intervenir).
Les orgues historiques et les orgues récents constituent un
patrimoine national, régional et protestant qui n’est
pas encore assez exploité. L’orgue introduit le service
religieux et crée l’ambiance psychologique propice à
l’écoute (prélude), il entraîne le chant
de l’assemblée (Psaumes, chants spontanés et cantiques),
illustre musicalement les lectures bibliques (cf. les petits commentaires
improvisés par Marie-Louise Girod, à l’Oratoire
du Louvre), entre les versets. Il prolonge la méditation et
peut, à sa manière, susciter la réflexion sur
le sermon (improvisation ou page d’orgue) ; un doux fond d’orgue
crée le calme et la sérénité indispensables
pendant le déroulement de la Sainte Cène. Il peut accompagner
la collecte. Enfin, il assure la sortie des fidèles par le
postlude majestueux. Il appartient, à côté de
la Parole, à la structure du culte et contribue à en
renforcer la teneur et la portée spirituelle. Paul Mc Creesh
n’a-t-il pas à juste titre affirmé récemment
-à propos du plus grand musicien luthérien engagé
“Soli Deo Gloria”- que : “L’essence même
du génie si singulier de Bach réside dans son aptitude
à exprimer des concepts théologiques essentiels en utilisant
les formes musicales et liturgiques de son époque.” Trois
exemples en souligneront quelques aspects.
• Patrimoine historique et liturgique
L’orgue historique J. Boizard (1714), à l’Abbaye
de Saint-Michel-en-Thiérache, par l’acoustique du lieu,
par ses sonorités et ses nombreuses possibilités de
registration, convient à la musique autour du XVIIIe siècle.
Lambert Chaumont, né peut-être à Liège
vers 1630, mort le 23 Avril 1712 à Huy, est à la fois
prêtre carmélite et compositeur. Il est connu par ses
111Pièces d’orgue sur les huit tons (opus 2, Huy, 1695),
groupées par tons et en “Suites”, selon l’usage
français. Serge Schoonbroodt, chanteur, chef de chœur,
concertiste et organiste, confère élan et brillance
à ces brefs Préludes, Duos, Trios, Voix humaine, Récit,
Fugue, Écho, danses diverses (Allemandes, Chaconnes). Il met
très adroitement les registres en valeur (cornet, plein jeu,
“cromhorne”...) ; la combinaison des jeux, particulièrement
riche, est conforme à l’ethos des tons. Il spécule
sur la construction claire et transparente. Ces 41 pièces pouvant
être jouées isolément illustrent à la fois
l’esthétique du Nord et du Grand Siècle. Ce disque
peut aussi animer l’entrée et la sortie du culte dans
les Temples dépourvus d’orgue. Il fait honneur à
Radio France (France Musique).
Lambert Chaumont, Pièces d’orgue, par Serge Schoonbroodt,
Tempéraments, Tem 31 60 15. 1998.
L’orgue historique de l’Abbatiale de Marmoutier appartient
au parc d’instruments dus à André Silbermann (1709)
et complétés par son frère Jean André
(1746). Cette réalisation émane du Centre Européen
de l’Orgue présidé par le Professeur M. Thomann.
Michel Chapuis, spécialiste du répertoire classique,
tant pour la facture que pour l’interprétation, a judicieusement
sélectionné des œuvres démontrant la valeur
de l’instrument et permettant d’exploiter, entre autres,
le cromorne (pas agressif) et de renforcer l’esprit français
en insistant sur les timbres exceptionnels, par exemple, dans des
extraits du Livre d’Orgue de Gilles Jullien, pour rehausser le
caractère méditatif de l’Élévation
de Fr. Couperin. Deux chorals de J. S. Bach pour le temps de l’Avent
(Nun komm der Heiden Heiland ) et de Noël (Wie schön leuchtet
der Morgenstern), quelques versets du Magnificat (de J. F. Dandrieu)
avec leur destination liturgique évidente, de même que
le Notre Père (Vater unser ) avec son texte paraphrasé,
développé par Georg Boehm, sont magistralement interprétés.
Fedorova Ekaterina forme avec l’organiste une équipe équilibrée
au service de l’expression. Michel Chapuis, qui n’est plus
à présenter aux Amis de l’orgue, a le mérite
d’interpréter neuf œuvres françaises et allemandes
sur un instrument approprié dont il connaît les secrets
et tire le maximum d’expression et de luminosité. Voici
un exemple d’adéquation totale de l’instrument historique
aux œuvres sacrées.
Aux Orgues authentiques André Silbermann (1709) de l’Abbatiale
Marmoutier (en Alsace). Michel Chapuis, SACD 29.
• Orgues et instruments divers
L’orgue prend une large part aux services religieux (cultes,
messes) et, par extension, au concert. Il peut être associé
au chant, à des instruments classiques (violons, flûtes,
hautbois, trompettes...), mais aussi inattendus, comme ce fut le cas
des “Heures Musicales” (1998) à l’Oratoire du
Louvre. Marie-Louise Girod avait convié François Goebel
avec sa bombarde et sa cornemuse, combinant ainsi des sonorités
éclatantes. La brillance du paysage sonore était complétée
par son aspect quelque peu théâtral, “bretonnant
“ et folklorique : succès garanti pour l’ouïe
et la vue et pour l’auditoire qui avait envahi l’Oratoire.
Après la splendide improvisation à l’orgue sur
le thème du Choral Nun komm der Heiden Heiland (pour le temps
de l’Avent), le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, particulièrement
solennel, ainsi que trois versions de S. Scheidt, D. Buxtehude et
J. Pachelbel du choral précédant, ont suivi des pièces
bretonnes pour bombarde et orgue, y compris une Improvisation sur
un Angelus breton traité en canon. L’ensemble Polyphonique
de Versailles (environ 80 chanteurs), sous la direction si sensible
et attentive de François-Marc Roger, présenta un choix
varié de pages de musiciens bien connus : Ch. Gounod, Z. Kodaly,
I. Stravinsky, B. Britten et le regretté Roger Calmel, dont
le Salve Regina fut interprété et écouté
avec émotion, de même que le Notre Père de M.
Duruflé. La version de Amazing grace (cornemuse, orgue et chœur),
posa un point d’orgue, en apothéose, sur ce concert exceptionnel.
Les exemples ne manquent certes pas pour illustrer le rôle
de l’orgue, “Roi des instruments” et des organistes
: virtuoses dans le cadre de la vie culturelle et sociale (concerts
spirituels) et surtout liturgiques dans le cadre de la vie cultuelle
et religieuse (cultes dominicaux et services solennels). C’est
dans ce sens que J.-S. Bach, selon son charisme, a œuvré
toute sa vie .
Édith
Weber