Pendant les premiers siècles
de l’Eglise, on ne célébrait pas la naissance de
Jésus. Saint Augustin ne la comptait pas au nombre des fêtes
chrétiennes importantes. Et quand Jean Chrysostome prêcha
le 25 décembre 386, il s’exclama : “Il n’y a
même pas dix ans que cette fête est manifeste chez nous”...
Le mot Noël (du latin natalis : né), quant à
lui, n’apparaît pas avant le XIIIème siècle.
C’est dire combien il s’agit d’une invention tardive.
Les Réformateurs ne s’y trompaient pas. Devant une assemblée
dominicale plus fournie que d’habitude, un dimanche qui tombait
le 25 décembre, Calvin commença ainsi son sermon : “Si
vous croyez que Jésus est né un 25 décembre,
vous êtes pires que des bêtes sauvages...” Quant
à Luther, fidèle à l’interprétation
spirituelle des médiévaux, il reprit de Maître
Eckhart la célèbre formule : A quoi te sert que le Christ
soit né il y a si longtemps dans une étable s’il
ne naît aujourd’hui dans ton coeur ?”
A l’appui de ces réserves séculaires, l’exégèse
contemporaine a établi de manière irréfutable
qu’il n’y a à peu près rien d’historique
dans les récits dits de Noël, à savoir ceux de
Matthieu et de Luc.
Est-ce à dire que cette fête si populaire, soit désespérément
vide de contenu ? Du point de vue historique, sans aucun doute. Mais
peut-être pas du point de vue symbolique, comme le laisse entendre
le mot de Luther.
Noël signifie naissance. Mais quelle naissance, en vérité
?Noël n’est pas tant un événement du passé
qu’une expérience personnelle. Quelque chose d’essentiel
peut naître en nous maintenant à condition de se poser
les bonnes questions. Pour illustrer cela, je ne trouve pas mieux
que ce conte derviche recueilli par Idries Shah :
Il était une fois un homme qui observait la marche de la
Nature. A force d’attention et de réflexion, il finit
par découvrir le moyen de faire du feu. L’inventeur décida
de voyager de tribu en tribu pour enseigner aux gens l’art et
les avantages de faire du feu.
Il transmit ses connaissances à de nombreux groupes. Certains
tirèrent parti de ce savoir. D’autres, pensant qu’il
devait être dangereux, le chassèrent avant même
d’avoir eu le temps de comprendre de quel prix cette découverte
aurait pu être pour eux. Pour finir, une tribu devant laquelle
il faisait une démonstration fut prise de panique : ces gens
se jetèrent sur lui et le tuèrent, persuadés
d’avoir affaire à un démon.
Les siècles passèrent. La première des cinq
tribus qui avaient appris à faire le feu en avait réservé
le secret à ses prêtres. Ceux-ci formaient un clergé
qui vivait dans l’opulence et détenait tout pouvoir tandis
que le peuple se gelait.
La seconde tribu avait fini par oublier l’art de faire du feu
et idolâtrait les instruments.
La troisième tribu adorait une effigie de l’inventeur
lui-même : n’était-ce pas lui qui les avait enseignés
?
La quatrième tribu conserva l’histoire de la création
du feu dans ses mythes et ses légendes ; certains y ajoutaient
foi, d’autres en doutaient. Seuls les membres du cinquième
groupe se servaient effectivement du feu, ce qui leur permettait de
se chauffer, de faire cuire leurs aliments et de fabriquer toutes
sortes d’objets utiles.
Vincent
Schmid (dans le Protestant)