Utiliser du vocabulaire religieux
et des références bibliques est une habitude assez répandue
chez nos écrivains, mais il est toujours un peu surprenant
de rencontrer cela chez des auteurs qui ne se réclament pas
ouvertement du christianisme, surtout et ça lest encore
plus quand ils saffirment comme les fervents partisans de la
Révolution Française. Cest précisément
le cas de Michelet.Prenons par exemple un extrait de son "Histoire
de la Révolution Française" (VII / 8). Le passage
évoque un moment dramatique de la Révolution : en 1792,
la France est menacée par les armées dEurope qui
veulent rétablir la monarchie; 3 jours avant la bataille de
Valmy, le peuple se rend à lAssemblée nationale
et soffre pour défendre la jeune république.
Lanalyse de quelques exemples pris dans lextrait cité
plus haut permettra de mettre en évidence la religiosité
de la scène quévoque Michelet. On peut noter dabord
que les comportements des personnages ont un caractère religieux
marqué. Cest parfois le narrateur, derrière lequel
se dissimule Michelet qui le souligne avec des expressions telles
que "cest avec un véritable sentiment religieux
"
; ce même narrateur use volontiers du vocabulaire religieux
pour évoquer "le sentiment de foi qui remplissait leur
cur" ; ailleurs, il fait de la démarche du peuple
"un sacrifice (
) universel" qui conduit "plusieurs
centaines de mille (à donner) leurs corps et leur vie (
)
dun même élan". La scène baigne dans
une atmosphère mystique où "des cris, (des) exclamations
séchappent de leurs poitrines". Dautres fois
ce sont les personnages eux-mêmes, dont Michelet rapporte les
paroles (sûrement pas réelles
) au style direct
: "Nous venons ici comme à léglise"
affirment-ils, ou bien sadressent à leurs élus
en ces termes : "Pères de la patrie, nous voici ! vous
bénirez vos enfants."
On peut remarquer ensuite que cette scène historique est
transposée en rite religieux.En effet, lassemblée
devenue "léglise", impose par sa solennité
des paroles nobles, dignes dune cérémonie grandiose,
et voila que les propos tenus alors sont dits "emphatiques et
déclamatoires". Nous sommes tout près, par lemploi
de ces adjectifs, du théâtre sacré de lantiquité,
ou des mystères médiévaux.Les actions rapportées
ont, elles aussi, quelque chose de rituel : le peuple défile,
sans bousculade, devant ses représentants comme devant un prêtre,
et dispose devant eux ses dons, souvent humbles, et par la même,
précieux, qui deviennent alors des offrandes.Les enfants, venus
avec leurs parents, sont présentés à lAssemblée,
comme lors dun baptême.
Enfin des échos bibliques parcourent lextrait, confirmant
un peu plus le caractère sacré de lévénement
: tous ces dons, sous la plume de Michelet, sont "un trésor
sans fond
on puisera et il en restera toujours". Comment
ne pas songer aux Noces de Cana et au miracle de Jésus transformant
leau des jarres ? Lintervention divine est encore plus
claire dans cette autre phrase : "Plus il viendra dennemis,
plus on trouvera encore il y en aura, au bout de deux ans, pour solder
nos 12 armées." Les dons du peuple se multiplient, comme
les pains et les poissons.Lutilisation de tout ce vocabulaire
religieux aux allusions bibliques nest pas tellement étonnante
si lon considère que la Bible fonctionne, chez Michelet
comme chez beaucoup dautres, à la manière dun
mythe.
Comme nimporte quel mythe, en effet, elle assure une fonction
de relation.Dans une France chrétienne où la pratique
religieuse est encore vive, les récits de la Bible, les habitudes
religieuses sont connus ; les allusions sont alors claires, facilement
compréhensibles, et aisément comprises, ce qui est loin
dêtre le cas aujourdhui quand on explique de tels
extraits en classe, à des élèves qui pour la
plupart, nont jamais reçu déducation religieuse.A
lépoque de Michelet, le problème ne se pose pas
et le recours à la Bible permet de faire comprendre, sans le
dire laspect divin, miraculeux de cette Révolution quil
admire. Cela lui permet aussi de conférer au récit historique
une grandeur épique, propre à provoquer lenthousiasme
et ladmiration, car la Bible partage avec les grands mythes
antiques, quelques caractéristiques intéressantes pour
qui veut faire de son uvre une épopée : elle est
une référence, éloignée dans le temps
et inspire donc le respect; elle met en scène des personnages
hors du commun; elle relate des évènements miraculeux
ou transcendants. Tout cela permet à lécrivain
qui lutilise comme véhicule de sa pensée de métamorphoser
un événement, non pas ordinaire, mais réel et
proche, historiquement daté et géographiquement localisé,
en phénomène grandiose et universel.
On peut aussi trouver, à lutilisation de ces références
religieuses, des raisons liées à la personne même
de Michelet.Quand il affirme que "lacteur principal (de
lhistoire) est le peuple" , cest quil a du
peuple une vision messianique; pour lui, la Révolution est
lavènement du règne de la justice et il conçoit
son uvre comme le nouvel "Evangile" de lhumanité
et cette nouvelle Révolution dont il se fait le chantre est
lespoir que plus jamais les hommes ne vivront dans lobscurantisme
et la terreur que faisaient règner lInquisition
et lEglise! (Ce qui lamènera plus tard à
écrire "la sorcière"). Etonnant ? Non, finalement
ce nest pas étonnant si lon sait comment Michelet
eut lidée décrire "lHistoire
de la Révolution française"
Ecoutons-le :
"Cette uvre laborieuse fut conçue dun moment,
de léclair de juillet-(Il sagit de la révolution
de juillet 1830)- Dans ces jours mémorables, une grande lumière
se fit et japerçus LAFRANCE". Ce nest plus
une idée, un projet, cest une véritable révélation.Dans
ces conditions, quoi de plus normal, si la France apparaît comme
Dieu, ou comme la vierge Marie dutiliser la Bible où
se révèle la divinité ?
Finalement il nest pas étonnant que Michelet utilise
des références bibliques pour relater les évènements
de la Révolution puisquil en est
lapôtre!.
Colette
Harsous