par Vincens
Hubac
"Mondialisation". Le mot devient presque envahissant,
suscite des réactions parfois opposées les unes aux
autres. La Mondialisation s'impose partout comme un phénomène
inéluctable. Nouveau système par son émergence,
omniprésence et renouveau d'un capitalisme libéral qui
surprend par son ampleur et la rapidité de son évolution.
Le phénomène fait souvent peur. Peur de l'uniformisation,
de la pensée unique dominante sorte de lissage idéologique
et culturel à l'échelle mondiale. Peur de dérapages,
de surchauffes, de spéculations dus à la déréglementation.
Peur de l'exploitation des plus faibles, de la marginalisation, de
l'exclusion.
Mais la mondialisation peut aussi enthousiasmer. Certains voient
dans la déréglementation un assainissement du marché,
une efficacité plus grande, donc des échanges plus faciles
et une richesse globale plus grande confirmée par les statistiques.
Même si ces propos peuvent être modulés on a aussi
une recherche comme une règle du jeu mondiale sous la houlette
d'organisations telles l'OMC à Seattle (avec des échecs
parfois !)
Entre peur et enthousiasme il n'en demeure pas moins vrai que beaucoup
de questions, de défis sont à résoudre. La mondialisation
étant une formidable accélération des échanges,
de la création de richesse, de flux en tous sens et de tous
ordres, comment vivre le rétrécissement du monde qui
en résulte, la proximité de ceux qui étaient
autrefois loin de nous, voire inaccessibles ? Se posent les questions
de l'avenir pour le monde, pour la création et pour ceux qui
nous suivent. Quel sens a tout cela ? Quels types de dépendances
se créent ? Quelle est la place de l'homme dans cette accélération
de l'histoire, cet homme qui a vu de ses yeux le monde - son monde
- pour la première fois dans sa globalité en juillet
1969 en allant sur la lune ? Comment se situer dans un paysage où
les repères sont bouleversés et changent très
vite ?
Nous esquisserons quelques pistes de réflexions en essayant
de définir 1"émergence de l'homme nouveau. Nous
aborderons ensuite la question du sens pour déboucher en conclusion
sur la question du défi religieux que nous pose cette mondialisation.
1) Emergence de l'homme nouveau ?
Un des membre du CFPC de Rouen finit sa réflexion sur l'évolution
du commerce maritime par cette phrase "il reste l'homme".
Il reste l'homme comme valeur sûre. C'est lui qui relève
le défi de la mondialisation. Mais quel peut être cet
homme aujourd'hui ?
L'homme nouveau ne part pas de rien. L'histoire et la mémoire
personnelle ou collective sont là comme un support sur lequel
on peut s'appuyer pour vivre le présent et se projeter dans
le futur, "le qui suis-je ?" trouve ici une réponse.
Quelques exemples bien rapides il est vrai : depuis le début
de l'histoire, l'homme a connu des moments d'adaptation. Ainsi Mari,
la première ville connue dans l'histoire (il existe d'autres
cités antérieures comme Jéricho, Mureibet ou
Haysal Hyük mais elles sont plus modestes et moins organisées).
Aux 4è-3è millénaires Mari commerce avec des
pays lointains et accueille des bateaux le long de ses canaux. La
lettre de change est déjà connue !... Comment mesurer
l'impact du passage du troc à une monnaie abstraite et "invisible"
comme celle du système bancaire ? On pourrait évoquer
aussi brièvement les bouleversements du 16 siècle :
1492 marque les grandes découvertes mais aussi la fin de la
reconquête espagnole sur l'Islam. Choc de cultures, innovations
technologiques, découverte et accroissement des échanges
de biens, d'hommes (cf. les universités, pèlerinages,
commerces). L'imprimerie - l'internet de l'époque ! - permet
aussi l'accélération des échanges d'idées.
Les Réformes sont une des conséquences de tout cela.
Constatons ceci : les progrès ont permis l'émergence
de la modernité. et l'éclosion des nations avec des
langues rénovées, ainsi le français de Montaigne,
de Ronsard ou de Calvin.
Plus près de nous, au 19è siècle, avec son
cortège de découvertes, la mondialisation comme accélération
des échanges va bon train (sans jeu de mot). Que l'on songe
au percement de tunnels ou de canaux internationaux et à la
mise en place de systèmes financiers comme celui des Rothschild
travaillant globalement et simultanément sur l'ensemble des
marchés financiers de l'époque...
Pourquoi ce retour sur l'histoire 9.
Simplement pour nous rappeler que ce que nous vivons, d'autres l'ont
vécu et ont su apporter des réponses aux questions posées,
leurs erreurs peuvent nous être salutaires (éviter les
guerres de religion par exemple ou les grandes guerres entre Etats-nations).
L'histoire nous permet aussi de nous situer et de savoir qui nous
sommes dans l'environnement mouvant que nous connaissons (cf. à
ce sujet le développement des monographies). Nous situer aujourd'hui
pour se tourner vers le futur. Car toute vie est tournée vers
le futur qu'il faut déchiffrer. Nous rejoignons en cela la
vision biblique d'un monde tourné vers le Royaume ; vivant
au Présent de l'annonce même de ce Royaume sur la prédication
du Christ il y a 2000 ans ! C'est dans le futur que l'homme doit trouver
ses projets qu'il vivra au Présent. Mais comment ?
Ici se place le défi de l'éducation et du langage
- le défi culturel. Défis incontournables car si l'histoire
et le futur nous situent dans le temps, culture et langage nous situent
dans l'espace, dans la relation à soi-même et à
l'autre. Le langage et la culture façonnent l'intelligence,
la manière de lire le monde, de s'y situer. Ils induisent des
valeurs spécifiques. La mondialisation pose à l'homme
cette question. Le langage des machines, des robots, de l'américain,
de l'idéologie libérale vont-ils être générateurs
de nouvelles philosophies, religions, valeurs comme ce fut le cas
par exemple de l'Hellénisme après Alexandre avec le
néoplatonisme, la gnose ou... le christianisme ? Quand la Septante
traduit le tétragramme sacré - Yahvé - par "je
suis qui je serai " elle introduit l'ontologie grecque dans la
pensée sémite par une traduction tendancieuse 1 De même
l'homme de la mondialisation parle déjà le nouveau langage
ci-dessus mentionné, il ne faut pas le refuser, il est à
la base des échanges et de notre nouvelle culture... Mais rien
ne nous empêche de garder aussi nos cultures particulières
: les mémoires modernes et leurs réseaux nous le permettent
! l'identité de l'homme de la mondialisation peut s'appuyer
sur ces deux réalités du langage et de la culture régionaux
et mondiaux. Mais ceci implique la vigilance : "ne pas s'oublier
soi-même ".
Le "ne pas s'oublier soi-même " est bien le reflet
d'une inquiétude ; comment ne pas se perdre dans ce contexte
mondial ? On ne peut répondre entièrement à une
telle question, les êtres humains étant très différents
les uns des autres. Mais la recherche d'identité peut s'appuyer
sur quelques pistes :
- la recherche de l'authenticité. Elle doit être liée
à la transparence et à la vérité. Dans
un monde ouvert à une concurrence très forte, cette
recherche de vérité et la volonté d'être
soi me semblent fondamentales. Démagogie, flatterie, manière
d'être "caméléon" sont de l'ordre du
compromis, montrent soit que l'on est dénué de tout
scrupule et c'est la porte ouverte à l'anarchie et à
toutes les formes de perversité, soit que l'on pratique une
fuite de type schizophrénique où à une heure
on peut être un loup pour devenir agneau dans un contexte différent
dans l'heure qui suit. C'est aussi dans l'affirmation de l'honnêteté
et de la vérité que l'on pourra conserver les cultures
régionales sans les replier sur elles- mêmes.
Ethique du marché, du dialogue mais aussi éthique
du travail par le "système qualité" qui implique
non pas seulement un vendeur ou un atelier, mais l'ensemble de l'entreprise
dans sa manière d'être pour présenter un produit
de qualité et perçu comme tel par le client, sorte de
revanche morale du travail qui refuse ici le cloisonnement dans l'entreprise.
Ces manières de vivre le marché et le travail font dire
à un membre du patronat chrétien "non au mensonge"...
La vérité, la parole, droite, l'ouverture au dialogue
sont bien des valeurs bibliques opposées à ce que. nous
appelons le péché : le fait qu'Adam mente à Dieu.
Le mensonge est signe de dialogue impossible. Nous avons certainement
à affirmer ici malgré les difficultés et la pression
des marchés une identité et des valeurs chrétiennes
et simplement humaines - parmi les valeurs influencées par
le christianisme, la solidarité et le respect d'autrui semble
importantes.
La logique du capitalisme libéral s'impose comme l'efficacité
du marché et la performance de l'entreprise. S'il y a économiquement
des effets induits positifs par l'accroissement de la richesse globale
par exemple, il n'en demeure pas moins vrai que cette logique ne se
préoccupe qu'assez peu des effets induits sur les hommes et
sur l'environnement. Comment éviter l'exclusion, prendre en
compte les chômeurs ? On assiste dans les pays occidentaux à
une tiers mondialisation avec des élites établies face
à une masse d'exclus entassés dans les banlieues ici,
des bidonvilles ailleurs et dont on ne sait que faire. Lhyper
urbanisation est encore un symptôme grave de ce phénomène
et l'abandon partout du "welfare stage" (Etat--providence
en Grande-Bretagne n'est pas sans générer quelques inquiétudes).
L'homme de la mondialisation ne doit pas être l'homme de la
domination et ne doit pas reproduire les problèmes sociaux
du 19è siècle. Nous y reviendrons plus loin.
- Avoir une éthique fondée sur le respect d'autrui,
sur "le système qualité" et la vérité,
cela sur un marché hyper concurrentiel, ouvert et libre implique
un savoir important. La maîtrise de l'information est une des
clés de l'avenir. Sans information on ne peut pas suivre l'évolution
d'un marché qui peut se retourner en 24 heures. Maîtriser
les médias, les réseaux d'information, les courants
d'influence est primordial pour la prise de décision. Quelle,est
l'harmonie dans les bruits d'aujourd'hui ? Mais la quantité
d'information, sa rapidité de circulation et les réactions
que cela implique quant aux réponses rendent l'horizon économique
et social opaque, imprévisible au-delà d'un temps qui
ne dépasse certainement pas quelques mois. Dans ce domaine,
la mondialisation rappelle à l'homme ses limites. Un chef d'entreprise,
directeur ou cadre, se trouve ici plongé dans un univers d'incertitude
où le risque de l'investissement est une donnée de plus
en plus forte. L'homme de la mondialisation doit avoir une humilité
et une vigilance importantes s'il veut tout simplement rester dans
ce mouvement.
- L'humilité doit nous faire prendre conscience de l'effort
que nous avons à entreprendre pour accompagner le mouvement
de la mondialisation. Mobilité, innovation, créativité
sont des lignes de conduite qui caractérisent et l'économie-monde
et ceux qui la font. "L'imagination est au pouvoir", tout
comme l'aventure, tentée ailleurs dans d'autres pays, dans
d'autres entreprises pour rencontrer, échanger, se former.
Faut-il pour autant avoir un développement personnel ? Sûrement
oui à condition que ce développement ne conduise pas
vers une spiritualité qui ressemblerait à une fuite.
Mais ce développement est nécessaire s'il permet de
faire face aux problèmes que l'homme doit gérer. Formation
continue, pragmatique, toujours ouverte mais aussi et surtout recherche
de sens fondée sur l'identité et en ce qui nous concerne
fondée sur l'identité chrétienne. Faut-il retrouver
le aime et fais ce que tu veux" ou bien aussi 11, aime-toi
toi-même" ? Dans tous les cas, comme l'affirment certains
il vaut mieux "savoir ce qu'on veut" et se constituer un
solide corps de doctrine. Mais c'est bien là la question du
sens qui revient.
11) La question du sens
- L'absence de projet, l'absence d'un but global.
Le capitalisme classique malgré ses débordements et
son abaissement avec les nationalismes dans les guerres mondiales
s'est développé sur le terrain de la philosophie. Ne
serait-ce que celle de J. Bentham ou celle des philosophes du 18è
siècle. L'espérance de voir aboutir une société
équilibrée par la richesse partagée et par le
développement du savoir et de la science a animé des
gens aussi différents que Condorcet, A. Comte, les Saint-Simoniens
ou les socialistes utopistes, tels Fourier avec son phalanstère
- cité idéale. Mais aussi les économistes classiques
avec le dernier d'entre eux, J. Stuart Mill qui attendait la venue
de l'Etat stationnaire ; mais Marx se retrouve aussi dans ce courant
avec l'idée de la Société communiste. Les grands
patrons, de leur côté, ont su développer un paternalisme
intéressant bien qu'injustement décrié, ainsi
par exemple la famille catholique Godin, dans le Nord, ou la famille
protestante Peugeot, dans l'Est. Avec le christianisme social l'Eglise
a fini par suivre avec beaucoup plus de succès qu'on ne pense
malgré l'insuffisance de son impact Tardif, Keynésianisme
ou, plus près de nous, le "Welfare State" vont, entre
autre, aussi dans ce sens comme la "planification à la
française"... même si ici l'efficacité du
marché précède la question sociale.
Les Trente Glorieuses sont passées et la conjoncture descendante
du cycle de Kondratieffl' qui a suivi, accompagnée par la restructuration
des marchés mondiaux ont laissé de côté
toute cette idéologie sociale et cette idéologie d'une
société parfaite à venir véritable messianisme
économique. Aujourd'hui, l'économie et l'hédonisme
se trouvent dominants mais visiblement sans projet d'ensemble et sans
idéologie. Faut-il dire que la mondialisation manque d'humanisme
? et dans tous les cas, de sens ? Les questions : à quel prix
? pourquoi ? pour qui ? restent sans réponses malgré
quelques essais d'organisation visibles dans les conférences
internationales.
Le chaos ou le non-sens
Si on ajoute aux questions ci-dessous celles qui suivent: qui domine
? comment ?..., alors certains disent : le système financier
diront certains. Mais ce système est touché par la spéculation
et le blanchiment de l'argent de trafics occultes tels la drogue.
Que penser d'une augmentation de 50 % de la valeur des titres cotés
à la Bourse de Paris en un an ? Et la richesse globale de l'économie
pendant la même période, de combien a-t-elle augmenté
dans le cadre d'une croissance de 2 à 3 % 1 Ajoutons à
cela l'état de guerre économique que se livrent les
grands groupes mondiaux. Tout cela augmente l'illisibilité
dont nous avons dit un mot.
Cet ensemble de questions sans réponse ou avec peu de réponses
pose le problème du chaos. La société monde ressemble
pour l'instant au chaos, au tohu-bohu.
Dans la Genèse, aux premiers versets, il est fait référence
à ce chaos : la terre est tohu-bohu informe et vide ; pas de
projet, pas de sens. Notre économie - si elle ne produit que
pour elle-même est-elle aussi vide, informe ? A manier la puissance
sans idéologie, sans projet on risque la désintégration.
Par exemple., que se passera-t-il le jour où viendra une perte
de confiance à la Bourse ? et que se passera-t-il pour les
économies du Tiers-Monde engagées dans la mondialisation
? On a frisé ce risque avec l'effondrement des marchés
du Sud-Est asiatique. Chaos aussi quand l'être humain se laisse
aller à la recherche de la richesse au mépris de la
personne elle-même. Que penser de pays comme la Thailande où
l'économie du sexe est reconnue au niveau national et mondial
et vit en partie de charters d'Occidentaux ou du développement
du Sida, en particulier en Afrique, qui bouscule les données
démographiques.
Le développement de la consommation d'entretiens psychiatriques,
de calmants ou d'excitants et la recherche religieuse dans le cadre
du mouvement spirituel mystique-ésotérique tel le New
Age (F. Campion) montrent aussi une désorientation et une recherche
de l'homme d'aujourd'hui. Incontestablement une image de Dieu "est
morte" ainsi que Sartre et Marx ! L'homme se perd-il dans la
violence du confort de la richesse, dans le cocoonage, antidote au
stress ? Le top-modèle est-il le modèle ?
Nous savons que toute société sécrète
ses exclusions et ses pègres. Mais le développement
de maffias internationales et des complicités qu'elles trouvent,
ne serait-ce que pour blanchir leur argent ou écouler leurs
stocks de marchandises illicites, montrent là aussi dérèglement
de l'économie-monde et un mal-être alors que la richesse
globale jamais égalée ne fait que croître.
Exclusion de la nature aussi. Celle-ci rappelle à notre bon
souvenir de manière un peu violente, en gros le pillage des
forêts tropicales, la fonte des glaces, l'exploitation trop
grande des terres agricoles et des ressources minières, sans
compter les espèces vivantes qui disparaissent devraient nous
alerter. Le temps semble passé où, il y a quelques années
encore, la création était au centre des préoccupations
des Eglises.
La perte du sens induit un certain pessimisme conjoint à
l'euphorie des conjonctures économiques, des fusions, des inventions
et interconnexions ! Mais ce pessimisme ne doit pas nous envahir.
La Bible (encore elle !) nous dit que du chaos est sortie la lumière.
"Dieu dit et la lumière fut". C'est le premier acte
créateur de Dieu : donner la possibilité de discerner
le sens, de voir et de réaliser qu'il y a un projet créateur.
Quels sont les prémices de cette lumière dans l'économie-monde
?.
Un homme malgré tout !
Un être humain reste certes ce qu'il est : créature
qui pense, cherche, se pose des questions, il est sujet. En cela tout
espoir reste permis malgré ses zones d'ombre. Comment ne pas
évoquer ici deux personnes bien différentes mais pourtant
portées par une même réflexion : Joël de
Rosnay et Teillard de Chardin. Si leur point de départ est
différent, leurs visions d'arrivée sont assez proches.
Pour Theillard, jésuite et scientifique, la création
est amenée dans un tourbillon créateur à se spiritualiser
de plus en plus. Le monde est marqué par la présence
dynamique d'un Christ qui l'attire à lui à la fin des
temps. Cette spiritualisation de la matière cette noosphère1
est visible en l'homme comme aboutissement de l'évolution.
Il n'y a pas de paradis chez Theillard, mais évolution jusqu'au
point oméga qui est le Christ. Cette noosphère connaît
l'ensemble du créé : mystique, prières, relations,
rencontres sont autant de signes de cet avènement. A 50 ans
d'intervalle, plus près de nous, Joël de Rosnay nous dit
le comment. Il assiste à la mondialisation des informations,
au développement des médias depuis plus de 20 ans et
il voit en cela une sorte de filet de communication qui couvre la
terre et permet aux hommes de se recentrer, d'échanger, de
s'informer, de se rencontrer. Le savoir est universel et instantané
et n'importe quel groupe peut se réunir malgré les distances
qui séparent les individus. Pas de frontière ici, pas
de division. On est dans un domaine du tout possible. Ces visions
de sociétés futures qui n'ont rien de celle d'H.G. Wells
ne sont pas le meilleur des mondes, mais un monde de communion et
d'échange comme si au travers de l'illisible et du chaos perçaient
une vérité et du sens.
Enfin une lueur importante : presque partout l'espérance
de vie augmente, signe d'une meilleure hyg iène et d'un enrichissement
global qui, même s'il reste mal réparti, profite malgré
tout un peu aux plus pauvres.
Conclusion
Nous savons que la mondialisation est d'abord un phénomène
économique et médiatique.
Elle touche tous les domaines. Même le domaine religieux.
Notons tout de suite que le christianisme, par sa visée universelle,
ne devrait pas être surpris par la mondialisation. Une évangélisation
a permis un contact avec tous les peuples de la terre soit en essayant
d'entrer dans les cultures autochtones en s'imposant, soit en 'épousant
coutumes, langues et murs de ces cultures : ainsi en Chine au
17è siècle. Le christianisme qui s'est répandu
continue aujourd'hui son message, toujours le même : l'annonce
du Royaume, l'amour de Dieu le Père dans les langues différentes
: par exemple le Touareg ou le Mongol. Parler une même vérité
dans des cultures et en langues différentes, voire en créant
des langues écrites locales pour véhiculer la Bible
! Il y a là une mondialisation. Mais rencontrer les autres
cultures et religions c'est aussi les accueillir. Ne soyons pas étonnés
à notre tour de voir venir à nous des religions orientales
principalement le bouddhisme ou des formes syncrétistes.Un
lslam de son côté est devenu en Europe une religion qu'il
faut prendre en compte. La recherche religieuse de l'honme de la mondialisation
peut aussi aller dans le sens du repli identitaire : les intégrismes
touchent tous les mouvements et accompagnent nationalismes et régionalismes.
Dans ce cadre nous voyons ressurgir un intérêt pour les
religions disparues : cathares, religions amérindiennes, religion
égyptienne, etc.
Les effets de I'cuménisme depuis la Conférence
d'Edimbourg en 1910, en passant par la création du COE4, par
Vatican II et l'ouverture de dialogues avec un Islam et le judaïsme
ouvrent peu à peu la voie à une cohabitation fructueuse
des grands monothéismes. Mais le temps de la prière
d'Assise, réunissant dans la prière Orient et Occident,
est peut-être un sommet du mondialisme religieux. Dans tous
les cas pour éviter le "supermarché" du religieux
et des syncrétismes de qualité douteuse, les notions
de vérité, transparence, honnêteté débattues
plus haut sont ici aussi de mise.
Reste que le problème le plus important à débattre
pour les chrétiens est bel et bien dogmatique. La société
mondialiste est bien une société idolâtre : la
fascination qu'exerce le résultat économique déconnecte
l'individu de la réalité pour mieux l'absorber. Pas
de libre arbitre ici. Lhomme est chosifié et renvoyé
à lui-même dans une auto-adoration perceptible dans le
culte du corps par exemple, ou la recherche du bien-être absolu
souvent à partir d'expériences provoquées ou
programmées (drogue, rave party, saut à l'élastique,
etc.). Quelle divinité se cache derrière tout cela ?
On retrouve la puissance, le pouvoir, l'orgueil, toujours les mêmes
choses au final, à des périodes et derrière des
discours différents.
Pour l'Eglise il reste ce défi à relever. Défi
du langage moderne, des medias, des réseaux à utiliser
redécouverte de la Bible à la lumière des progrès
de l'archéologie, de la linguistique, de la psychologie et
de l'étude comparée des textes sacrés d'autres
religions. Nos dogmes sont sans doute à revoir ou au moins
à repréciser et nos discours qui ont traîné,
2000 ans de culpabilité ne veulent plus dire grand chose. Nous
avons aussi à redéfinir le projet de Dieu dans cette
société, sachant qu'au centre de ce projet il y a toujours
l'homme et l'homme libre grâce à l'amour divin. Nul n'est
libre qu'en Jésus-Christ affirme un membre du CFPC. Peut-être
est-ce le mot de la fin !
Vincens Hubac
Intervention au CFPC à Strasbourg - 2000
haut
Face à la mondialisation :Une parole d'église
par Guy
Bottinelli
1) Une parole difficile, parce qu'inhabituelle
C'est une parole difficile parce que le phénomène
est relativement nouveau, ne serait-ce que par les dimensions qu'il
a prises, ce qui explique que dans un premier temps, les églises
soient sans voix. Il faut dire qu'habituellement, les églises
en la matière sont plus à l'aise lorsqu'il s'agit de
dénoncer le mal absolu, tel qu'il se manifeste dans la xénophobie,
le racisme, la pauvreté ou le mépris de l'environnement.
Elles sont déjà plus hésitantes, voire muettes,
quand il s'agit de donner des réponses ou de proposer des solutions
: à ce niveau d'intervention, elles se situent plutôt
à la marge du phénomène décrié.
C'est ainsi par exemple, que le conseil de la Fédération
Protestante de France (FPF) après avoir dénoncé
en 1985, la précarité liée aux changements techniques
et scientifiques proposait des actions... "qui se placent en
marge de l'économie marchande et de ses lois" et qui promeuvent
l'économie sociale. Ce duo de la protestation et de la suggestion
à la marge est assez fréquent dans les déclarations
des églises sur des sujets tels que la mondialisation et l'économie
en général. Mais cela signifie qu'implicitement on renonce
à s'attaquer au cur du problème, à savoir
"l'économie marchande et ses lois". Or, c'est justement
cela qui est de plus en plus exigé. Au nom de nos textes fondamentaux,
les Ecritures bien sûr, comme de l'enseignement social de l'église
catholique, nous sommes sommés de ne pas nous en tenir à
la fonction d'infirmière de la société. C'est
ce que réclament nombre de militants des actions caritatives«
de toutes origines. Ce besoin général de remonter aux
causes est un signe de bonne santé citoyenne et évangélique
qu'il faut souligner.
Toutefois le message social chrétien se trouve aujourd'hui
dans une situation singulière : attendu comme spécifique,
il s'amortit dans la banalité. Pourquoi cette banalisation
? Parce qu'un certain nombre de valeurs comme la solidarité,
le respect des minorités, les aspirations à la dignité,
le refus du racisme et même l'attention aux pauvres sont admises
par la société civile, par la modernité en tout
cas au niveau du discours (du moins en Occident). Les mêmes
dénonciations fusent de la part d'institutions, de partis,
d'églises, sous le patronage des Droits de l'Homme, élevés
au rang de philosophie des civilisés. Tant mieux si le judéo-christianisme,
dopé par la pensée des Lumières, a ainsi irrigué
la modernité, même si cela prive les églises d'un
arôme d'originalité. Mais tout cela ne veut pas dire
que le message social des lèvres, et nous n'en avons pas fini
avec les atteintes à la dignité, aux droits des travailleurs
à commencer par ceux des enfants, et au respect de l'environnement.
Pourtant cela ne nous exonère pas d'une question présente
en de nombreux débats : face à la mondialisation avec
sa complexité, sa nouveauté, ses retombées :
qu'est-ce que les églises ont à dire d'approprié,
sinon de neuf ? Si leur fonction prophétique les conduit la
plupart du temps à protester, elles ont aussi à exercer
une fonction sapientiale -sagesse et discernement - pour un accompagnement
critique de la société. Dans ces deux démarches
-protestation et accompagnement - se manifeste l'amour de Dieu sous
son double aspect de jugement et de promesse.
2) Une parole nécessaire, parce qu'attendue
Les chrétiens peuvent oser répondre à cette
question, ceci d'autant plus que l'interlocuteur extérieur
redoute de moins en moins les réponses dogmatiques ou comminatoires.
Merci la sécularisation ! L'attitude beaucoup plus humble de
l'église catholique en ces temps de repentance débouche
au moins les oreilles si elle n'ouvre pas tous les curs. Ainsi,
dans "Réhabiliter la politique" la commission sociale
de l'épiscopat déclare:
"Agissant pour le bien commun, au service de tous et sans ambition
de pouvoir, les chrétiens se sentent à l'aise dans une
société démocratique et laïque."
Si une parole est attendue des églises c'est parce qu'on
ne sait plus très bien à quel saint se vouer, pour imaginer
et préparer l'avenir... non qu'elles seraient seules détentrices
de recettes magiques, mais parce qu'on leur prête encore une
capacité à produire du sens et de l'éthique.
Dans le monde des affaires par exemple, on n'est plus seulement
en quête d'éthique, mais de spiritualité. Le frère
Samuel, aumônier du collège Stanislas à Paris,
expert en management, fait aussi le pèlerinage de Davos, où
paraît-il, il est très apprécié. Le couvent
bénédictin de Ganagobie, dans les Alpes de Haute Provence,
est devenu un haut lieu de retraite et de recherche éthique
pour cadres et PDG de haut niveau, au point que ces managers y parlent
de "moinagement". Un ouvrage étasunien à paraître
défend l'utilisation d'un "quotient spirituel" à
côté du quotient intellectuel dans le recrutement des
cadres, etc... Nous sentons bien la dérive gare au supplément
d'âme, au cosmétique spirituel, servant à refaire
une virginité aux multinationales !
3) une parole risquée, mais possible
Oser une parole sur la mondialisation, c'est d'abord pour les églises,
reconnaître qu'il s'agit d'un problème spirituel, comme
Albert ROUET, évêque à Poitiers l'a fortement
souligné dans un texte remarquable publié par le Centre
Lebret. Les croyants latino-américains avant lui, ont bien
exprimé ce qu'il faut entendre par là... Lorsque je
connais des difficultés matérielles, il sagit
pour moi d'un problème matériel, mais lorsque c'est
mon prochain qui connaît des difficultés matérielles,
il s'agit pour moi d'un problème spirituel. Et notre problème
spirituel, comme le dit justement le père ROUET c'est "le
.passage de la globalisation à l'humanisation". Tout le,
reste n'est qu'un succédané de supplément d'âme...
Considérant maintenant la mondialisation nous ne savons que
penser, entre le diagnostic catastrophique d'un Ignacio RAMONET (le
"Monde diplomatique" et "Géopolitique du Chaos")
ou d'une Viviane FORRESTER (Une étrange dictature), et la vision
plus apaisée d'un Hugues PUEL (Economie et Humanisme). Faute
de moyens d'analyse, de compétence, je suis hésitant,
même si j'écarte aux extrêmes ceux qui n'attendent
de ma mondialisation que des bienfaits, comme ceux qui rêvent
d'un retour en arrière.
Toutefois, en l'état actuel des choses deux phénomènes
sont à I'uvre qui retiennent mon attention, parce que
sujets d'inquiétude. Il y a ce que J. Claude Guillebaud ("Refondation
du monde") appelle le retour du destin et ce que des théologiens
sud-américains nomment, les processus sacrificiels. Avec ces
termes, nous sommes en pleine thématique religieuse et théologique.
.Le retour du destin par exemple, a pris la forme du pilotage automatique
de l'économie par les marchés financiers. Certes on
peut reconnaître que nous ne sommes pas soumis à une
fatalité fondamentale, puisque les hommes en sont cause, mais
nous avons quand même le sentiment de nous affronter à
une fatalité relative. Or, le propre d'une fatalité
c'est d'établir une distance entre des personnes et ce qui
leur arrive, dont l'origine est mystérieuse, insaisissable.
Ainsi les marchés se disent rationnels, car ils dictent aux
sociétés peu de choses qu'elles n'aient déjà
acceptées, mais ils fonctionnent souvent de manière
irrationnelle selon un comportement mimétique : puisque l'autre
l'a fait, je m'empresse aussi de le faire ! A ce point, refuser la
fatalité sappelle réhabiliter le politique, comme
de nombreux textes issus des églises le réclament. En
plus du texte catholique cité plus haut on peut se référer
à ceux des instances cuméniques, comme "Eglise
et Société" de la conférence des églises
européennes, dite KEK (comprenant des protestants, des orthodoxes
et des anglicans). Le politique, c'est le projet porté par
une visée et débattu démocratiquement, alors
que l'économie soumise aux seules règles du marché,
c'est la fébrilité de l'urgence, avec l'unique objectif
d'un retour sur investissement. C'est bien pour restituer sa place
au politique - et résister à la fatalité - que
des efforts de régulation sont engagés depuis quelques
années. Leur objet est d'ajuster les relations entre l'économie
productive, la finance, les problèmes sociaux et les formes
institutionnelles. (voir le remue-ménage autour du FMI, et
d'une façon plus générale de toutes les institutions
nées en 1944, à Bretton Woods).
On peut citer en vrac:
- les indicateurs de développement humain (IDH) du Programme
des Nations Unies pour le Développement (PNUD)
- la volonté d'instituer une notation sociale à côté
de la notation financière des entreprises.
- l'existence en France d'un "observatoire de la mondialisation"
et la création à Genève d'un organisme identique.
- le Réseau d'action contre les inégalités,
créé il y a trois ans par des chercheurs et des acteurs
associatifs et syndicaux.
- la pression des Droits de l'Homme sur les choix. des multinationales.
- l'activation du comité des affaires fiscales de
-L'OCDE pour resserrer l'étau autour des paradis fiscaux.
- le lobbying dynamique auquel se livre une association comme ATTAC1
pour la taxation des transactions financières.
A côté d'organisations officielles on assiste à
l'émergence de la société civile, souhaitée
par le directeur de la Banque Mondiale, qui a surpris par sa vigueur
depuis Seattle et sa suite. Elle charrie du bon et du moins bon, mais
peut-il en aller autrement après des années où
les décisions étaient prises entre experts dans une
atmosphère, de secrets d'alcôve ?
Des relais entre les populations et les instances délibératrices
se sont créés, ils sont, nombreux et identifiables et
les églises peuvent exercer à leur endroit un accompagnement.
critique en complément des dénonciations nécessaires.
Ce sont ces relais qui d'une certaine façon abolissent la distance
entre le citoyen et la fatalité, et qui enrayent le retour
du destin.
L'autre sujet d'inquiétude c'est que les inégalités
croissantes relèvent tout droit de processus sacrificiels.
Tant que la mondialisation demeure soumise aux aléas de volatilité
financière, qui produit des gagnants et des perdants, elle
s'apparente aux religions traditionnelles pour lesquelles il faut
bien que quelqu'un souffre ou périsse pour le salut de la majorité3
(. La nouveauté dramatique c'est que les "sacrifiés"
se comptent maintenant en centaines de millions, en attendant de devenir
la majorité de demain. Pour rompre. avec la logique sacrificielle
il faut une solide utopie pas moins, telle que l'utopie inaugurée
par Jésus avec l'annonce du Royaume de Dieu. Quand la situation
l'exige, il faut propager quelques bons morceaux choisis de la Bonne
Nouvelle, comme ceux que l'on trouve dans la 2ème Lettre aux
Corinthiens à propos de la collecte en faveur de l'église
de Jérusalem, ou encore comme la parabole des ouvriers embauchés
à des heures différentes de la journée et qui
touchent le même salaire (même si la pointe de ce texte
demeure l'annonce de la grâce accordée à tous
Il est frappant d'entendre les églises traquer les inégalités,
sans oser jamais!« prononcer le mot égalité...
sauf à parler d'égalité des chances, comme dans
l'Education Nationale. Une fois qu'on a conscience des dérives
possibles de l'égalitarisme dont l'histoire nous a montré
les tentations totalitaires nous gagnerions à oser l'emploi
du terme égalité, ne serait-ce que pour provoquer la
réflexion. En commençant par faire savoir que le principe
égalitaire est à I'uvre dans bien des associations,
ou l'éventail des salaires - sans avantages ni stock options
est très resserré, et encore plus dans les églises
où ce principe est appliqué. Le fait de se situer en
dehors de la marchande n'enlève rien à notre devoir
d'apostropher la société. Aux églises d'être
moins discrètes sur ce sujet, ceci d'autant que le principe
d'égalité mériterait bien des déclinaisons
dans notre pays, au delà de la seule égalité
des chances, dont on sait bien ce qu'il advient pour ceux à
qui il a manqué bien d'autres chances.
Dans la recherche d'une meilleure justice, ce principe apporterait
aussi quelques correctifs au fameux droit à la différence,
afin qu'il ne soit pas que le cache-sexe de l'individualisme ou du
corporatisme le plus rédhibitoire sur lequel repose le libéralisme,
qu'il soit social ou ' ultra.
Il demeure qu'au delà des déclarations souvent pertinentes
d'un évêque ou d'un président d'église,
l'efficacité de leur parole réside dans la mobilisation
qu'elle entraîne parmi les croyants, une fois redescendue dans
les chaumières paroissiales. C'est à cette échelle
que la parole des églises devient vie.
Dans une prédication radio diffusée le 16 septembre
1999, le pasteur L. SIMON déclarait ceci: "Amis, c'est
du côté des gestes profanes de libération, du
côté des combats pour la liberté concrète
des autres, du côté des actes à entreprendre (...)
pour que l'homme soit homme, c'est là, dans la cité
donc (...) que peuvent poindre des signes de crédibilité
pour une Eglise disciple du Nazaréen.
Amis, notre Eglise est-elle l'une de celles qui devaient venir après
Jésus de Nazareth ? Et auparavant : localement, chacune des
églises est-elle capable de vivre davantage comme une association
diaconale avant de se vouloir association cultuelle, le service des
pauvres peut-il y préparer et devancer le service de la Parole
?"
A ce propos, je voudrais dire à mes frères protestants
combien il est regrettable qu'ils ne profitent pas davantage de leur
statut minoritaire. Puisqu'ils ne sont plus, depuis longtemps, suspects
de visées impérialistes rien ne doit les retenir de
faire preuve d'audace, au lieu de se cantonner dans une réserve
stérile. Etre petit n'est un handicap que pour ceux qui manquent
d'imagination
Guy Bottinelli - Mai 2000 Lyon
(Débat 2000/2000 débats)
Cahier Evangile Et Liberte N0200 Octobre 2000
(1) Action pour une Taxation des Transactions financières
pour laide aux Citoyens
(2) 5.500 ONG sactivent de par le monde
(3) Voir la déclaration de Caïphe dans lévangile
de Jean 11/49-52