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Les défis de la mondialisation

par Vincens Hubac

"Mondialisation". Le mot devient presque envahissant, suscite des réactions parfois opposées les unes aux autres. La Mondialisation s'impose partout comme un phénomène inéluctable. Nouveau système par son émergence, omniprésence et renouveau d'un capitalisme libéral qui surprend par son ampleur et la rapidité de son évolution.

Le phénomène fait souvent peur. Peur de l'uniformisation, de la pensée unique dominante sorte de lissage idéologique et culturel à l'échelle mondiale. Peur de dérapages, de surchauffes, de spéculations dus à la déréglementation. Peur de l'exploitation des plus faibles, de la marginalisation, de l'exclusion.

Mais la mondialisation peut aussi enthousiasmer. Certains voient dans la déréglementation un assainissement du marché, une efficacité plus grande, donc des échanges plus faciles et une richesse globale plus grande confirmée par les statistiques. Même si ces propos peuvent être modulés on a aussi une recherche comme une règle du jeu mondiale sous la houlette d'organisations telles l'OMC à Seattle (avec des échecs parfois !)

Entre peur et enthousiasme il n'en demeure pas moins vrai que beaucoup de questions, de défis sont à résoudre. La mondialisation étant une formidable accélération des échanges, de la création de richesse, de flux en tous sens et de tous ordres, comment vivre le rétrécissement du monde qui en résulte, la proximité de ceux qui étaient autrefois loin de nous, voire inaccessibles ? Se posent les questions de l'avenir pour le monde, pour la création et pour ceux qui nous suivent. Quel sens a tout cela ? Quels types de dépendances se créent ? Quelle est la place de l'homme dans cette accélération de l'histoire, cet homme qui a vu de ses yeux le monde - son monde - pour la première fois dans sa globalité en juillet 1969 en allant sur la lune ? Comment se situer dans un paysage où les repères sont bouleversés et changent très vite ?

Nous esquisserons quelques pistes de réflexions en essayant de définir 1"émergence de l'homme nouveau. Nous aborderons ensuite la question du sens pour déboucher en conclusion sur la question du défi religieux que nous pose cette mondialisation.

1) Emergence de l'homme nouveau ?

Un des membre du CFPC de Rouen finit sa réflexion sur l'évolution du commerce maritime par cette phrase "il reste l'homme". Il reste l'homme comme valeur sûre. C'est lui qui relève le défi de la mondialisation. Mais quel peut être cet homme aujourd'hui ?

L'homme nouveau ne part pas de rien. L'histoire et la mémoire personnelle ou collective sont là comme un support sur lequel on peut s'appuyer pour vivre le présent et se projeter dans le futur, "le qui suis-je ?" trouve ici une réponse. Quelques exemples bien rapides il est vrai : depuis le début de l'histoire, l'homme a connu des moments d'adaptation. Ainsi Mari, la première ville connue dans l'histoire (il existe d'autres cités antérieures comme Jéricho, Mureibet ou Haysal Hyük mais elles sont plus modestes et moins organisées). Aux 4è-3è millénaires Mari commerce avec des pays lointains et accueille des bateaux le long de ses canaux. La lettre de change est déjà connue !... Comment mesurer l'impact du passage du troc à une monnaie abstraite et "invisible" comme celle du système bancaire ? On pourrait évoquer aussi brièvement les bouleversements du 16 siècle : 1492 marque les grandes découvertes mais aussi la fin de la reconquête espagnole sur l'Islam. Choc de cultures, innovations technologiques, découverte et accroissement des échanges de biens, d'hommes (cf. les universités, pèlerinages, commerces). L'imprimerie - l'internet de l'époque ! - permet aussi l'accélération des échanges d'idées. Les Réformes sont une des conséquences de tout cela. Constatons ceci : les progrès ont permis l'émergence de la modernité. et l'éclosion des nations avec des langues rénovées, ainsi le français de Montaigne, de Ronsard ou de Calvin.

Plus près de nous, au 19è siècle, avec son cortège de découvertes, la mondialisation comme accélération des échanges va bon train (sans jeu de mot). Que l'on songe au percement de tunnels ou de canaux internationaux et à la mise en place de systèmes financiers comme celui des Rothschild travaillant globalement et simultanément sur l'ensemble des marchés financiers de l'époque...

Pourquoi ce retour sur l'histoire 9.

Simplement pour nous rappeler que ce que nous vivons, d'autres l'ont vécu et ont su apporter des réponses aux questions posées, leurs erreurs peuvent nous être salutaires (éviter les guerres de religion par exemple ou les grandes guerres entre Etats-nations). L'histoire nous permet aussi de nous situer et de savoir qui nous sommes dans l'environnement mouvant que nous connaissons (cf. à ce sujet le développement des monographies). Nous situer aujourd'hui pour se tourner vers le futur. Car toute vie est tournée vers le futur qu'il faut déchiffrer. Nous rejoignons en cela la vision biblique d'un monde tourné vers le Royaume ; vivant au Présent de l'annonce même de ce Royaume sur la prédication du Christ il y a 2000 ans ! C'est dans le futur que l'homme doit trouver ses projets qu'il vivra au Présent. Mais comment ?

Ici se place le défi de l'éducation et du langage - le défi culturel. Défis incontournables car si l'histoire et le futur nous situent dans le temps, culture et langage nous situent dans l'espace, dans la relation à soi-même et à l'autre. Le langage et la culture façonnent l'intelligence, la manière de lire le monde, de s'y situer. Ils induisent des valeurs spécifiques. La mondialisation pose à l'homme cette question. Le langage des machines, des robots, de l'américain, de l'idéologie libérale vont-ils être générateurs de nouvelles philosophies, religions, valeurs comme ce fut le cas par exemple de l'Hellénisme après Alexandre avec le néoplatonisme, la gnose ou... le christianisme ? Quand la Septante traduit le tétragramme sacré - Yahvé - par "je suis qui je serai " elle introduit l'ontologie grecque dans la pensée sémite par une traduction tendancieuse 1 De même l'homme de la mondialisation parle déjà le nouveau langage ci-dessus mentionné, il ne faut pas le refuser, il est à la base des échanges et de notre nouvelle culture... Mais rien ne nous empêche de garder aussi nos cultures particulières : les mémoires modernes et leurs réseaux nous le permettent ! l'identité de l'homme de la mondialisation peut s'appuyer sur ces deux réalités du langage et de la culture régionaux et mondiaux. Mais ceci implique la vigilance : "ne pas s'oublier soi-même ".

Le "ne pas s'oublier soi-même " est bien le reflet d'une inquiétude ; comment ne pas se perdre dans ce contexte mondial ? On ne peut répondre entièrement à une telle question, les êtres humains étant très différents les uns des autres. Mais la recherche d'identité peut s'appuyer sur quelques pistes :

- la recherche de l'authenticité. Elle doit être liée à la transparence et à la vérité. Dans un monde ouvert à une concurrence très forte, cette recherche de vérité et la volonté d'être soi me semblent fondamentales. Démagogie, flatterie, manière d'être "caméléon" sont de l'ordre du compromis, montrent soit que l'on est dénué de tout scrupule et c'est la porte ouverte à l'anarchie et à toutes les formes de perversité, soit que l'on pratique une fuite de type schizophrénique où à une heure on peut être un loup pour devenir agneau dans un contexte différent dans l'heure qui suit. C'est aussi dans l'affirmation de l'honnêteté et de la vérité que l'on pourra conserver les cultures régionales sans les replier sur elles- mêmes.

Ethique du marché, du dialogue mais aussi éthique du travail par le "système qualité" qui implique non pas seulement un vendeur ou un atelier, mais l'ensemble de l'entreprise dans sa manière d'être pour présenter un produit de qualité et perçu comme tel par le client, sorte de revanche morale du travail qui refuse ici le cloisonnement dans l'entreprise. Ces manières de vivre le marché et le travail font dire à un membre du patronat chrétien "non au mensonge"... La vérité, la parole, droite, l'ouverture au dialogue sont bien des valeurs bibliques opposées à ce que. nous appelons le péché : le fait qu'Adam mente à Dieu. Le mensonge est signe de dialogue impossible. Nous avons certainement à affirmer ici malgré les difficultés et la pression des marchés une identité et des valeurs chrétiennes et simplement humaines - parmi les valeurs influencées par le christianisme, la solidarité et le respect d'autrui semble importantes.

La logique du capitalisme libéral s'impose comme l'efficacité du marché et la performance de l'entreprise. S'il y a économiquement des effets induits positifs par l'accroissement de la richesse globale par exemple, il n'en demeure pas moins vrai que cette logique ne se préoccupe qu'assez peu des effets induits sur les hommes et sur l'environnement. Comment éviter l'exclusion, prendre en compte les chômeurs ? On assiste dans les pays occidentaux à une tiers mondialisation avec des élites établies face à une masse d'exclus entassés dans les banlieues ici, des bidonvilles ailleurs et dont on ne sait que faire. L’hyper urbanisation est encore un symptôme grave de ce phénomène et l'abandon partout du "welfare stage" (Etat--providence en Grande-Bretagne n'est pas sans générer quelques inquiétudes). L'homme de la mondialisation ne doit pas être l'homme de la domination et ne doit pas reproduire les problèmes sociaux du 19è siècle. Nous y reviendrons plus loin.

- Avoir une éthique fondée sur le respect d'autrui, sur "le système qualité" et la vérité, cela sur un marché hyper concurrentiel, ouvert et libre implique un savoir important. La maîtrise de l'information est une des clés de l'avenir. Sans information on ne peut pas suivre l'évolution d'un marché qui peut se retourner en 24 heures. Maîtriser les médias, les réseaux d'information, les courants d'influence est primordial pour la prise de décision. Quelle,est l'harmonie dans les bruits d'aujourd'hui ? Mais la quantité d'information, sa rapidité de circulation et les réactions que cela implique quant aux réponses rendent l'horizon économique et social opaque, imprévisible au-delà d'un temps qui ne dépasse certainement pas quelques mois. Dans ce domaine, la mondialisation rappelle à l'homme ses limites. Un chef d'entreprise, directeur ou cadre, se trouve ici plongé dans un univers d'incertitude où le risque de l'investissement est une donnée de plus en plus forte. L'homme de la mondialisation doit avoir une humilité et une vigilance importantes s'il veut tout simplement rester dans ce mouvement.

- L'humilité doit nous faire prendre conscience de l'effort que nous avons à entreprendre pour accompagner le mouvement de la mondialisation. Mobilité, innovation, créativité sont des lignes de conduite qui caractérisent et l'économie-monde et ceux qui la font. "L'imagination est au pouvoir", tout comme l'aventure, tentée ailleurs dans d'autres pays, dans d'autres entreprises pour rencontrer, échanger, se former. Faut-il pour autant avoir un développement personnel ? Sûrement oui à condition que ce développement ne conduise pas vers une spiritualité qui ressemblerait à une fuite. Mais ce développement est nécessaire s'il permet de faire face aux problèmes que l'homme doit gérer. Formation continue, pragmatique, toujours ouverte mais aussi et surtout recherche de sens fondée sur l'identité et en ce qui nous concerne fondée sur l'identité chrétienne. Faut-il retrouver le “aime et fais ce que tu veux" ou bien aussi 11, aime-toi toi-même" ? Dans tous les cas, comme l'affirment certains il vaut mieux "savoir ce qu'on veut" et se constituer un solide corps de doctrine. Mais c'est bien là la question du sens qui revient.

11) La question du sens

- L'absence de projet, l'absence d'un but global.

Le capitalisme classique malgré ses débordements et son abaissement avec les nationalismes dans les guerres mondiales s'est développé sur le terrain de la philosophie. Ne serait-ce que celle de J. Bentham ou celle des philosophes du 18è siècle. L'espérance de voir aboutir une société équilibrée par la richesse partagée et par le développement du savoir et de la science a animé des gens aussi différents que Condorcet, A. Comte, les Saint-Simoniens ou les socialistes utopistes, tels Fourier avec son phalanstère - cité idéale. Mais aussi les économistes classiques avec le dernier d'entre eux, J. Stuart Mill qui attendait la venue de l'Etat stationnaire ; mais Marx se retrouve aussi dans ce courant avec l'idée de la Société communiste. Les grands patrons, de leur côté, ont su développer un paternalisme intéressant bien qu'injustement décrié, ainsi par exemple la famille catholique Godin, dans le Nord, ou la famille protestante Peugeot, dans l'Est. Avec le christianisme social l'Eglise a fini par suivre avec beaucoup plus de succès qu'on ne pense malgré l'insuffisance de son impact Tardif, Keynésianisme ou, plus près de nous, le "Welfare State" vont, entre autre, aussi dans ce sens comme la "planification à la française"... même si ici l'efficacité du marché précède la question sociale.

Les Trente Glorieuses sont passées et la conjoncture descendante du cycle de Kondratieffl' qui a suivi, accompagnée par la restructuration des marchés mondiaux ont laissé de côté toute cette idéologie sociale et cette idéologie d'une société parfaite à venir véritable messianisme économique. Aujourd'hui, l'économie et l'hédonisme se trouvent dominants mais visiblement sans projet d'ensemble et sans idéologie. Faut-il dire que la mondialisation manque d'humanisme ? et dans tous les cas, de sens ? Les questions : à quel prix ? pourquoi ? pour qui ? restent sans réponses malgré quelques essais d'organisation visibles dans les conférences internationales.

Le chaos ou le non-sens

Si on ajoute aux questions ci-dessous celles qui suivent: qui domine ? comment ?..., alors certains disent : le système financier diront certains. Mais ce système est touché par la spéculation et le blanchiment de l'argent de trafics occultes tels la drogue. Que penser d'une augmentation de 50 % de la valeur des titres cotés à la Bourse de Paris en un an ? Et la richesse globale de l'économie pendant la même période, de combien a-t-elle augmenté dans le cadre d'une croissance de 2 à 3 % 1 Ajoutons à cela l'état de guerre économique que se livrent les grands groupes mondiaux. Tout cela augmente l'illisibilité dont nous avons dit un mot.

Cet ensemble de questions sans réponse ou avec peu de réponses pose le problème du chaos. La société monde ressemble pour l'instant au chaos, au tohu-bohu.

Dans la Genèse, aux premiers versets, il est fait référence à ce chaos : la terre est tohu-bohu informe et vide ; pas de projet, pas de sens. Notre économie - si elle ne produit que pour elle-même est-elle aussi vide, informe ? A manier la puissance sans idéologie, sans projet on risque la désintégration. Par exemple., que se passera-t-il le jour où viendra une perte de confiance à la Bourse ? et que se passera-t-il pour les économies du Tiers-Monde engagées dans la mondialisation ? On a frisé ce risque avec l'effondrement des marchés du Sud-Est asiatique. Chaos aussi quand l'être humain se laisse aller à la recherche de la richesse au mépris de la personne elle-même. Que penser de pays comme la Thailande où l'économie du sexe est reconnue au niveau national et mondial et vit en partie de charters d'Occidentaux ou du développement du Sida, en particulier en Afrique, qui bouscule les données démographiques.

Le développement de la consommation d'entretiens psychiatriques, de calmants ou d'excitants et la recherche religieuse dans le cadre du mouvement spirituel mystique-ésotérique tel le New Age (F. Campion) montrent aussi une désorientation et une recherche de l'homme d'aujourd'hui. Incontestablement une image de Dieu "est morte" ainsi que Sartre et Marx ! L'homme se perd-il dans la violence du confort de la richesse, dans le cocoonage, antidote au stress ? Le top-modèle est-il le modèle ?

Nous savons que toute société sécrète ses exclusions et ses pègres. Mais le développement de maffias internationales et des complicités qu'elles trouvent, ne serait-ce que pour blanchir leur argent ou écouler leurs stocks de marchandises illicites, montrent là aussi dérèglement de l'économie-monde et un mal-être alors que la richesse globale jamais égalée ne fait que croître.

Exclusion de la nature aussi. Celle-ci rappelle à notre bon souvenir de manière un peu violente, en gros le pillage des forêts tropicales, la fonte des glaces, l'exploitation trop grande des terres agricoles et des ressources minières, sans compter les espèces vivantes qui disparaissent devraient nous alerter. Le temps semble passé où, il y a quelques années encore, la création était au centre des préoccupations des Eglises.

La perte du sens induit un certain pessimisme conjoint à l'euphorie des conjonctures économiques, des fusions, des inventions et interconnexions ! Mais ce pessimisme ne doit pas nous envahir. La Bible (encore elle !) nous dit que du chaos est sortie la lumière. "Dieu dit et la lumière fut". C'est le premier acte créateur de Dieu : donner la possibilité de discerner le sens, de voir et de réaliser qu'il y a un projet créateur. Quels sont les prémices de cette lumière dans l'économie-monde ?.

Un homme malgré tout !

Un être humain reste certes ce qu'il est : créature qui pense, cherche, se pose des questions, il est sujet. En cela tout espoir reste permis malgré ses zones d'ombre. Comment ne pas évoquer ici deux personnes bien différentes mais pourtant portées par une même réflexion : Joël de Rosnay et Teillard de Chardin. Si leur point de départ est différent, leurs visions d'arrivée sont assez proches. Pour Theillard, jésuite et scientifique, la création est amenée dans un tourbillon créateur à se spiritualiser de plus en plus. Le monde est marqué par la présence dynamique d'un Christ qui l'attire à lui à la fin des temps. Cette spiritualisation de la matière cette noosphère1 est visible en l'homme comme aboutissement de l'évolution. Il n'y a pas de paradis chez Theillard, mais évolution jusqu'au point oméga qui est le Christ. Cette noosphère connaît l'ensemble du créé : mystique, prières, relations, rencontres sont autant de signes de cet avènement. A 50 ans d'intervalle, plus près de nous, Joël de Rosnay nous dit le comment. Il assiste à la mondialisation des informations, au développement des médias depuis plus de 20 ans et il voit en cela une sorte de filet de communication qui couvre la terre et permet aux hommes de se recentrer, d'échanger, de s'informer, de se rencontrer. Le savoir est universel et instantané et n'importe quel groupe peut se réunir malgré les distances qui séparent les individus. Pas de frontière ici, pas de division. On est dans un domaine du tout possible. Ces visions de sociétés futures qui n'ont rien de celle d'H.G. Wells ne sont pas le meilleur des mondes, mais un monde de communion et d'échange comme si au travers de l'illisible et du chaos perçaient une vérité et du sens.

Enfin une lueur importante : presque partout l'espérance de vie augmente, signe d'une meilleure hyg iène et d'un enrichissement global qui, même s'il reste mal réparti, profite malgré tout un peu aux plus pauvres.

Conclusion

Nous savons que la mondialisation est d'abord un phénomène économique et médiatique.

Elle touche tous les domaines. Même le domaine religieux. Notons tout de suite que le christianisme, par sa visée universelle, ne devrait pas être surpris par la mondialisation. Une évangélisation a permis un contact avec tous les peuples de la terre soit en essayant d'entrer dans les cultures autochtones en s'imposant, soit en 'épousant coutumes, langues et mœurs de ces cultures : ainsi en Chine au 17è siècle. Le christianisme qui s'est répandu continue aujourd'hui son message, toujours le même : l'annonce du Royaume, l'amour de Dieu le Père dans les langues différentes : par exemple le Touareg ou le Mongol. Parler une même vérité dans des cultures et en langues différentes, voire en créant des langues écrites locales pour véhiculer la Bible ! Il y a là une mondialisation. Mais rencontrer les autres cultures et religions c'est aussi les accueillir. Ne soyons pas étonnés à notre tour de voir venir à nous des religions orientales principalement le bouddhisme ou des formes syncrétistes.Un lslam de son côté est devenu en Europe une religion qu'il faut prendre en compte. La recherche religieuse de l'honme de la mondialisation peut aussi aller dans le sens du repli identitaire : les intégrismes touchent tous les mouvements et accompagnent nationalismes et régionalismes. Dans ce cadre nous voyons ressurgir un intérêt pour les religions disparues : cathares, religions amérindiennes, religion égyptienne, etc.

Les effets de I'œcuménisme depuis la Conférence d'Edimbourg en 1910, en passant par la création du COE4, par Vatican II et l'ouverture de dialogues avec un Islam et le judaïsme ouvrent peu à peu la voie à une cohabitation fructueuse des grands monothéismes. Mais le temps de la prière d'Assise, réunissant dans la prière Orient et Occident, est peut-être un sommet du mondialisme religieux. Dans tous les cas pour éviter le "supermarché" du religieux et des syncrétismes de qualité douteuse, les notions de vérité, transparence, honnêteté débattues plus haut sont ici aussi de mise.

Reste que le problème le plus important à débattre pour les chrétiens est bel et bien dogmatique. La société mondialiste est bien une société idolâtre : la fascination qu'exerce le résultat économique déconnecte l'individu de la réalité pour mieux l'absorber. Pas de libre arbitre ici. L’homme est chosifié et renvoyé à lui-même dans une auto-adoration perceptible dans le culte du corps par exemple, ou la recherche du bien-être absolu souvent à partir d'expériences provoquées ou programmées (drogue, rave party, saut à l'élastique, etc.). Quelle divinité se cache derrière tout cela ? On retrouve la puissance, le pouvoir, l'orgueil, toujours les mêmes choses au final, à des périodes et derrière des discours différents.

Pour l'Eglise il reste ce défi à relever. Défi du langage moderne, des medias, des réseaux à utiliser redécouverte de la Bible à la lumière des progrès de l'archéologie, de la linguistique, de la psychologie et de l'étude comparée des textes sacrés d'autres religions. Nos dogmes sont sans doute à revoir ou au moins à repréciser et nos discours qui ont traîné, 2000 ans de culpabilité ne veulent plus dire grand chose. Nous avons aussi à redéfinir le projet de Dieu dans cette société, sachant qu'au centre de ce projet il y a toujours l'homme et l'homme libre grâce à l'amour divin. Nul n'est libre qu'en Jésus-Christ affirme un membre du CFPC. Peut-être est-ce le mot de la fin !

Vincens Hubac
Intervention au CFPC à Strasbourg - 2000

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Face à la mondialisation :Une parole d'église

par Guy Bottinelli

1) Une parole difficile, parce qu'inhabituelle

C'est une parole difficile parce que le phénomène est relativement nouveau, ne serait-ce que par les dimensions qu'il a prises, ce qui explique que dans un premier temps, les églises soient sans voix. Il faut dire qu'habituellement, les églises en la matière sont plus à l'aise lorsqu'il s'agit de dénoncer le mal absolu, tel qu'il se manifeste dans la xénophobie, le racisme, la pauvreté ou le mépris de l'environnement. Elles sont déjà plus hésitantes, voire muettes, quand il s'agit de donner des réponses ou de proposer des solutions : à ce niveau d'intervention, elles se situent plutôt à la marge du phénomène décrié. C'est ainsi par exemple, que le conseil de la Fédération Protestante de France (FPF) après avoir dénoncé en 1985, la précarité liée aux changements techniques et scientifiques proposait des actions... "qui se placent en marge de l'économie marchande et de ses lois" et qui promeuvent l'économie sociale. Ce duo de la protestation et de la suggestion à la marge est assez fréquent dans les déclarations des églises sur des sujets tels que la mondialisation et l'économie en général. Mais cela signifie qu'implicitement on renonce à s'attaquer au cœur du problème, à savoir "l'économie marchande et ses lois". Or, c'est justement cela qui est de plus en plus exigé. Au nom de nos textes fondamentaux, les Ecritures bien sûr, comme de l'enseignement social de l'église catholique, nous sommes sommés de ne pas nous en tenir à la fonction d'infirmière de la société. C'est ce que réclament nombre de militants des actions caritatives« de toutes origines. Ce besoin général de remonter aux causes est un signe de bonne santé citoyenne et évangélique qu'il faut souligner.

Toutefois le message social chrétien se trouve aujourd'hui dans une situation singulière : attendu comme spécifique, il s'amortit dans la banalité. Pourquoi cette banalisation ? Parce qu'un certain nombre de valeurs comme la solidarité, le respect des minorités, les aspirations à la dignité, le refus du racisme et même l'attention aux pauvres sont admises par la société civile, par la modernité en tout cas au niveau du discours (du moins en Occident). Les mêmes dénonciations fusent de la part d'institutions, de partis, d'églises, sous le patronage des Droits de l'Homme, élevés au rang de philosophie des civilisés. Tant mieux si le judéo-christianisme, dopé par la pensée des Lumières, a ainsi irrigué la modernité, même si cela prive les églises d'un arôme d'originalité. Mais tout cela ne veut pas dire que le message social des lèvres, et nous n'en avons pas fini avec les atteintes à la dignité, aux droits des travailleurs à commencer par ceux des enfants, et au respect de l'environnement. Pourtant cela ne nous exonère pas d'une question présente en de nombreux débats : face à la mondialisation avec sa complexité, sa nouveauté, ses retombées : qu'est-ce que les églises ont à dire d'approprié, sinon de neuf ? Si leur fonction prophétique les conduit la plupart du temps à protester, elles ont aussi à exercer une fonction sapientiale -sagesse et discernement - pour un accompagnement critique de la société. Dans ces deux démarches -protestation et accompagnement - se manifeste l'amour de Dieu sous son double aspect de jugement et de promesse.

2) Une parole nécessaire, parce qu'attendue

Les chrétiens peuvent oser répondre à cette question, ceci d'autant plus que l'interlocuteur extérieur redoute de moins en moins les réponses dogmatiques ou comminatoires. Merci la sécularisation ! L'attitude beaucoup plus humble de l'église catholique en ces temps de repentance débouche au moins les oreilles si elle n'ouvre pas tous les cœurs. Ainsi, dans "Réhabiliter la politique" la commission sociale de l'épiscopat déclare:

"Agissant pour le bien commun, au service de tous et sans ambition de pouvoir, les chrétiens se sentent à l'aise dans une société démocratique et laïque."

Si une parole est attendue des églises c'est parce qu'on ne sait plus très bien à quel saint se vouer, pour imaginer et préparer l'avenir... non qu'elles seraient seules détentrices de recettes magiques, mais parce qu'on leur prête encore une capacité à produire du sens et de l'éthique.

Dans le monde des affaires par exemple, on n'est plus seulement en quête d'éthique, mais de spiritualité. Le frère Samuel, aumônier du collège Stanislas à Paris, expert en management, fait aussi le pèlerinage de Davos, où paraît-il, il est très apprécié. Le couvent bénédictin de Ganagobie, dans les Alpes de Haute Provence, est devenu un haut lieu de retraite et de recherche éthique pour cadres et PDG de haut niveau, au point que ces managers y parlent de "moinagement". Un ouvrage étasunien à paraître défend l'utilisation d'un "quotient spirituel" à côté du quotient intellectuel dans le recrutement des cadres, etc... Nous sentons bien la dérive gare au supplément d'âme, au cosmétique spirituel, servant à refaire une virginité aux multinationales !

3) une parole risquée, mais possible

Oser une parole sur la mondialisation, c'est d'abord pour les églises, reconnaître qu'il s'agit d'un problème spirituel, comme Albert ROUET, évêque à Poitiers l'a fortement souligné dans un texte remarquable publié par le Centre Lebret. Les croyants latino-américains avant lui, ont bien exprimé ce qu'il faut entendre par là... Lorsque je connais des difficultés matérielles, il s’agit pour moi d'un problème matériel, mais lorsque c'est mon prochain qui connaît des difficultés matérielles, il s'agit pour moi d'un problème spirituel. Et notre problème spirituel, comme le dit justement le père ROUET c'est "le .passage de la globalisation à l'humanisation". Tout le, reste n'est qu'un succédané de supplément d'âme...

Considérant maintenant la mondialisation nous ne savons que penser, entre le diagnostic catastrophique d'un Ignacio RAMONET (le "Monde diplomatique" et "Géopolitique du Chaos") ou d'une Viviane FORRESTER (Une étrange dictature), et la vision plus apaisée d'un Hugues PUEL (Economie et Humanisme). Faute de moyens d'analyse, de compétence, je suis hésitant, même si j'écarte aux extrêmes ceux qui n'attendent de ma mondialisation que des bienfaits, comme ceux qui rêvent d'un retour en arrière.

Toutefois, en l'état actuel des choses deux phénomènes sont à I'œuvre qui retiennent mon attention, parce que sujets d'inquiétude. Il y a ce que J. Claude Guillebaud ("Refondation du monde") appelle le retour du destin et ce que des théologiens sud-américains nomment, les processus sacrificiels. Avec ces termes, nous sommes en pleine thématique religieuse et théologique.

.Le retour du destin par exemple, a pris la forme du pilotage automatique de l'économie par les marchés financiers. Certes on peut reconnaître que nous ne sommes pas soumis à une fatalité fondamentale, puisque les hommes en sont cause, mais nous avons quand même le sentiment de nous affronter à une fatalité relative. Or, le propre d'une fatalité c'est d'établir une distance entre des personnes et ce qui leur arrive, dont l'origine est mystérieuse, insaisissable. Ainsi les marchés se disent rationnels, car ils dictent aux sociétés peu de choses qu'elles n'aient déjà acceptées, mais ils fonctionnent souvent de manière irrationnelle selon un comportement mimétique : puisque l'autre l'a fait, je m'empresse aussi de le faire ! A ce point, refuser la fatalité s’appelle réhabiliter le politique, comme de nombreux textes issus des églises le réclament. En plus du texte catholique cité plus haut on peut se référer à ceux des instances œcuméniques, comme "Eglise et Société" de la conférence des églises européennes, dite KEK (comprenant des protestants, des orthodoxes et des anglicans). Le politique, c'est le projet porté par une visée et débattu démocratiquement, alors que l'économie soumise aux seules règles du marché, c'est la fébrilité de l'urgence, avec l'unique objectif d'un retour sur investissement. C'est bien pour restituer sa place au politique - et résister à la fatalité - que des efforts de régulation sont engagés depuis quelques années. Leur objet est d'ajuster les relations entre l'économie productive, la finance, les problèmes sociaux et les formes institutionnelles. (voir le remue-ménage autour du FMI, et d'une façon plus générale de toutes les institutions nées en 1944, à Bretton Woods).

On peut citer en vrac:

- les indicateurs de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)

- la volonté d'instituer une notation sociale à côté de la notation financière des entreprises.

- l'existence en France d'un "observatoire de la mondialisation" et la création à Genève d'un organisme identique.

- le Réseau d'action contre les inégalités, créé il y a trois ans par des chercheurs et des acteurs associatifs et syndicaux.

- la pression des Droits de l'Homme sur les choix. des multinationales.

- l'activation du comité des affaires fiscales de

-L'OCDE pour resserrer l'étau autour des paradis fiscaux.

- le lobbying dynamique auquel se livre une association comme ATTAC1 pour la taxation des transactions financières.

A côté d'organisations officielles on assiste à l'émergence de la société civile, souhaitée par le directeur de la Banque Mondiale, qui a surpris par sa vigueur depuis Seattle et sa suite. Elle charrie du bon et du moins bon, mais peut-il en aller autrement après des années où les décisions étaient prises entre experts dans une atmosphère, de secrets d'alcôve ?

Des relais entre les populations et les instances délibératrices se sont créés, ils sont, nombreux et identifiables et les églises peuvent exercer à leur endroit un accompagnement. critique en complément des dénonciations nécessaires. Ce sont ces relais qui d'une certaine façon abolissent la distance entre le citoyen et la fatalité, et qui enrayent le retour du destin.

L'autre sujet d'inquiétude c'est que les inégalités croissantes relèvent tout droit de processus sacrificiels. Tant que la mondialisation demeure soumise aux aléas de volatilité financière, qui produit des gagnants et des perdants, elle s'apparente aux religions traditionnelles pour lesquelles il faut bien que quelqu'un souffre ou périsse pour le salut de la majorité3 (. La nouveauté dramatique c'est que les "sacrifiés" se comptent maintenant en centaines de millions, en attendant de devenir la majorité de demain. Pour rompre. avec la logique sacrificielle il faut une solide utopie pas moins, telle que l'utopie inaugurée par Jésus avec l'annonce du Royaume de Dieu. Quand la situation l'exige, il faut propager quelques bons morceaux choisis de la Bonne Nouvelle, comme ceux que l'on trouve dans la 2ème Lettre aux Corinthiens à propos de la collecte en faveur de l'église de Jérusalem, ou encore comme la parabole des ouvriers embauchés à des heures différentes de la journée et qui touchent le même salaire (même si la pointe de ce texte demeure l'annonce de la grâce accordée à tous Il est frappant d'entendre les églises traquer les inégalités, sans oser jamais!« prononcer le mot égalité... sauf à parler d'égalité des chances, comme dans l'Education Nationale. Une fois qu'on a conscience des dérives possibles de l'égalitarisme dont l'histoire nous a montré les tentations totalitaires nous gagnerions à oser l'emploi du terme égalité, ne serait-ce que pour provoquer la réflexion. En commençant par faire savoir que le principe égalitaire est à I'œuvre dans bien des associations, ou l'éventail des salaires - sans avantages ni stock options est très resserré, et encore plus dans les églises où ce principe est appliqué. Le fait de se situer en dehors de la marchande n'enlève rien à notre devoir d'apostropher la société. Aux églises d'être moins discrètes sur ce sujet, ceci d'autant que le principe d'égalité mériterait bien des déclinaisons dans notre pays, au delà de la seule égalité des chances, dont on sait bien ce qu'il advient pour ceux à qui il a manqué bien d'autres chances.

Dans la recherche d'une meilleure justice, ce principe apporterait aussi quelques correctifs au fameux droit à la différence, afin qu'il ne soit pas que le cache-sexe de l'individualisme ou du corporatisme le plus rédhibitoire sur lequel repose le libéralisme, qu'il soit social ou ' ultra.

Il demeure qu'au delà des déclarations souvent pertinentes d'un évêque ou d'un président d'église, l'efficacité de leur parole réside dans la mobilisation qu'elle entraîne parmi les croyants, une fois redescendue dans les chaumières paroissiales. C'est à cette échelle que la parole des églises devient vie.

Dans une prédication radio diffusée le 16 septembre 1999, le pasteur L. SIMON déclarait ceci: "Amis, c'est du côté des gestes profanes de libération, du côté des combats pour la liberté concrète des autres, du côté des actes à entreprendre (...) pour que l'homme soit homme, c'est là, dans la cité donc (...) que peuvent poindre des signes de crédibilité pour une Eglise disciple du Nazaréen.

Amis, notre Eglise est-elle l'une de celles qui devaient venir après Jésus de Nazareth ? Et auparavant : localement, chacune des églises est-elle capable de vivre davantage comme une association diaconale avant de se vouloir association cultuelle, le service des pauvres peut-il y préparer et devancer le service de la Parole ?"

A ce propos, je voudrais dire à mes frères protestants combien il est regrettable qu'ils ne profitent pas davantage de leur statut minoritaire. Puisqu'ils ne sont plus, depuis longtemps, suspects de visées impérialistes rien ne doit les retenir de faire preuve d'audace, au lieu de se cantonner dans une réserve stérile. Etre petit n'est un handicap que pour ceux qui manquent d'imagination

Guy Bottinelli - Mai 2000 Lyon
(Débat 2000/2000 débats)

Cahier Evangile Et Liberte N0200 Octobre 2000

(1) Action pour une Taxation des Transactions financières pour l’aide aux Citoyens

(2) 5.500 ONG s’activent de par le monde…

(3) Voir la déclaration de Caïphe dans l’évangile de Jean 11/49-52

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