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DIRE LA PAROLE

par le pasteur Pierre Joudrier

 

 

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Avant-dire

Les 5 chapitres qui suivent synthétisent une recherche décidée au moment de ma retraite pastorale, voilà près de 30 ans, afin de me donner une raison de travailler !

C’est donc un travail d’« ancien », pour qui le temps ne compte plus de la même façon… Toutefois cette recherche repose sur plus de 70 années d’écoute, de lecture, et d’étude de l’Écriture. Assez tôt en effet, j’avais éprouvé le besoin de retrouver le sens premier et profond de tous ces mots d’un langage théologique et ecclésiastique alors nouveau pour moi, et de l’étudier donc d’abord dans le grec, puis dans l’hébreu. Comme j’aimerais, aujourd’hui encore, mieux connaître ces langues !

Grâce à certains grands Rabbins « modernes », j’ai pu cependant découvrir quelques points du génie de la langue et de la pensée juives qui me semblent indispensables pour comprendre ces vieux textes…qui deviennent si neufs lorsqu’ils nous transmettent la Parole.

Les exemples suivants permettront d’éclairer sommairement quelques-uns de ces points :

-la notion de temps :

dans la conjugaison d’un verbe hébraïque, il n’y a pas de « présent », car un présent absolu n’est qu’une fiction de l’esprit, à moins que la Terre ne cesse de tourner !

Pour l’hébreu, c’est la valeur aspectuelle qui prédomine, aspect accompli, ou achevé / aspect inaccompli, ou inachevé, ce qui oblige à bien situer l’action engagée par la forme verbale dans un temps qui passe…

-les formes nominales :

pour certains spécialistes de l’hébreu, « les noms sont des formes verbales », comme on emploie en français « le boire, le manger, ou le dire ». Mais comme les verbes en hébreu expriment toujours une action ou un état concret, cette langue ne connaît pratiquement pas de noms abstraits.

C’est donc l’hellénisation de la pensée hébraïque, développée en particulier par la traduction de l’Ancien Testament en grec (la « Septante » -LXX-, réalisée vers 250 av. J .C. à Alexandrie), qui a introduit des termes abstraits totalement étrangers à la culture juive originelle.

Si certains penseurs voient là « un enrichissement considérable du champ sémantique » de l’Ancien Testament, d’autres, au contraire, pensent qu’il s’agit là « d’une transformation radicale de la pensée juive » !

En voici une illustration : le mot hébreu ‘oLaM vient d’une racine signifiant « être caché, ignoré » et il désigne « un temps inconnu, inconnaissable ».

Pour le traduire en grec, la LXX emploie le mot aiôn, c’est-à-dire « éternité », un nom totalement abstrait…Et cette traduction nous conduit à chanter de tout notre cœur : « Et d’éternité en éternité, Amen », comme s’il était possible de mettre une éternité au bout d’une éternité !

Pour l’intuition juive, ‘oLaM est un « temps inconnu », inconnaissable pour nous, créatures qui vivons dans une création par laquelle est né notre temps.

On peut rapprocher ce mot hébreu de la réponse du messager divin faite à Manoah lorsque celui-ci lui demande son nom : « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Il est caché, secret, trop prodigieux pour le dire » (Juges 13, 18).

La traduction hébraïque du Nouveau Testament emploie ce même mot pour rendre l’inscription découverte par Paul sur l’un des autels d’Athènes dédié « au Dieu inconnu », ou, plus vraisemblablement, « au Dieu inconnaissable ».

De même on sait, grâce à certaines versions, que Dieu est le plus souvent désigné par le tétragramme sacré : IHVH, qu’un juif fidèle ne prononce jamais. Quant à nous, nous disons « Yahvé » ou « Jéhovah », forme d’un verbe « être ». Certains spécialistes estiment pourtant que l’hébreu emploie 2 verbes « être » : l’un, HaIaH, signifiant « naître, devenir, exister ».

Par exemple, « Dieu dit : Une lumière sera, et c’est une lumière » (Genèse 1, 3) ; ou lorsque Moïse demande son nom à Celui qui lui parle, il lui est répondu : « Je serai qui je serai ».

L’autre, HaVaH, sans lien avec HaIaH, et que l’on lit aussitôt après la citation qui précède : « Tu diras aux enfants d’Israël : Yahvé (= forme du verbe HaVaH), le Dieu de vos pères, m’a envoyé vers vous » (Exode 3, 14-15).

Ce verbe, exclusivement réservé à Dieu, exprimerait « l’Être en soi, l’Être par excellence ».

Toutefois on le trouve 6 fois employé pour un usage profane : Genèse 27, 29 ; Néhémie 6, 6 ; Ecclésiaste 2, 22 et 11, 3 ; Ésaïe 16, 4 ; Job 37, 6.

Pour la pensée juive, « le nom, c’est l’âme, c’est l’équivalent de la personne elle-même ».

Aussi ne pouvons-nous pas prendre le nom de Yahvé « en vain », c’est-à-dire pour « vide »,

« creux », « sans substance ». Progressivement, afin de ne pas risquer de profaner ce nom et par respect pour le Dieu Unique, les fidèles n’osèrent donc plus prononcer ce nom.

Plusieurs de nos versions le traduisent par « l’Eternel », un nom abstrait qui a permis « l’entrée par effraction de l’ontologie grecque dans la théologie biblique ».

Or « Yahvé » exprimait la totalité de la foi : en disant « Yahvé », je confesse qu’IL EST, et je ne peux rien ajouter d’autre…

Comment pourrions-nous savoir QUI Il est, alors qu’Il est « inconnaissable » ?

Tout ce que nous affirmons dans nos théologies est nécessairement et uniquement constructions humaines, et spéculations, faites de mots issus de l’esprit humain…et c’est ainsi que nous nous sommes fabriqué un Dieu à notre image !

Le Nouveau Testament nous a été transmis en grec pour une raison simple : dès la destruction du Temple, en 70 ap. J.C., les Juifs ont été dispersés dans un monde dont le grec était la langue commune et dominante. L’Évangile leur a donc été annoncé en grec, comme aux non-Juifs. Mais sa pensée reste profondément juive, et lorsque l’on a la possibilité de lire le Nouveau Testament dans sa traduction en hébreu, on découvre combien tous ses mots ont leurs racines dans l’Ancien Testament.

On a cherché à démontrer « l’Unicité de la Bible » : ce que l’on trouve au travers d’une telle traduction, c’est son unité toute simple et évidente, dans ces mots chargés de sens et d’Histoire.

L’hébreu n’a jamais été une langue morte, grâce à la fidélité des Juifs, et aujourd’hui, elle revit pleinement en Israël. Mais le grec, le latin, et toutes les langues des nations, nous ont fait perdre le contact avec le génie de la langue qui a donné au Monde la révélation du Dieu UN, de son Amour et de sa Grâce.

Que penserait-on d’un maître qui, chaque semaine, discourrait sur les textes d’une religion chinoise en se servant de la traduction en français d’une version anglaise, établie elle-même à partir d’une version arabe des textes chinois ? Cela ne paraîtrait guère sérieux…et pourtant, c’est, mutatis mutandis, ce que nous avons fait et faisons, sans trop de complexes, lorsque nous méditons les textes de l’Ancien Testament filtrés par le grec puis le latin (parfois canonique) pour aboutir à nos nombreuses et diverses traductions en français…

Espérons qu’un jour l’Esprit conduira les Églises à revenir à la Parole Seule, dans toute sa richesse, sa profondeur, et sa simplicité. Là se trouve peut-être l’un des chemins de l’Unité, et c’est ce à quoi ce modeste essai a tenté pour sa part de contribuer !

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Précisions

Peut-être trouverez-vous beaucoup de références à l’hébreu dans les pages qui suivent…

Ne pensez pas que « c’est de l’hébreu » ! Savants et laïcs retrouvent aujourd’hui tout l’intérêt de cette langue pour notre compréhension de l’Écriture.

J’ai personnellement, et sans ordinateur ! comptabilisé les occurrences des mots étudiés dans l’Ancien Testament. Ils donnent une indication sur la fréquence des mots concernés, et non sur leur valeur : un hapax, mot employé une seule fois, peut avoir une grande importance.

Les occurrences du Nouveau Testament sont celles indiquées par la Concordance de Sœur Jeanne d’Arc (Le Cerf), remarquable outil de recherche.

Une trentaine de versions de la Bible ont été confrontées pour cette recherche.

Celle d’André Chouraqui reste ma référence de base. Elle est en effet l’œuvre d’un lettré pour qui l’hébreu est la langue maternelle, ce qui lui permet de la sentir «de l’intérieur ». De plus, ses études rabbiniques lui donnent une connaissance approfondie de l’Écriture. Sa traduction suit exactement le texte hébreu, et, dès le départ, il a fait le choix d’une traduction unique de chaque mot important, ce qui permet au lecteur de faire le rapprochement entre des textes qui s’éclairent l’un l’autre.

Parmi les autres traductions, qui ont chacune leurs qualités, il convient de citer la Nouvelle Segond, Édition d’étude, parue trop récemment pour être intégrée à notre travail. C’est une traduction bien révisée, enrichie de notes précises et de notices pertinentes.

Dans un autre registre, la traduction « interlinéaire » grec-français du Nouveau Testament, réalisée par Maurice Carrez, permet une lecture aisée du texte original !

A signaler également la publication en fascicules de la Bible d’Alexandrie (la Septante), dont les notes sont d’une abondance et d’une richesse exceptionnelles.

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Remerciements

…à mes enfants Évelyne et Pascal, qui ont œuvré pour rendre ce travail présentable et en permettre la publication dans les meilleures conditions.

…à mon épouse Geneviève, pour nos 65 ans de mariage, ce 19 juillet 2006, et pour les innombrables matinées et soirées dont elle m’a laissé disposer afin d’étudier l’Écriture et d’avancer ce travail !

Pierre Joudrier,

Pasteur de l’Église Réformée de France

(en poste successivement à Livron, Epinal, Versailles, Annecy…)

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TABLE DES MATIÈRES

 

Chapitre I : LA PAROLE ET LE DIRE

Introduction

I- Analyse des 2 racines hébraïques DBR et ‘MR

Signification de Parole et Dire dans leurs emplois bibliques

II- Parler pour ne rien dire ?

Nous croyons que Dieu nous parle

Dire pour dire

III- Nécessité de l’incarnation de la Parole

Jésus est la Parole

Le témoignage des Apôtres

Conclusion

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Chapitre II : VERS UNE ÉCRITURE SAINTE

I- Le Dire prend figure

Les Dix Paroles

Inciser pour écrire

II- Une Écriture sainte ?

Lire pour entendre

Quand la Lettre tue

Conclusion : Vers une Écriture nouvelle

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Chapitre III : CRÉANCE ET FIANCE

Introduction

-Regard sur la catéchèse catholique

-Regard sur la catéchèse protestante

-Communes confusions.

Analyse des notions de Fiance et de Créance :

I- Richesse de l’Ancien Testament

-la racine ‘MN

-la racine BTH

-résumé de la recherche.

II- Appauvrissement dans les Deutérocanoniques

III- Profondeur du Nouveau Testament

-introduction

-Pisteuô chez Saint Jean

-Pisteuô dans les Synoptiques

-Pisteuô dans le Livre des Actes

-Pisteuô dans les Épîtres

-Peithô dans le Nouveau Testament

-Pistis dans le Nouveau Testament

Ouverture : La foi de Jésus

Conclusion

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Chapitre IV : LIBRE ou ESCLAVE

Introduction

-Le mot « liberté » en français

-De quelques incohérences

Analyse des termes bibliques :

I- Pas de « liberté » dans l’Ancien Testament

II- « Esclave » dans le Nouveau Testament

Approfondissement de la notion d’esclavage

III- « Libération, Salut et Rédemption » dans l’A.T.

Accomplissement de cette attente dans le N.T.

IV- Du rachat et de la Grâce

Le totalitarisme de la Loi

V- Une seule Parole !

« L’aimer » un nom verbal

Agapê : un nom à part

La voie par excellence

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Chapitre V : SIGNES, ou bien MIRACLES ET SACREMENTS

Introduction : Absence de miracle dans l’Écriture

-Exigences du signe.

-De l’invention du sacrement, ce signe

I- Analyse du « signe » dans les Écritures

-A- Le « signe » dans l’Ancien Testament

-Sêmeion, Dunamis, Téras, Thaumasios

-Approfondissement :

-De quatre « signes »

-D’une brassée de « signes »...

B- Le « signe » dans le Nouveau Testament

-Sêmeion, Dunamis, Téras, Thaumasios

-Approfondissement :

-Le mot « signe » lié à la personne de Jésus

-Présentation d’un « signe contredit »

-Signes négatifs, Signe et secret

Les « signes » sur le chemin de la foi.

-conclusion

C- Regard sur le « signe » dans le Coran

II- Analyse des notions de « Sacrement, Sacré, Sacrifice »

- Un sacré mystère

- Retour à l’origine du « sacré »...

- De l’inutilité des sacrifices..

III- Ouvertures

-De l’efficacité du « signe »

-Une question substantielle

-Pour poursuivre

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