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articles du N° 162 - Janvier 2003

( sommaire )

Le temps et nous

Il y a le temps qui nous est donné et le temps que nous donnons.

Le temps des horloges de nos maisons et des villes et celui de l'horloge céleste est mécanique et inéxorable.

Il ne tient pas compte des situations personnelles de souffrance et de joie, ni des circonstances. Est-il vraiment le même pour le détenu en prison et le malade à l'hôpital et pour les amoureux en « lune de miel » ou les passionnés de jeux ou de voyage ? Le temps que vivons parait long ou bref selon nos dispositions : insomnies ou amusements, joies ou déception, enfance et 4° âge.

Le temps que nous offrons aux autres, se quantifie difficilement. Une parole, un geste, une lettre, un appel électronique peuvent marquer nos interlocuteurs pour des heures ou des années. Soit pour ravager leur vie et leurs élans. Soit pour être un stimulant, un équilibre, une confiance, un dynamisme. La puissance d'un sourire, d'une main tendue, d'un don s'étend sur des distances inattendues.

Pour le croyant psalmiste, le Dieu qui nous aime et veille, persévère « 1000 ans, comme le jour d'hier » (Ps. 90/4). En Dieu et dans l'amour et la confiance, le temps s'évanouit comme mesure. Il est vaincu. Et aussi la mort qui est le signe permanent du temps, qui nous constitue et nous fait.

Après la croix, Jésus est affranchi des limites du temps des hommes. Selon sa promesse, sa présence se concrétise en chacun de nous « Je serai avec vous ».

Combien ferons-nous cette année 2003 de gestes, dirons-nous de paroles à valeur « incalculable », « éternelle » ?

Avec l'Esprit de l'Évangile, transformons le temps qui « attend » en temps qui « espère ».

La sagesse n'est-elle pas de vivre chaque jour comme s'il était le dernier de nos jours et plus encore, comme s'il était le premier ?...

Christian Mazel

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Voeux à nos abonnés et à nos lecteurs

Des rêves

Je vous souhaite des rêves

à n'en plus finir

et l'envie furieuse

d'en réaliser quelques-uns.

Je vous souhaite d'aimer

ce qu'il faut aimer,

et oublier ce qu'il faut oublier.

Je vous souhaite des passions.

Je vous souhaite des silences.

je vous souhaite des chants d'oiseaux

au réveil et des rires d'enfants.

Je vous souhaite de résister

à l'enlisement, à l'indifférence,

aux vertus négatives de notre époque.

Je vous souhaite surtout d'être vous.

Jacques Brel

Graine d'espérance

En nous, Seigneur, comme une graine

tu déposes chaque jour l'espérance

qui nous fait discerner,

dans la turbulence des évènements,

les signes du monde à venir.

En nous, comme une graine,

tu déposes chaque jour l'amour

qui nous fait travailler avec persévérance

pour que la joie soit distribuée

sans compter autour de nous.

En nous comme une graine

tu déposes chaque jour la foi

qui allume les lueurs obstinées

dans notre existence,

et qui permet d'entrevoir

les traits discrets de ton visage,

alors même que tout crie à ton absence

et que nous sommes tentés

de tout abandonner.

En nous, comme une graine, tu déposes tes dons !

Nous te remercions Seigneur,

pour cette graine semée.

Mais elle reste si petite, cette graine !

Et quand viennent les grands vents de la vie,

elle a du mal, la graine déposée,

à s'élever et à résister

à tous les courants contraires

qui tentent de l'étouffer.

C'est pourquoi, Seigneur,

augmente en nous l'espérance

augmente en nous l'amour

augmente en nous la foi !

Danièle Laot Caulmont

Parole de grâce

Dieu s'est donné le nom de Père afin que nous ayons le droit à celui d'enfant. Il nous a donné le nom d'enfant. Nous sommes des enfants devant lui et aussi devant nos frères. Enfants de misère et d'espérance, de caprice et de charme. Enfants en mal d'être aimés.

Rien ne peut nous séparer de l'amour du Père. Rien n'a séparé aucune de nos journées d'hier de cet amour et de ce pardon. Et rien, quoi qu'il arrive, ne séparera aucune de nos journées de demain de son amour et de son pardon.

Dès lors, cessons de nous sentir jugés, ou condamnés, ou menacés. Car Dieu a cassé tous les actes d'accusation légitimes ou illégitimes, qui sont dressés contre chacun de nous.

Dès lors, cessons nous-même de condamner, de juger ou de menacer ceux que nous côtoyons. Car Dieu fait lever son soleil sur les justes et les injustes. Et il donne sa grâce aux méchants comme aux bons.

Avançons ensemble dans la vie avec la tranquille sérénité des petits pauvres marchant sur de riches pelouses. Car les riches pelouses de la vie sont faites pour les petits pauvres. Et eux, les petits pauvres sont fait pour les riches pelouses de la vie.

Alain Houziaux
Paraboles au quotidien, texte lu aux Journées d'Agde 2002

Ce jour est un jour tout neuf

Il n'a jamais existé

et il n'existera jamais plus.

Prenez donc ce jour

et faites-en une échelle

pour accéder à de plus hauts sommets.

Ne permettez pas que la tombée du jour

vous trouve semblable

à ce que vous étiez à l'aube.

Faites de ce jour un jour unique, mémorable.

Enrichissez-le et, ce faisant,

enrichissez-vous

Ce jour est un don de Dieu.

Il n'est donc pas quelque chose d'ordinaire,

de fortuit

quelque chose qui va de soi.

Il vous est spécialement offert,

prenez-le entre vos mains

avec un sentiment de ferveur.

Swâni Chidânanda

La Vie

La vie est une chance, saisis-la

La vie est beauté, admire-la

La vie est un défi, fais-lui face

La vie est un devoir, accomplis-le

La vie est précieuse, prends en soin

La vie est mystère, perce-le

La vie est un hymme, chante-le

La vie est un combat, accepte-le

La vie est une aventure, ose-la

transmis par Micheline de Bieville

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Lucidité et espérance (Évangile de Jean, chapitre 2 versets 1 à 12)

Ce récit constitue « le commencement des signes de Jésus » (v.11) dans l'Évangile de Jean. En effet, le début de cet évangile est structuré autour d'une série de sept signes permettant à celui qui croit de discerner dès maintenant « la gloire » (v.11) encore secrète de Jésus. A la différence des évangiles synoptiques qui parlent « d'actes de puissance » pour désigner les miracles, Jean utilise le terme « signe » (un mot employé 17 fois dans cet Évangile) pour qualifier les actes de Jésus qui manifestent, dans la foi, sa messianité. Ces actes sont pour les disciples et pour les croyants des anticipations de sa victoire définitive sur la mort. D'ailleurs l'indication du « troisième jour » (v.1) évoque d'emblée la résurrection, celle de Jésus, mais aussi celle de Lazare (ch.11, v.6) qui est, précisément, le dernier des sept signes.

Une parole énigmatique

C'est jour de noce à Cana. Marie la mère de Jésus est parmi les invités. Elle sera mentionnée huit fois dans cet Évangile. Et notamment aux deux extrémités. Ici et lors de la crucifixion « Voici, ta mère » (ch.19, v.27). Or voilà, nous dit le texte, que « le vin vient à manquer » (v.3). On ne nous dit pas les raisons de ce manque. Mais ce qui est sûr c'est que la fête commence mal et que la fin de soirée s'annonce difficile. Constatant ce manque de vin elle va aussitôt vers Jésus pour lui dire ces simples mots : « Ils n'ont plus de vin ». Et Jésus lui répond : « Femme qu'y-a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n'est pas encore venue » (v.4).

Généralement on interprète cette phrase mystérieuse comme un agacement de Jésus. Mieux encore, cette dureté supposée du fils à l'égard de sa mère paraît dans l'ordre des choses. La femme devait en effet à l'époque se tenir en retrait dans une attitude de discrétion et de service. Et on conclue généralement que Marie n'a rien compris et donc que Jésus la rabroue. Pourtant, tout le reste du texte semble contredire cette interprétation reçue. En effet, si Jésus avait éconduit sa mère, Marie serait retournée dans l'ombre et le silence. Or elle poursuit sa démarche. Et après ce bref échange avec son fils, elle donne aux serviteurs cette consigne bourrée de confiance « Quoi qu'il vous dise, faites-le » (v.5). Comme si elle avait discerné avant tout le monde que « l'heure » du premier signe « était venue » (v.4). L'« heure » est un motif que l'on retrouve souvent chez Jean (ch. 7, v.30, ch. 8, v.20, ch. 12, v.23, ch. 13, v.1, ch. 17, v.1) pour désigner le temps de sa glorification qui est d'abord celui de sa mort sur la croix.

Un constat lucide

Ainsi la foi exemplaire de Marie va s'exprimer, se tendre, se construire entre ces deux paroles qui se complètent et se répondent. D'un côté un constat « ils n'ont plus de vin », et de l'autre cet ordre simple et confiant « quoi qu'il vous dise, faites-le ». Ainsi la foi ne rend pas aveugles ou inconscients, elle ne berce pas d'illusions, elle ne dispense pas d'analyses réalistes des situations. Au contraire, à la suite de Marie - dont l'une des étymologies signifie la voyante, la visionnaire, elle rend encore plus vigilants et clairvoyants, elle aiguise même le regard pour démasquer et combattre ce qui désespère notre quotidien. Mais une fois ce constat posé, Marie n'en reste pas là. La foi n'est pas seulement lucidité et courage clairvoyant, elle est aussi confiance et assurance. Et si Marie sent bien le désespoir de la situation, elle connaît aussi, avant tout le monde, l'espérance qui est en Christ. C'est même cette confiance qui rend l'obeissance possible. C'est pourquoi, se tournant vers les serviteurs, elle leur donne cet ordre auquel ils obéissent « quoi qu'il vous dise, faites-le ». Ici est résumé l'archétype de la foi. Une foi lucide qui prend au sérieux la réalité, mais qui croit aussi qu'au coeur même de nos manques peut venir se loger l'espérance de Dieu. Ainsi Dieu ne veut pas de convives qui ont le vin triste, qui croulent sous le poids des souffrances du monde et pleurnichent sans cesse sur les misères de l'Église. Il ne veut pas davantage des convives euphoriques qui oublient artificiellement dans une sorte d'ivresse religieuse des dures réalités de l'histoire. Il veut jusqu'au bout des convives lucides, courageux et confiants qui seuls pourront être des témoins d'espérance.

L'œuvre secrète de la grâce

Et la fin de l'histoire montre d'ailleurs, non sans humour, la plénitude de cet espérance. Car le vin nouveau vient non seulement combler la soif des convives, mais encore au-delà de toute attente. D'abord en quantité : six jarres de deux à trois mesures, sachant qu'une mesure fait quarante litres, cela fait 720 litres, c'est donc considérable ! Mais en plus, souligne le texte, c'est un vin de qualité supérieure au point que cela étonne. « Tout le monde sert d'abord le bon vin dit l'organisateur au marié, et lorsque les convives sont gris, on fait servir le moins bon ; mais toi tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant » (v.10). comble de l'humour de Dieu : celui qui est publiquement félicité pour sa générosité, c'est celui qui n'y est pour rien, qui ne sait rien et qui sans doute comprend rien à ce compliment. Par contre à celle et à ceux qui ont contribué au miracle, il n'est rien dit et eux non plus ne disent rien. C'est cela, la grâce de Dieu ! Un cadeau immérité, offert en secret à chacun, mais rendu visible par le service et la prière anonymes d'humbles serviteurs. Telle est la part qui revient aux croyants, oeuvrer et prier pour que la grâce soit reçue et vécue au coeur de ce monde, en sachant qu'à vues humaines, ils ne seront pas forcément payés de retour. Mais il leur restera la joie imprenable d'avoir fait couler en abondance le vin de la promesse.

Voilà bien un texte pour entrer dans l'année nouvelle avec lucidité et espérance.

Michel Bertrand

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Divisés afin que le monde croie
Un slogan oecuménique

Depuis les débuts de l'oecuménisme, les partisans d'une unification des Églises ne cessent de citer la parole de Jésus dans la prière dite « sacerdotale » (Jn 17, 21) : « qu'ils soient un afin que le monde croie ». Et ils commentent : « la division des chrétiens est un scandale qui détourne beaucoup de gens de l'Évangile. Notre témoignage serait bien plus fort et aurait de meilleurs résultats si nous formions une seule et même Église ». Ce discours a pour intention et effet de culpabiliser. La diversité chrétienne et la pluralité des Églises seraient une faute contre l'amour fraternel, une désobéissance au souhait ou au commandement du Christ, et un obstacle dans l'accomplissement de la mission évangélisatrice. Elles seraient responsables, au moins en partie, de la sécularisation de notre monde et de l'incroyance répandue parmi nos contemporains.

Ces propos, tenus en toute bonne foi et avec une sincérité que je ne mets pas en doute, ne sont ni justes, ni sérieux.

Citer à bon escient

D'abord, ils font une utilisation abusive de paroles de Jésus. Ils en détournent et en tordent le sens. Souvent, en général sans s'en rendre compte (ce qui n'excuse rien, ni ne légitime ces interprétations), on « sollicite » des textes bibliques pour les appliquer à des situations contemporaines sans rapport avec celles où ils ont été écrits. Déjà dans le premier article que, jeune pasteur, j'ai écrit dans « Évangile et Liberté » (c'était en 1966), je signalais que ces paroles de Jésus n'ont rien à voir avec l'unité des Églises. Pour s'en apercevoir, il suffit de les lire dans leur contexte. Ce n'est pas leur appartenance à une Église unique qui fait que les disciples sont « un », mais leur commune référence à la « Parole ». Il s'agit d'être « en Dieu » et « en Christ », et non à l'intérieur d'une seule et même organisation paroissiale ou dénominationnelle.

Ensuite, les faits démentent que la division des chrétiens entraîne directement et nécessairement la stagnation, voire le recul du christianisme. On ne peut pas établir un lien de cause à effet. Au contraire, on constate que l'unité ecclésiale loin de contribuer au rayonnement de l'Évangile lui a, en général, nui. Elle n'a pas donné de la force à la proclamation du message chrétien, elle a plutôt contribué à ce qu'on ne lui accorde pas une grande attention, voire qu'on s'en détourne.

Aux origines de l'Église

Ainsi dans ses débuts, le christianisme a été divers et divisé. Ses différents courants polémiquaient durement les uns contre les autres. On en a des traces dans les épîtres de Paul où l'apôtre ne manifeste pas beaucoup de compréhension ni de tolérance pour ses adversaire. L'esprit d'entente oecuménique lui est étranger, et il n'en donne pas un modèle. Il n'en a pas moins converti beaucoup de gens, et il a fortement contribué à répandre l'Évangile. On peut en dire autant de Jean ou de Pierre. Comme l'écrit G. Riley dans un livre remarquable « Un Jésus. Plusieurs Christs » (compte-rendu dans notre numéro de novembre), les premiers « missionnaires chrétiens qui partirent prêcher l'Évangile » avaient des conceptions « certes intelligentes et défendables mais contradictoires... Cela n'empêcha pas le christianisme de s'imposer dans le monde romain » (p.13). Le pluralité a constitué un atout et non un handicap. Elle a permis de présenter l'Évangile dans un langage et sous des formes adaptées à des gens dont les cultures, les traditions et les orientations étaient très différentes, parfois divergentes. Cette première chrétienté aux prises avec de fortes et de nombreuses luttes internes a été rayonnante. Quand au troisième siècle son officialisation par l'empereur a conduit (malgré la résistance de quelques-uns) à unifier son organisation sous la direction de l'évêque de Rome, et à définir une doctrine commune (ce qu'ont fait les conciles des quatrième et cinquième siècles), elle a cessé d'attirer à elle, ou, plus exactement, elle a conquis de nouvelles populations non plus par la persuasion, mais par la force (celle des armes, celle de la puissance économique, celle du prestige des idéologies dominantes).

La situation contemporaine

Aujourd'hui en Occident, c'est aux États-Unis d'Amérique que les Églises se remplissent le plus et que la pratique est la plus forte. A tel point que les sociologues parlent de « l'exception religieuse américaine ». En Europe, partout la modernité a entraîné un recul important du religieux. Il n'en va pas de même aux U.S.A. Or, c'est aussi le pays où l'on trouve le plus de dénominations différentes et où le christianisme paraît le plus émietté. Il n'est pas rare que dans de modestes bourgades, cinq ou six églises différentes se côtoient. Par contre, là où une Église domine massivement et où le christianisme peut paraître fortement uni, à quelques dissidences minimes près, la sécularisation et l'athéisme se sont fortement développés. On le constate, pour citer quelques exemples parmi beaucoup d'autres, dans la Scandinavie luthérienne, ainsi que dans la France, l'Espagne, ou au Québec catholiques.

L'explication de ce phénomène, Adam Smith (1723-1790) l'avait déjà bien vue. Quand il y a une seule Église, celui qui entre en conflit avec elle sur un sujet quelconque, ou qui est en désaccord avec tel ou tel point de son enseignement et de ses orientations, n'a pas beaucoup de choix : ou il y reste, un peu malgré lui, et son malaise intérieur l'incite à ne pas trop s'y engager ; ou il s'en éloigne, rompt avec elle et la quitte. Dans les deux cas, il n'a plus de lieu où entretenir et cultiver ses convictions religieuses et où pratiquer la forme de piété qu'il affectionne. Bien souvent, il en résulte un affaiblissement de la pratique religieuse, parfois suivi par une complète disparition. Par contre, là où existent de nombreuses Églises, l'insatisfait a des chances d'en trouver une qui lui convienne (ne fût-ce qu'à peu près), qui lui permette d'alimenter et d'approfondir sa foi. Le monopole ou l'exclusivité d'une forme de religion enferme dans une solution unique à accepter ou à rejeter, alors que la diversité offre un éventail de possibilités alternatives.

Quand dans une rencontre oecuménique, catholiques, orthodoxes et protestants disent la même chose, un ennui profond s'empare des auditeurs. Ils se disent satisfaits, mais au fond cela ne les touche guère. Au contraire quand des différences s'expriment, quand une discussion s'engage, souvent ils sont vivement intéressés, et se sentent concernés par ce qui est en débat. Certes, et ils ont bien raison, ils répugnent à ces joutes (trop fréquentes dans le monde politique) où chacun cherche à démolir par n'importe quel moyen l'adversaire. Mais quand les interlocuteurs s'écoutent, se respectent mutuellement, tiennent compte de ce que l'autre dit, alors les désaccords favorisent la réflexion, stimulent les énergies et suscitent une recherche spirituelle beaucoup plus qu'une fade, endormante et souvent frustrante unanimité.

Unité et union

Laurent Gagnebin a souvent et justement souligné que les échecs et impasses de l'oecuménisme viennent de ce que l'on a confondu union et unité. L'idéal latin de l'unité a un aspect dictatorial. Il nie ce que la diversité a de légitime, et il n'admet un juste exercice de la liberté que dans les étroites limites d'un « théologiquement correct » dont le contenu varie d'ailleurs : il n'est pas le même pour les catholiques, les orthodoxes, les protestants, les traditionalistes et les modernistes. A l'opposé, le communautarisme, cher aux anglo-saxons, qui donne une grande valeur aux particularités de chaque famille religieuse, risque de fragmenter la chrétienté en de multiples groupes sans rapport les uns avec les autres. Les modèles fédératifs, dans le domaine ecclésial comme politique, ont le mérite de vouloir (sans toujours y réussir) établir une union qui ne soit pas une unité. L'union consiste à vivre, à penser, à agir en concertation les uns avec les autres, à établir des réseaux d'échanges et de collaboration en respectant les diversités. Aimer son prochain ne signifie pas annuler ce qui le distingue de nous, mais y être attentif, respecter sa différence, en tenir compte. Ce n'est pas la division qu'il faut stigmatiser et qui s'oppose à l'esprit du Christ, c'est le conformisme dominateur et le conflit haineux (l'un entraîne souvent l'autre).

Quel est le témoignage le plus juste et le plus fort à l'Évangile ? Avoir une seule organisation ecclésiastique, une même dogmatique, des rites identiques ? Ou savoir s'écouter et débattre ensemble dans un respect mutuel alors que croyances, opinions et pratiques ne concordent pas ? Dans le monde d'aujourd'hui, qu'est ce qui va frapper le plus les gens ? Que nous soyons tous un, semblables, coulés dans le même moule (comme dans les sectes ou les partis totalitaires de naguère) ou que divisés nous sachions vivre paisiblement et activement ensemble, différents certes, mais néanmoins profondément et amicalement liés ?

André Gounelle

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De l'éthique médicale à la bioéthique

Christine Durand-Leis, théologienne, est aumônier des hôpitaux, auprès de personnes agées, souvent très atteintes. Elle accompagne les malades, les familles et les soignants. A l'hôpital elle fait partie d'un groupe de réflexion éthique : soins et pluriculturalité, soins et défis économiques, arrêt Perruche, dossier médical et secret. Pourquoi toute cette activité autour de l'éthique ?

Tout se passe aujourd'hui comme si toute intimité se trouvait abolie dans les établissements de soins : nous y sommes spectateurs du secret d'autrui, de la douleur de l'autre. Nous sommes à chaque fois, face à la fragilité des corps des patients, en présence d'une énigme, celle d'une personne qui habite ce corps malade, souffrant, complètement défait par le grand âge.

Quelque chose de soi, d'inconscient, se dit par ce corps : une vérité de la personne, de sa vie, de son histoire. Que se passe-t-il quand le corps est devenu tellement pauvre que la communication devient quasiment impossible. Certains parlent alors de « vieux bébés », voulant exprimer par là le caractère irréversible de cette descente vers d'où l'on vient.

Il s'agit de bien nommer les choses. Que signifie parler d'euthanasie, de dignité ? Ne s'agirait-il pas seulement de notre capacité, ou notre incapacité, à assumer les variations de l'autre ? Peut-on juger de la dignité ou de la déchéance de quelqu'un ? Peut-on dire si la vie vaut le coup d'être vécue, ou non ? C'est la grande question de l'éthique. Pourquoi tout ce mal ? C'est au fond la grande question de Job.

Par rapport à toutes les découvertes actuelles, les avancées éthiques nous conduisent à un saut qualitatif. Nous sommes acculés à des choix sur des choses qui n'ont encore jamais été pensées : la Bible peut-elle encore être questionnée, comme texte fondateur, texte de référence pour penser les problèmes éthiques de notre temps ?

Pour Didier Sicard, médecin hospitalier, président de la Commission nationale d'éthique, la réflexion éthique actuelle est souvent dérisoire, telle qu'elle est évoquée par les médias autour de questions spectaculaires (mères porteuses, clonages, grossesses avec multiplicité de père et de mère, etc...). Tout cela relève de la science fiction et nous éloigne en fait du sujet.

Paradoxalement, les progrès actuels de la science s'accompagnent d'un sentiment croissant de peur. Comme si la lecture de ces progrès était de plus en plus angoissée, donnant une vision permanente de risques devenus insupportables.

On peut croire que le progrès scientifique procure une plus grande maîtrise sur les choses, mais il faut surtout prendre conscience que l'on maitrise en fait peu de chose, ce qui peut accroître angoisse et peur. Y a-t-il un moyen spirituel pour répondre à cela ?

Nous sommes dans un monde où l'on croit pouvoir exiger qu'un enfant naisse normalement. Mais en même temps le nombre d'enfants handicapés à la naissance augmente, parce que les naissances sont plus tardives, et les risques de plus en plus grands. Ainsi, des performances médicales conduisent à « sauver » de futurs handicapés en prolongeant des grossesses qui, jadis, n'auraient pas abouti. Une recherche de normalité se contredit avec une recherche de performance.

Nous assistons à un reours croissant à la médecine considérée comme une sorte de prothèse vitale : seule la vérité de la médecine finit par imposer sa force. « Le corps finit par ne plus exister que par ce que la médecine en dit. On assiste à une exclusion de soi au profit de paramètres qui ne disent pas grand chose de l'être. La médecine agrippe le corps et le maintient dans ses serres. La médecine s'impose comme une sorte de béquille permanente pour vivre ».

Comment penser la recherche médicale en référence au spirituel ? En revenant à des choses extrêmement simples. La vie d'un individu n'est intéressante que dans la mesure où il peut entrer en relation avec d'autres. Le corp n'a d'intérêt que dans la mesure où il permet la relation à l'autre.

Ce qui est donc inquiétant dans la recherche actuelle de « bonne santé », c'est la centration sur soi-même dans une volonté de « réparation » obsessionnelle qui exclut, en fait, l'autre.

« Comment le progrès exile-t-il l'homme ? » C'est la question la plus importante. Le futur d'une humanité digne de ce nom, c'est de remettre le corps à sa juste place.

« Personne n'a jamais vu Dieu » disait France Quéré. Bientôt on dira peut-être : « Personne n'a jamais vu l'homme », parce que l'on aura oublié l'essentiel : l'acceptation de notre finitude et l'acceptation de la relation à l'autre sans laquelle aucune vie n'a de sens.

En réponse a des questions sur : la difficulté à discerner le bien du mal, l'emprise de la médecine sur le patient et l'impossibilité, pour celui-ci, d'avoir la maîtrise de sa santé, Didier Sicard insiste à nouveau sur les excès de la maîtrise de la médecine, sur le corps qui finit par créer l'obsession d'une menace liée à quelque chose d'anormal qu'il faut sans cesse dépister.

Au sujet de la pluralité des convictions éthiques des membres du Comité consultatif natioanl d'éthique : comment exercer un discernement sans tomber dans un consensus mou ? Dans sa réponse, Didier Sicars souligne que personne, dans ce comité, n'est dépositaire d'une parole reliée à un mandat, chacun est libre. Cela crée une capacité à faire surgir une parole collective qui dépasse les convictions individuelles.

Un état peut-il adopter une position éthique si les autres ne l'adoptent pas ? Didier Sicard se réfère au discours habituel de la recherche : « si on ne le fait pas, les autres le feront », disant que c'est une naïveté de penser que toute recherche est profitable.

Pierre Choupaud

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Faites cela en mémoire de moi
Libre exégèse d'un texte du Nouveau Testament
1 Corinthiens 11/24

Si on a pu contester l'historicité d'un tel ordre que Marc, Matthieu, voire Luc ignorent et Jean tout à fait, on n'a jamais mis en doute sa portée institutionnelle. Or rien de moins sûr pour peu que l'on examine de près cet énoncé.

D'abord on remarquera que l'injonction est faite à l'impératif et non au futur. Ce qui serait normal s'il s'agissait soit de simples prescriptions d'ordre moral, soit d'exécutions de gestes prenant sens au moment même où ils sont ordonnés. Mais on en est loin ici puisque les actes demandés sont censés donner naissance à une pratique rituelle dont il est attendu qu'elle rappelle un événement encore à venir. Dans les deux cas le futur serait de mise, comme il en va dans la Bible lorsque les lois sont d'ordre sacrificiel ou visent l'instauration comme ici de processus commémoratifs. Des textes comme Ex. 12/14, 13/9, 29/35, Nb. 15/11-13, Dt. 25/9 en font preuve.

Sans doute n'est-il pas indifférent que l'impératif en question soit au présent et non à l'aoriste. Car à la différence du second le premier permet d'exprimer l'idée de répétition. Ce qui a conduit certaines traductions comme celle de « Monde nouveau » à opter pour cette formulation : « Continuez à faire ceci en mémoire de moi ». Mais une telle interprétation ne s'impose pas car, pour être avérée en grec classique, cette signification de l'impératif présent est loin d'être toujours respectée dans le NT et en particulier par Jésus qui peut employer deux impératifs à la suite au présent et à l'aoriste sans que l'on puisse trouver une raison particulière à cette juxtaposition, comme en Mt. 23/3. D'ailleurs, si cette particularité grammaticale devait être prise au pied de la lettre, la mission confiée par le Ressuscité aux disciples n'aurait aucun caractère durable, puisque exprimée au seul impératif aoriste. (Mt. 28/19).

Au reste, quand bien même cette idée de répétition serait présente dans cet emploi de l'impératif, la question du non-emploi du futur resterait entière. Car ce qui est visé par ce rite ce n'est pas tant le maintien d'une situation que son renouvellement. Les disciples n'en sont pas au premier chef les bénéficiaires mais les mandants. Ainsi sont-il invités à faire tout autant qu'à faire faire. Une raison supplémentaire donc pour Jésus d'user ici du futur.

Tout aussi étrange est d'ailleurs l'emploi par lui du démonstratif « cela » (« touto ») à la place du « ceci » (« tode ») attendu ou plus approprié encore de l'adverbe « ainsi » (« autôs/autô »). Car avec lui on est bien loin de la précision qui sied aux pratiques rituelles et s'il renvoie bien à ce qui vient d'être énoncé, il n'en donne aucune lecture valorisante. D'ailleurs les faits qu'il est censé viser sont eux-mêmes déficients. Ainsi se résument-ils dans la version paulinienne de 1 Co. 11/23s à ces trois gestes de Jésus : Il prit du pain, rendit grâce et le rompit. Rien qui indique qu'il soit donné aux disciples et que ceux-ci en mangent. Il en est de même pour la coupe dont il n'est même pas dit que Jésus la prenne en main et qu'un quelconque usage en soit fait.

Ce que laisse pourtant supposer le v. 26 avec sa mise en garde : « chaque fois que vous mangez ce pain et vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne ». Mais on voit bien que ce n'est plus Jésus qui parle mais Paul ou la tradition qu'il cite. Car on est passé de la première à la troisième personne. Ce qui prouve certes l'ancienneté de l'interprétation classique de cette parole de Jésus mais pas forcément sa signification d'origine.

Reste que cette interprétation a pu s'appuyer sur le : « chaque fois que vous boirez » du v. 25 où Jésus dit pour la seconde fois : « faites cela en mémoire de moi ». Mais comment l'entendre ? Le contexte même interdit que l'on y voie une allusion au vin de la coupe jamais mentionné et plus encore qu'on en tire la conclusion que, chaque fois que l'on boit, il faille le faire en se souvenant de Jésus. Il faut en déduire que cette allusion n'émane pas de lui et que l'on se trouve devant une glose ultérieure permettant de justifier par Jésus lui-même l'absence de vin lors de la célébration de certaine cène. Préoccupation qu'il est bien difficile de prêter au Christ au moment de son dernier repas !

Il ne se soucie pas d'ailleurs des moyens à utiliser, qu'il ne cite jamais, mais seulement de leur destination qui est sa mémoire. Ce qu'il faut entendre en son sens premier, car le texte dit bien : « en ma mémoire » (« eis tèn emèn anamnèsin ») et non : « en mémoire de moi » qui se dirait en grec : « eis tèn anamnèsin mou ». Il s'agit donc bien de la mémoire dont Jésus est le sujet et non celle dont il est l'objet. Ce qu'a bien vu un exégète comme Xavier Léon-Dufour, même s'il juge cette signification à rejeter à cause du contexte.

Il est vrai que prêter à Jésus une telle intention peut sembler absurde et déplacé. Rien de plus normal à l'heure où il sait qu'il va mourir qu'il enjoigne à ses disciples de se rappeler de lui et tout spécialement de sa mort pour eux. D'ailleurs, à plusieurs reprises déjà, il l'a fait et le geste qu'il leur demande maintenant n'a rien qui puisse étonner.

Pourtant il faut bien voir qu'une telle demande vise une mort encore à venir. Il ne s'agit pas pour les disciples d'en rappeler déjà le souvenir mais de l'anticiper en quelque sorte, comme si c'était eux qui en décidaient. Et telle est peut-être la raison pour laquelle Jésus attend d'eux ce geste. Pour qu'il puisse aller jusqu'au bout de sa souffrance, de son sacrifice et que sa mort même lui apparaisse dictée par les siens pour qui il est prêt à donner sa vie. Ce qui pourrait expliquer pourquoi il leur a dit : « faites cela pour que je m'en souvienne ».

François Planchon

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Si le monde était un village de 1000 habitants...

Il serait habité par : 584 asiatiques, 124 africains, 95 européens, 84 sud américains, 55 russes et anciennes républiques soviétiques, 52 nord américains, 6 polynésiens.

Il y aurait : 329 chrétiens (parmi lesquels 187 catholiques, 84 protestants, 31 orthodoxes), 178 musulmans, 167 sans religion, 60 boudhistes, 45 athées, 32 hindous, 3 juifs, 86 autres religions.

Parmi d'autres langues, les habitants du village parleraient : 165 mandarins, 86 anglais, 83 hindous/ourdou, 64 espagnols, 58 russes, 37 arabes. Cette liste ne comprend que les langues maternelles de la moitié du village. L'autre moitié parle (par ordre décroissant) le bengali, le portuguais, l'indonésien, le japonais, l'allemand, le français et 5000 autres langues.

Population, santé et éducation

1/3 des habitants du village mondial sont des enfants et seulement 60 ont plus de 65 ans. 50 % des enfants sont immunisés contre les maladies évitables telles que la varicelle ou la poliomyélite. moins de 50 % des femmes mariés ont accès ou utilisent des moyens de contraception. Environ 1/3 des personnes ont accès à l'eau potable. Parmi les 670 adultes, 50 % sont analphabètes. Cette année, il y aura 28 naissances, 10 décès, dont 3 seront provoqués par la famine et 1 par le cancer. Parmi les décès, on comptera 2 bébés ayant moins d'un an. Parmi les 1000 habitants du village, 1 sera infecté par le HIV. Cette personne n'aura pas encore développé de maladie provoquée par le syndrome immunodéficitaire. Avec 28 naissances et 10 décès, la population du village comptera 1018 habitants l'année prochaine.

Environnement et économie

Dans cette communauté de 1000 habitants, 200 personnes bénéficieront de 80 % des revenus ; les 800 autres recevront seulement 20 % des revenus.

Parmi 1000 habitants, 70 personnes possèderont une voiture (bien que parmi ces 70 personnes, certaines possèdent plus d'un véhicule).

Le village dispose de 3 hectares par personnes, au total 3000 hectares, dont 350 hectares sont destinés à l'agriculture, 700 hectares sont destinés au pâturage, 950 hectares sont boisés, 1000 hectares sont des déserts, toundra, surfaces pavées ou autre terre en friche.

Le village utilise 83 % des fertilisants pour 40 % de ses cultures, propriétés des 270 personnes les plus riches et les mieux nourries du village. L'excès de ces fertilisants pollue l'eau des lacs et des puits.

Les autres 60 % des cultures, fertilisées avec les 17 % restant de fertilisant, produisent seulement 28 % de la nourriture mais nourrit néanmoins 73 % de la population. Le rendement moyen de grain récolté sur cette terre, représente 1/3 de la moisson réalisée par les riches villageois.

Parmi les 1000 habitants de ce village, on compte 50 soldats, 7 professeurs, 1 docteur, 3 réfugiés de guerre ou fuyant la famine.

Le village génère un budget global (secteurs public et privé) annuel de 3 millions de dollars américains, 3 millions de dollars dans le cas d'une distribution équitable (ce qui n'est pas le cas). Sur ces 3 millions USD : 181000 $ sont utilisés pour l'armement ou la guerre ; 159000 $ sont utilisés pour l'éducation ; 132000 $ sont utilisés pour la santé.

Le village a concentré suffisamment d'engins nucléaires pour être rayé de la carte.

Cet arsenal est sous contrôle de 100 personnes. Les autres 900 personnes les observent dans une grande anxiété, se demandant si elles apprendront un jour à cohabiter et si elles y arrivent, si elles ne finiront pas par être victimes d'un désastre nucléaire provoqué par inattention ou par un dysfonctionnement technique, ou encore, si elles parvenaient à désactiver les armes nucléaires, où dans le village mondial pourraient-elles jeter les composants radioactifs ?

Resurgence n°170. Social Trends n°68. Mission n°124

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Tout à gagner dans l'œcuménisme !

Pourquoi rester protestant ?

La phrase relève de la « ferme protestation »

Chaque confession pourrait en dire autant. Un excellent sujet pour les groupes oecuméniques. On y découvrira vite combien l'on se connaît soi-même aussi mal que l'autre, et combien variées sont les raisons de notre attachement. Restons ici dans l'argument théologique.

1er argument

Etre protestant, c'est déjà être catholique et oecuménique ! Etre oecuménique n'est pas être pro-catholique romain. C'est confesser l'Église universelle (ou sa catholicité) par-delà les frontières du temps et de l'espace de la culture et des expressions de foi. Elle est communion des saints - ces croyants « en Christ » - et communion aux choses saintes3, la Parole et les sacrements. Elle se réfère au « tout » de la foi. Objet de foi, ce « tout » comme le Christ, n'est jamais maîtrisable, par aucun rite, aucune dogmatique, aucune institution. Cependant, les assemblées de fidèles le rendent présent et en témoignent dans l'espace et dans le temps. Catholicité et oecuménicité, le protestant peut donc les revendiquer sans honte. Ces deux dimensions sont dans les gènes de sa théologie. Pas plus catholique qu'un protestant donc, mais il n'est pas romain ! Reste à savoir comment nous rendons visible et traduisons dans les faits cette dimension de l'Église que nous confessons.

2e argument

La méthode du consensus différencié.Le terme, barbare, exprime en concentré une compréhension de l'unité de l'Église qui ne soit pas ralliement à l'autre ou de l'autre. Beaucoup pensent encore « si je m'explique clairement, l'autre devrait se rallier à ma vérité » (moyennant éventuellement quelque aggiornamento).Si être bien dans sa foi et vouloir la partager est légitime, le consensus différencié oecuménique précise ce sens : s'expliquer, non pour rallier l'autre, mais pour se reconnaître mutuellement. Il est d'une grande exigence. Là, le protestantisme a l'avantage. Sa théologie lui permet de reconnaître l'autre comme étant authentiquement l'Église du Christ quand l'Évangile de la grâce seule y est prêché, le baptême et la cène correctement administrés. Le catholique et l'orthodoxe, avec leur compréhension de l'Église, sont handicapés. L'anglican est entre-deux. Mais sur le plan humain, les points sont partagés. Car le consensus différencié est aussi en état d'esprit : approfondir la connaissance les uns des autres, s'expliquer, se concerter, voilà qui n'est pas la seule mission des théologiens !

3e argument

Aptitude ecclésiologique au débat, à la conversion, à l'ouverture. Semper reformanda, toujours en réformation. Voici un principe qui, malgré sa difficile pratique, a l'avantage de poser en fondement une nécessité d'écoute toujours nouvelle du Christ. A travers les Écritures d'abord, à travers les autres ensuite : ceux qui nous ont précédés, ceux qui confessent Jésus-Christ, ceux qui ont soif de Bonne Nouvelle. Le semper reformanda concerne aussi les Églises, pas seulement les personnes4. Il est l'une des expressions de l'oecuménisme protestant (pléonasme !). Le sacerdoce universel allié à la culture minoritaire a développé dans le protestantisme une richesse du débat et une gestion de la liberté, responsable de la foi et de l'engagement. Les écueils ne sont pas toujours évités, mais le principe est là. Ainsi se forge et s'éclaire la conscience de chacun, avec la conviction qu'aucun spécialiste ou ministre ordonné ne peut supplanter le Saint Esprit qui "illumine" dans les coeurs la Parole de Dieu.

Tout cela inscrit dans les « gênes ecclésiastiques » du protestant français, le refus du sectarisme qui prend la partie pour le tout (par exemple : « mon Église, c'est l'Église »). Le gène est parfois récessif, mais il finit toujours par réapparaître.

Finalement

On pourrait poursuivre et montrer qu'avec sa théologie de la création, de l'Alliance, de l'Esprit et de la sanctification, le protestantisme a de nombreux atouts pour jeter des ponts entre confessions et avec notre société, tout en restant lui même. « Les protestants ont tout à perdre dans l'oecuménisme », m'a-ton dit. Au contraire, tout le porte à un oecuménisme positif et d'autant plus serein qu'il sait que sa foi n'est pas son oeuvre ! Mais alors que je suis si bien « dans mes baskets protestantes », quelle joie de rencontrer d'autres expressions de foi, de s'enrichir mutuellement, de se laisser interpeller, de prier et de servir ensemble, de travailler à rendre visible cette unité de l'Église dans sa catholicité, signe de la réconciliation en Dieu.

Gill Daudé

3 Deux sens de l'expression latine, qui est au neutre.

4 Voir le document des Dombes sur La conversation des Églises mais aussi le sociologue J.P. Willaime. L'ultramodernité sonne-t-elle la fin de l'oecuménisme ?, revue « Recherches de sciences religieuses », 89/2 p 201.

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Choix de livres

LA GALETTE ET LA CRUCHE (Prières et célébrations) 3° tome. Antoine Nouis, Editions Réveil Publications (B.P. 4464, Lyon 69241 cedex 04) - 159 pages 18x24 - 16 E.

Nous nous réjouissons de la parution d'un troisième livre d'excellents textes liturgiques du pasteur A. Nouis. Comme les 2 publications déjà parues, ces textes frappent les lecteurs et les auditeurs par leurs caractères poétiques, imagés ou narratifs. Illustrations de la parole, ils stimulent l'imagination et la mémoire. Ce livre maniable avec de bons caractères d'imprimerie sera utile. "Le but de la liturgie est la mémoire. La démarche liturgique est d'écouter le commandement de mémoire". Chapitres : ouverture, méditation, louange repentance, déclaration de pardon, confession de foi, illumination, intercession et envoi.

Christian Mazel

ÉCOUTE... C'EST NOËL (Narrations bibliques), R. Gossin, E. Parmentier, P. Prigent, B. Schaller, E. Stussi, E&T. Wild, Editions Bergers et Mages - 222 pages 14x22 - 19 E.

28 courtes narrations reprennent, sous forme d'histoires racontées, des textes de l'Ancien Testament sur la naissance de Jésus. Ces recits imaginés reprennent des passages de l'Exode, des prophètes, surtout des 2 Évangiles de l'Enfance et d'une épitre de Paul. Chaque narration est accompagnée de brèves notes exégétiques justificatrices de cette interprétation au premier degré.

Christian Mazel

FIGURINES LIBRES DU PROTESTANTISME R. Gossin, E. Parmentier, P. Prigent, B. Schaller, E. Stussi, E&T. Wild, Editions Réveil Publications - 152 pages 15x22,5 - 15 E.

Ces récits présentent de grandes figures de l'Histoire et du protestantisme avec leur foi qui hésite et résiste, traverse les frontières, pousse à la révolte et proclame l'espérance. La réforme de Josias (VII°s. av. JC), Martin, Lucas Manu et Zaza face à l'image religieuse, la foi qui batit des temples, Jean-Sébastien Bach en 1760, la cévenole Pécale en 1760, le visiteur de Jean-Frédéric Oberlin, Tonton Tom colporteur baptiste en Bretagne au début du siècle, l'Église brune et la déclaration de Barmen en 1933, Albert Schweitzer.

Christian Mazel

THÉORIES DE LA RELIGION Pierre Gisel, Editions Labor et Fides, diffuseur en France et en Belgique Sofedis - 416 pages 16x22,5 - 32 E.

Ouvrage collectif qui propose un état des discours sur le phénomène religieux aujourd'hui. Grande variété de bons théologiens : Jan Assman, Ulrich Barth, Carmen Bernand, Pierre-Yves Brandt, Philippe Borgeaud, Raphaël Célis, Ingolf Dalferth, Jean-Marc Ferry, Volkhard Krech, Michael Stauberg, Jean-Marc Tétaz, Helmut Zander.

Christian Mazel

LA CÉRÉMONIE DES ADIEUX Simone de Beauvoir, Paris, Gallimard 1981 - 625 pages.

Persistent et signent S. de Beauvoir nous donne la transcription d'entretiens au magnétophone, avec J.P. Sarte, à Rome, en 1974. Des remarques fort inconvenantes sur les faiblesses physiques de son compagnon déchu attestent du bien fondé de ce qu'avait déjà avancé la secrétaire de Sartre, à savoir que c'était une femme mal élevée. Sur le font, que dire ? Sartre est mort sans un mot de regret quant à ses erreurs intellectuelles et morales : le silence à propos du procès de Kravchenko (Paris 1948), le double langage sur Budapest (1956), le silence encore lors de la répression contre les écrivains russes... Quant au reste... démissionnaire de l'enseignement en 45, et riche, - il le dit - il avoue n'avoir pas eu grand chose à faire pendant des années. Or sa culture littéraire est plutôt limitée. Il prétend avoir lu « énormément » (p. 249) on permettra à un historien d'en douter. De ses longs séjours en Italie : il n'a pas reconnu B. Croce, l'éminent philosophe et historien italien, qui lui eût fourni une grille de lecture de Hegel, laquelle lui manque cruellement dans sa critique de la raison dialectique. Il ment sur son passé de normalien, déclarant n'avoir pas été fasciste. C'est démenti par H. Guillemin, son condisciple ; il était avec G. Valois, lui même financé per Mussolini.

Morale de l'authenticité ? De l'escroquerie intellectuelle.

Jean Georgelin

L'OBSESSION AMERICAINE Jean-François Revel, Paris Plon 2002 - 300 pages

Le vieux lion a toujours bonne patte. Depuis 1957, il ne dételle pas. Les âneries de l'antiaméricanisme... Encore faut-il avoir le courage - du clerc - pour les pourfendre. Un tel ouvrage, tant les âneries sont nombreuses, ne peut, bien sûr, se résumer. De bons points : très tôt, est passé au USA, un téléfilm sur les misérables magouilles du président Nixon lors du Watergate ; on attend toujours le même sur l'affaire Ben Barka. Le vandalisme urbanistique a sévi très tôt à Paris, dès de Gaulle. Il n'y a jamais eu de sentiments anti-français fondamental aux USA ; la fiscalité américaine ne favorise pas les grosses fortunes, et, dès 1953, S. de Beauvoir dénonçait « l'occupation américaine » de la France ; rien que cela... Un regret, qu'un homme aussi cultivé, parfois, jusqu'à l'érudition, n'ait pas médité sur l'économie, n'ait pas lu P. Bairoch, Fourastier, d'accès aisé l'un et l'autre ; cela lui aurait évité des jugements parfois sommaires sur l'impérialisme, le colonialisme - que nous ne confondons pas - ou le commerce international...

Au même moment P. Roger publie lui aussi, un livre sur le même thème : l'ennemi américain d'où une certaine - nous disons bien « une certaine » - intelligentia française, ne sort pas grandie.

Jean Georgelin

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Dans le monde des religions

Genève

Mur des Réformateurs : quatre nouveaux noms

Parmi les nouveaux noms figure celui d'une femme, Marie Dentière, née dans les Flandres et théologienne de la Réforme au 16e siècle. Elle est la première femme à avoir son nom aux côtés de Luther, Calvin, Zwingli et autres sommités du mouvement qui a donné naissance au protestantisme. Marie Dentière (v. 1490-1561) figure aux côtés de réformateurs mieux connus de l'Église, comme Valdès de Lyon (v. 1140-1217), qui a inspiré le mouvement vaudois, John Wycliffe (v. 1330-1384) à qui l'on attribue la première traduction en anglais de la Bible et Jan Hus (v. 1369-1415) prédicateur dont l'enseignement a lancé le mouvement hussite en bohême.

Brésil

La part des chrétiens

dans la percée du Parti des travailleurs

Luis Inacio Luia da Silva (dit Lula), du Parti des travailleurs, incarne le rêve d'un Brésil où tous auront leur place et un espace de dignité. Pour Léornado Boff, la victoire du Parti des travailleurs répond à une nécessité historique. « Elle marquera une percée libératrice, incarnant le rêve d'un Brésil qui doit être réinventé et trouve dans le forum social mondial de Porto Alegre le point de référence qui l'aidera à bâtir une société et une planête viables - du point de vue écologique, social et éthique. »

« Cent mille communautés ecclésiales de base, une centaine de milliers de groupes bibliques, des centaines d'organisations de défense des droits de la personne et une pastorale sociale active, tout cela représente une grande force qui assume le projet du mouvement social sans tomber dans la tentation de tenir son propre programme. » « C'est la force de l'Église de la libération, c'est-à-dire les Églises - catholiques et évangéliques »

Inde

Lynchage de cinq jeunes Dalits

Les chrétiens Indiens ont multiplié les protestations après le lynchage, le 16 octobre, près de New Delhi, de cinq membres de la caste sociale la plus basse de l'Inde par une foule dont la colère avait été déchaînée par les rumeurs selon lesquelles ils auraient tué une vache. Le lynchage est « l'un des crimes les plus horribles contre l'humanité et c'est aussi une indication de la condition actuelle des Dalits dans ce pays », a déploré dans une déclaration publiée le vendredi 18 octobre, le Conseil national des Églises de l'Inde, qui regroupe 29 Églises orthodoxes et protestantes.

Grèce

Les membres du clergé de l'Église et l'habit traditionnel

Les responsables de l'Église (orthodoxe) de Grèce ont rejeté une demande des prêtres qui voulaient être dispensés de porter la barbe, la soutane et le chapeau traditionnels.

Canada

Controverse sur la bénédiction des unions homosexuelles

Timothy Cooke, de l'Église anglicane de St Martin à Vancouver, a présenté sa démission (janvier 2003) par opposition à la décision du diocèse de Westminster de les autoriser. Le 15 juin le diocèse avait approuvé la bénédiction des unions homosexuelles. Huit paroisses représentant 250 des membres (parmi les plus généreuses) ont annoncé qu'elle ne rempliraient plus leurs obligations financières. Ce conflit divise la Communion anglicane mondiale.

France

La Fédération Protestante et la loi de 1905

Le 6 décembre 2002, la FPF (16 Églises, 500 associations, 2 millions de personnes) doit remettre au Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, ses propositions de modifications dans l'application de la loi de 1905. La FPF a toujours été attachée à la laïcité. Mais force est de reconnaitre qu'au fil des ans, dans la pratique, il est devenu difficile pour les associations cultuelles, de s'accorder aux différentes réglementations. Ces propositions pourraient bénéficier à d'autres religions.

Subventions étatiques et solidarité humaine

« Une vache européenne reçoit 2,50 $ d'aide par jour, une vache japonaise 7,50 $ alors que 75 % des Africains vivent avec moins de deux $ par jour ».

Nicolas Stern
économiste en chef de la Banque mondiale

19/11, Munich.

La banque mondiale pointe aussi du doigt les 3,9 milliards de dollars d'aides américaines à la filière coton - trois fois le montant de l'aide US à l'Afrique. Ces subventions font chuter les cours et ruinent au passage des centaines de milliers de cotonculteurs africains.

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Les Français et la Bible

Il y a quelques mois, le journal La Croix a fait réaliser par la Sofres un très intéressant sondage sur la relation « ombrageuse » que les Français entretiennent avec la Bible.

Possédez-vous une Bible dans votre foyer ?

  • oui 46 %
  • non 54 %

Dans ce pays qui allie une forte tradition catholique avec une laïcité militante, le sondage révèle que plus d'un français sur deux ne possède pas une Bible chez lui. Interrogés sur la pertinence du message biblique, une majorité de français estiment que les enseignements de la Bible n'ont plus d'actualité et que son message ne répond pas aux préocupations de nos contemporains.

Et pour vous la Bible c'est :

  • - Un livre dépassé, en décalage avec le monde moderne : 54 %
  • - Un livre dont les enseignements sont toujours actuels : 38 %
  • - Ne se prononce pas : 8 %

Le corollaire de ce jugement négatif à propos de la Bible, c'est que les Français ne se réfèrent pas à elle pour les choix qui concernent leur vie personnelle. 70% d'entre eux estiment que la Bible tient une place peu ou pas importante du tout pour eux.

Quelle est la place de la Bible

Dans le patrimoine religieux de l'humanité ?

  • - Importante 64 %
  • - Pas importante 33 %
  • - Sans opinion 3 %
  • - Dans le patrimoine culturel de l'humanité ?
  • - Importante 62 %
  • - Pas importante 35 %
  • - Sans opinion 3 %
  • - Dans votre vie personnelle ?
  • - Importante 29 %
  • - Pas importante 70 %
  • - Sans opinion 1 %

La mission de l'Alliance biblique française repose sur la conviction que la Bible contient une Parole pertinente adressée par Dieu à l'homme et à la femme d'aujourd'hui. Au regard de ces chiffres assez alarmants, comment ne pas redoubler d'effort pour inverser ces tendances ?

Et vous personnellement, lisez-vous la Bible ?

  • - Jamais 72 %
  • - Moins d'une fois par mois 20 %
  • - Au moins une fois par mois 4 %
  • - Au moins une fois par semaine 2 %
  • - Tous les jours ou presque 2 %

Favoriser les actions de diffusion des Écriture dans notre pays, montrer que le message de la Bible n'a rien de démodé, donner à ceux qui veulent se lancer dans une lecture personnelle que la Bible des outils pédagogiques pour une lecture intelligente, encourager une pratique régulière de la lecture de la Bible parmi les chrétiens, favoriser la création de groupes biblique : autant d'objectifs que l'Alliance biblique poursuit inlassablement.

Christian Bonnet

L'Alliancre biblique édite la Bible (B.P. 47 - 95400 Villiers le Bel - Tél. 01 39 94 50 51 -Fax : 01 39 94 53 51.

Versions : français courant, français fondamental (Parole de vie), la Nouvelle Bible Segond, la TOB (traduction Oecuménique).

 

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