Rompons le silence
et chantons la libido. Une fois nest pas coutume. Vous souvient-il
davoir ouï parler de libido durant la dernière décennie
? Jen serais très surpris, si cela était. Ah ! mais
ne vous méprenez point, cher lecteur, je nentends pas célébrer
ici cette libido quau début du siècle antérieur
un aliéniste viennois introduisit dans lesprit infantile
des puritains du Nouveau Monde et que leur générosité
légendaire distribua à travers lAncien Monde, comme
les barres de chocolat après la guerre. Non, il ne sagit
pas de cette obsession vulgaire, aussi asservissante que lappât
du gain, cet enchantement de la divina pecunia sanctifié par
la saine éducation protestante !
Parfois, dans la quiétude de ma librairie comme
on disait en vieux langage, je songe à émoustiller la
libido de mes contemporains, adolescents ou gérontes. Rassurez-vous,
je ne prétends nullement joindre ma voix à celle des nouveaux
Mentors qui prêchent à lécole, à lÉglise,
sur le Forum, dans la presse et sur les ondes, le même évangile
de lambition, la libido dominandi, ce « désir de
dominer » qui presse tant dâmes pieuses à sagréger
aux instances dirigeantes ! Jabandonne volontiers cette quête
de la Renommée, épuisante et illusoire, aux thuriféraires
de lart précieux de parvenir, et je naurai pas loutrecuidance
de leur remémorer le sort dun Pompal ou dun Choiseul
! Lhomme de pouvoir tombe toujours du trône, quand la mort
ne le lui ôte !
Quelle libido chantez-vous alors, me demanderez-vous
? La seule qui satisfasse lâme. Car jai la faiblesse
de penser, à linstar du Socrate hollandais François
Hemsterhuis, que la plus belle part en lhomme est lâme
et que cette âme a des appétences, des désirs, quil
convient de satisfaire pour lépanouir et être heureux.
Je chante donc la libido sciendi, le « désir de savoir
», au risque dêtre taxé de passéisme
par les suiveurs de modes, de passer aux yeux des bien-pensants pour
un antiquaire des murs !
Quelle fut la première manifestation de lenfant
Jésus selon lévangéliste Luc, sinon celle
de la libido sciendi ? Il avait douze ans et avait accompagné
ses parents à Jérusalem. Après bien des frayeurs,
lenfant fut retrouvé dans le Temple en conversation avec
les savants docteurs ! Voilà qui est dit : la religion est la
cause première et la cause finale du savoir ! Et maintenant,
quon mexcommunie ou quon mencense, quimporte
; je ne donne pas mon opinion pour bonne, seulement pour mienne !
Jean-Loup
Seban