Il y a dans l’évangile
de Luc un verset avec une parole du Christ, qui n’a pas été
retenu dans le Canon officiel du Nouveau Testament. Pourtant il provient
d’un manuscrit essentiel, connu sous le nom de Codex de Bèze,
et les spécialistes pensent qu’il est tout à fait
authentique. Ce manuscrit semble en effet donner la version la plus
ancienne de l’évangile de Luc, mais ce n’est qu’assez
récemment que l’on a commencé à le prendre
vraiment en considération.
Ce verset se trouve au début du chapitre 6, juste après
l’histoire des disciples qui mangent des épis le jour du
Sabbat, et avant l’épisode de la guérison par le
Christ d’un homme à la main sèche le jour du Sabbat.
Le même jour, voyant quel-qu’un qui était en train
de travailler pendant le Sabbat, il lui dit : « Homme, si tu sais
ce que tu fais, tu es heureux, mais si tu ne le sais pas, tu es maudit
et tu transgresses la loi. (Luc 6,4 D)
Ce passage est difficile, et l’on comprend pourquoi il a pu être
retiré du Canon. On pense en effet généralement
qu’il est moins grave de transgresser sans le vouloir que de le
faire volontairement. Mais justement cet épisode est passionnant
parce qu’il montre bien comment le Christ se positionne par rapport
à la loi.
Avec la guérison qui suit, le Christ va montrer que l’on
peut transgresser la loi, dans la mesure où c’est pour soigner
quelqu’un, c’est-à-dire pour une bonne raison. Ici,
il va plus loin. Jésus responsabilise totalement l’homme
et dit que l’important, ce n’est pas d’obéir bêtement
à une loi, mais de réfléchir par soi-même
pour déterminer ce qui est bon.
Autrement dit, chacun peut transgresser la loi, mais l’essentiel
est qu’il ait réfléchi et qu’il ait une bonne
raison de le faire. Il est primordial de savoir pourquoi l’on fait
ceci ou cela, que l’on ait soupesé le pour et le contre
et que l’on ne fasse pas les choses sans raison. « Heureux
si tu sais ce que tu fais », autrement dit : « Heureux es-tu
si tu as conscience de transgresser la loi, mais que tu as une bonne
raison de le faire. »
Et ce n’est pas une complaisance, une sorte de tolérance
; il ne dit pas que c’est éventuellement acceptable de transgresser
la loi dans cette situation, mais que cette transgression choisie et
assumée est positivement bonne ; elle est même montrée
comme le chemin du bonheur, l’accomplissement des béatitudes
: « Tu es heureux. »
Mais celui qui ne sait pas ce qu’il fait, celui qui ne réfléchit
pas, celui qui agit sans raison, alors il vaudrait mieux pour lui qu’il
suive la règle. Et s’il transgresse la loi sans raison importante,
juste parce qu’il ne prend garde à rien, ou que ça
l’arrange, alors c’est grave : celui-là n’est
pas dans le sens de la vie. De même, transgresser la loi sans
même en avoir conscience, c’est-à-dire ignorer la
loi semble aussi une mauvaise voie ; la loi est importante en ce qu’elle
indique une direction vitale, et rien n’est plus grave qu’une
vie qui ne serait orientée par rien ; faute de conviction, l’obéissance
est mieux que rien.
Le Christ a ici une position très subtile concernant la loi
: il ne la méprise pas, il ne dit pas qu’on peut faire n’importe
quoi, et que l’on n’a pas à se préoccuper d’elle
; ce qu’il dit, c’est qu’il y a plus grand que la loi,
plus essentiel : la réflexion, la responsabilité personnelle,
et finalement faire des choix à partir de sa propre conviction.
Et ce qui est très étonnant, c’est que le Christ
ne juge pas là des raisons de l’homme pour transgresser
la loi, il ne dit pas qu’il peut y avoir de bonnes ou de mauvaises
raisons. Il dit simplement que l’essentiel, c’est d’avoir
une conviction, une foi et d’agir à partir de cela. On retrouve
cette idée dans l’épître aux Romains (13,22-23)
: Cette foi que tu as, garde-la pour toi devant Dieu. Heureux celui
qui ne se condamne pas lui-même dans ce qu’il approuve !
Mais celui qui a des doutes au sujet de ce qu’il mange est condamné,
parce qu’il n’agit pas par conviction. Tout ce qui n’est
pas le produit d’une conviction est péché. 
Louis
Pernot