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Numéro 195 - Janvier 2006
( sommaire )

Cahier : Œcuménisme : que veut Benoît XVI ?

par Camille Jean Izard

La Semaine de prière pour l’unité des chrétiens est célébrée chaque année dans le monde entier du 18 au 25 janvier par les chrétiens des diverses confessions. Il y a un an nous vous proposions un article de Pierre Fath intitulé : « L’unité des chrétiens est-elle possible ? » Aujourd’hui l’Église catholique a un nouveau pape, et son élection a fait frémir tous ceux qui espèrent un vrai dialogue entre les Églises.

Lors du Concile de Vatican II (1962-1965), Joseph Ratzinger était apparu comme un théologien plutôt libéral. Mais l’agitation et le vent de contestation de 1968 l’ont fait évoluer vers des thèses conservatrices. Il s’est attaqué à la « théologie de la libération » en Amérique latine, qu’il a progressivement réduite au silence. Il a été à l’origine de la condamnation par le Vatican de l’homosexualité. Plus récemment, il s’en est pris au « féminisme radical », qu’il accuse de saper les valeurs familiales. On connaît ses positions vis-à-vis de la contraception, des divorcés, du mariage des prêtres et de l’ordination des femmes. De nombreux fidèles catholiques dénoncent le verrouillage imposé par Rome.

Le cardinal Ratzinger a provoqué la colère des autres Églises chrétiennes avec la publication, en 2000, du document intitulé Dominus Iesus, dans lequel un chapitre est consacré à l’« unicité et unité de l’Église ». On peut y lire : « Malgré les divisions entre chrétiens, l’Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique. [...] les Communautés ecclésiales qui n’ont pas conservé l’épiscopat valide et la substance authentique et intégrale du mystère eucharistique, ne sont pas des Églises au sens propre. » Accepter un tel langage serait admettre que la seule voie possible pour l’œcuménisme est l’intégration de tous les chrétiens dans l’Église catholique, unique détentrice de légitimité et de vérité.

Unité ne veut pas dire uniformité, pensée unique ; c’est la diversité qui enrichit la foi. Dieu serait-il réductible à une seule foi, à une seule expression théologique ?

Dans ce cahier, Camille Izard analyse un discours du cardinal Ratzinger, prononcé en août 1990. On trouve déjà dans ce texte bien des éléments qui inquiètent encore aujourd’hui les protestants. Dans une deuxième partie du cahier, André Gounelle a rassemblé quelques extraits du Catéchisme de l’Église Catholique abrégé, paru en 2005, et résumé du grand Catéchisme Universel, publié en 1992.

Camille Jean Izard a fait des études scientifiques à Bordeaux et à Toulouse (doctorat), puis des études de théologie à Paris, et à Strasbourg ; sa thèse de doctorat en théologie soutenue à Strasbourg était intitulée Regard et Mysticité chez Alexandre Vinet. Il a enseigné comme professeur émérite à l’IPT de Paris dans le cadre de cours « Spiritualités et Mystiques ». Il est lauréat de l’Académie des Sciences et de l’Académie Nationale de Médecine. feuille

Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne

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« Une société à réformer sans cesse » selon le Cardinal Joseph Ratzinger
par Camille Jean Izard

Si je reprends le texte que Joseph Ratzinger a publié dans Communio en 1991, la grande revue catholique internationale, une quinzaine d’années avant de succéder à Jean-Paul II, c’est sans doute pour plusieurs raisons ; j’en livrerai deux : la première est que le Cardinal est préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi depuis 1981 ; la deuxième : son discours est très significatif quant à sa pensée, sa méthode ; une main de fer dans un gant de velours. Il est clair que lorsqu’il prend la parole, il s’exprime pour l’Église. Il en a parfaitement conscience. Mais c’est également au nom de l’Église qu’il juge et condamne, qu’il balise le terrain. D’une intelligence peu ordinaire, théologien de grande pointure s’il en est, armé de son sourire qui peut inquiéter, désarmer l’adversaire éventuel, séduire, il sait où il veut aller et ne transige pas. Il ne transigera pas. Il n’est pas homme de compromis ; c’est une qualité rare en ce siècle, mais il sait parfaitement utiliser les subtilités du verbe et de l’écriture pour amener à lui son lecteur qui ne peut que souscrire et admettre qu’après tout, le Cardinal n’a pas tout à fait tort et même qu’il a peut-être raison. On aura compris que je ne cherche qu’à éclairer et sans doute à mettre en garde ceux et celles qui mettraient trop d’espérance en Benoît XVI. Ils seront vite déçus.

Aucun domaine n’est pour lui réservé, que ce soit le dogme, la morale, la politique, la sexualité, la médecine, l’enseignement, les libertés exigées par les femmes…

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L’intouchable Tradition

Aucun domaine n’est pour lui réservé, que ce soit le dogme, la morale, la politique, la sexualité, la médecine, l’enseignement, les libertés exigées par les femmes, etc. La situation du Clergé, des Églises diverses, des hérétiques ici et là dans le monde est l’objet d’une attention soutenue, parfois brutale dans ses effets. Mais, le plus souvent, il sait se servir et de son sourire et de l’onction pour dire « sa vérité ». Ses positions sont plus ou moins connues. Que l’Église catholique romaine désire s’adapter au monde moderne, renouveler certaines de ses structures, pourquoi pas ? Mais, pas question de toucher à la Tradition, de mettre en péril les assises romaines, plus particulièrement la doctrine sociale liée au dogme. D’où sa lutte farouche contre ce marxisme à peine voilé qui colore, selon le Cardinal, la réflexion et la « praxis » de certains théologiens, prêtres et laïcs d’Amérique du Sud ou d’ailleurs. N’oublions pas qu’à la fin de l’année 1992 paraît le grand Catéchisme Universel ; un gros ouvrage de plus de 600 pages comportant plus de 2600 paragraphes ! Un document de référence ultime pour tout un chacun, approuvé par l’ensemble des évêques, dit-on, du monde entier. Ce grand catéchisme est largement l’œuvre du Cardinal, de ses proches collaborateurs ; voire d’interventions « fraternelles » de certains évêques, cardinaux qui sont sur la même ligne que le Maître de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Un « abrégé » de ce catéchisme est paru en été 2005 ; il n’en modifie en rien le contenu doctrinal et moral ; il est préfacé par Benoît XVI. C’est donc le Pape d’aujourd’hui qui préface le Cardinal qu’il fut hier !

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Réformer la société… ou l’Église catholique ?

Le titre de l’article est significatif et sans doute bien pesé : « Une société à réformer sans cesse ». Suit la première phrase du texte qui ouvre le premier paragraphe : point n’est besoin de beaucoup d’imagination pour deviner que « la société dont je veux parler, c’est l’Église ». Dont acte ; mais la Société est-elle l’Église ? Il poursuit : « Peut être, dans le titre, le terme Église a-t-il été évité uniquement pour cette raison qu’il provoque immédiatement des réactions de défense chez la plupart de nos contemporains… la voix de l’Église, sa réalité, sont tombées en discrédit. »

L’article comporte cinq paragraphes, de longueur inégale : « Le mécontentement vis-à-vis de l’Église » ; « Une réforme inutile » ; « L’essence de la véritable réforme » ; « Morale, pardon et expiation : centre personnel de la réforme » ; et enfin : « La souffrance, le martyre et la joie de la Rédemption ».

Le Triomphe de l'Église sur           Calvin et Mahomet. Détail de l'Almanach Royal français           de 1686

Le Triomphe de l'Église sur Calvin et Mahomet. Détail de l'Almanach Royal français de 1686.

Pour ce qui concerne le « mécontentement de l’Église », le Cardinal estime que « les raisons en sont fort diverses, opposées même selon les cas » ; en effet, ou bien l’Église est trop étrangère au monde ou bien « Elle s’est trop conformée aux paramètres de ce monde ». Je remarque que cet écartèlement n’est pas nouveau, n’est pas étranger à la pensée protestante ; il prend racine dans l’Évangile et même avant. Le mécontentement vis-à-vis de l’Église résulte surtout de la limitation que l’Église exerce vis-à-vis des libertés individuelles et des consciences. Les « barrages » que dresse l’Église « pénètrent dans la sphère la plus personnelle et la plus intime ». Tout ceci, bien sûr, est cause de souffrance et la solution ne serait-elle pas : « la sortie d’une pareille tutelle spirituelle » ? Mais alors, interroge l’auteur : « Que subsisterait-il encore de cette société ? » L’analyse de la situation est nette, alors que faire ?

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Une réforme inutile

Le deuxième paragraphe : « Une réforme inutile » entame la critique de certains qui souhaitent réformer l’Église (la société ?) et qui ne veulent plus d’une Église « paternaliste », « distributrice » des biens qui viennent d’en haut. Ils constatent que cette Église n’a pas intégré dans ses structures, et donc dans l’action, les concepts démocratiques issus des réflexions du siècle des Lumières. Ils souhaitent que le peuple chrétien fasse en quelque sorte l’Église et ainsi se l’approprie. Le Cardinal constate que : « L’Église surgit alors à travers les débats, les accords et les décisions… l’on forge de nouvelles formules de foi abrégées. En Allemagne, à un niveau relativement élevé (sic) on a déclaré que la liturgie non plus ne doit plus correspondre à un schéma déjà donné, mais qu’elle doit au contraire surgir sur place, dans une situation donnée, être l’œuvre de la communauté pour laquelle on célèbre. » Prétention intolérable. Quant à « l’autogestion, [elle] ne doit pas se substituer à la direction ». Le Cardinal a horreur de tout système démocratique majoritaire : « Une Église qui repose sur les décisions d’une majorité devient une Église purement humaine. »

Pourquoi ? Le préfet répond, et c’est très grave : « Parce que l’opinion vient se substituer à la foi. » Au nom de qui peser ainsi les consciences ? Où est la frontière, à vue humaine, entre l’opinion et la foi ; c’est un exercice d’école. On peut se demander à quel niveau le processus non démocratique a joué dans l’élection de Benoît XVI ? Mystère ?

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La réforme ? Une sculpture

Qu’en est-il de « l’essence de la véritable réforme », selon Joseph Ratzinger ? Pour répondre à cette question, il va introduire astucieusement, tout en les opposant, deux personnages : « l’activiste » et « l’admirateur ». De fait, il réactive ce vieux problème récurrent qui concerne l’action et la contemplation au sein de l’Église catholique romaine. L’activiste va perdre peu à peu le sens du Mystère et gaspiller son énergie en pure perte. Nous savons bien l’imprudence d’une vie équilibrée – rarement réalisée en plénitude – entre l’action et la prière. Qu’est-ce que l’action d’un chrétien dans le monde si elle n’est pas sous tendue par la prière et la méditation de l’Écriture ? Un jour ou l’autre elle perd ses marques et sa finalité. Notre modèle, est-ce l’Église ? Est-ce Jésus-Christ ? Que cherche-t-on ? Le salut ? Nous l’avons. Les décrets ecclésiastiques ne peuvent se substituer à l’Évangile.

Il y a dans la démarche de Ratzinger le souvenir d’un certain idéal monastique qu’on peut sans doute respecter, mais qu’on ne peut prétendre généraliser, par exemple au plan de la famille ou de la société.

Prenant l’exemple du sculpteur (Michel-Ange) qui libère la forme endormie dans la pierre en procédant par coups de ciseau en ôtant la matière, Joseph Ratzinger va s’inscrire dans la démarche de Saint Bonaventure, le grand docteur franciscain, pour ce qui concerne l’ascèse spirituelle, source de la vraie réforme intérieure : le sculpteur ne crée pas, il opère par ablatio.

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Il faut épurer

Ce mot latin [ablatio = enlever] semble avoir le don de réjouir le Cardinal ; sans doute que ce mot traduit parfaitement sa pensée intime de latiniste expert, quant à la reformatio qu’il souhaite. Il va l’utiliser une dizaine de fois. Pour le Cardinal : « une réforme c’est toujours une ablatio » :

« Supprimer, dit-il, pour qu’apparaisse la nobilis forma, le visage de l’Épouse, en même temps que celui de l’Époux – le Seigneur vivant. » Emporté par son élan jubilatoire, Joseph Ratzinger assimile curieusement la voie de l’ablatio à la « théologie négative », ainsi nommée parce que, pour respecter le mystère divin, elle dit davantage ce que Dieu n’est pas que ce qu’il est ; ce faisant il l’élève au rang d’une démarche fondamentale par laquelle le théologien abandonne, sans la perdre de vue, la voie classique de la théologie notionnelle ou positive, lorsqu’il se rend compte qu’il est dans une impasse.

Le Triomphe de l'Église sur           Calvin et Mahomet. Détail de l'Almanach Royal français           de 1686

Deux détails de la gravure de la page précédente, Mahomet terrassé par la Religion.

Mais peu importe, le Cardinal sait parfaitement de quoi il parle. Si on le suit, l’ablatio, qui consiste, disons le mot, à épurer, à rejeter et la « théologie négative », qui s’inscrit dans une logique systématique de refus (Dieu n’est pas ceci, Dieu n’est pas cela) aboutissent idéalement à un acte de foi purifié et nu cher aux mystiques ; alors oui, nécessairement, l’ablatio appelle à une ascèse personnelle redoutable, notamment en tout ce qui concerne l’obédience. Il y a dans la démarche de Joseph Ratzinger le souvenir d’un certain idéal monastique qu’on peut sans doute respecter, mais qu’on ne peut prétendre généraliser, par exemple au plan de la famille ou de la société, et il le sait très bien. Mais peu importe. Observons comment, suivant sa méthode, en rappelant l’Évangile ou Saint Paul, il met le lecteur chrétien dans un certain embarras ; on se dit que l’auteur est peut- être dans la vérité ! En effet, pour Joseph Ratzinger, l’ablatio va permettre l’éclosion d’une « Église plus divine » et donc « plus humaine ». Pour lui, l’ablatio engage toute la personne et toute l’Église créatrice de liberté authentique.

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Morale, pardon et expiation

Le quatrième paragraphe qu’il consacre à « Morale, pardon et expiation : centre personnel de la réforme », est dans le droit fil du précédent. L’ablatio, source de véritable liberté, se manifeste sous deux aspects : « purificateur et rénovateur ». S’il est d’accord pour que l’Église tienne compte de l’époque en prenant de « nouvelles formes », il n’est pas question que ces formes nouvelles « deviennent l’essentiel ». L’Église « est là, au contraire, pour permettre à chacun d’entre nous d’avoir accès à la vie éternelle ». Donc, clairement, l’Église « permet » ; elle est la porte qui ouvre le paradis.

Après avoir évoqué « la remise des clefs à Pierre » (Mt 16,19), la Cène « qui inaugure la nouvelle communauté », « la première apparition aux onze où le Ressuscité crée la Communion de sa paix en leur donnant le pouvoir de pardonner » (Jn 20,19-23), Joseph Ratzinger pense être arrivé à ce qu’il définit comme « un point véritablement central » ; il assure que « le noyau de la crise spirituelle actuelle vient de ce que l’on a obscurci la grâce du pardon ». Le pardon et la pénitence, la grâce et la conversion personnelle étant « les deux faces d’un unique événement ».

S’il est exact que toute morale érigée en loi, « provoque chez l’homme le désir de la contredire et engendre le péché », il est, poursuit l’auteur, « tout aussi vrai » que « si le pardon, le véritable pardon efficace, n’est plus reconnu ni accrédité, la morale est alors… disloquée ». Très finement, le théologien J. Ratzinger observe qu’aujourd’hui « la discussion morale tend à disculper les hommes, en faisant en sorte que jamais ne soient réunies les conditions qui rendent la faute possible » et de rappeler le mot « caustique » de Pascal : « Ecce patres, qui tollunt peccata mundi » ! C’est-à-dire : « Voici les pères qui enlèvent les péchés du monde » ! Comme en passant, il décoche une flèche de plus à l’aile gauche de la Compagnie de Jésus jugée trop engagée dans les affaires du monde. « D’après ces moralistes, il n’y a tout simplement plus aucune faute. » – propos pour le moins bien exagéré.

Mais une morale ne peut se concevoir sans une morale du pardon ; un pardon réel et efficace ; par contre, souligne le prélat : « il n’est de pardon véritable que sil y a un prix d’achat, un équivalent dans l’échange, que si la faute a été expiée et que l’expiation existe. Les rapports circulaires entre morale, pardon et expiation ne peuvent être dissociés : s’il manque un élément, le reste s’écroule. » La théologie sacramentaire est bien présente.

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Qu’est-ce que l’Église ?

Mais le Cardinal ne peut que rappeler, tout de même, que : « Jésus a accompli toute la Loi et pas seulement une partie… et… qu’il est lui-même expiation et pardon, et donc également le fondement unique, sûr et toujours valide de notre morale. »

“ Font également partie de l’Église tous les inconnus et les anonymes dont seul Dieu connaît la foi. En font partie les hommes de tous les temps, de tous les lieux dont le cœur plein d’espérance et d’amour se penche vers le Christ…”

S’interrogant sur la nature de l’Église, il insiste et refuse d’accepter une Église qui serait « seulement le petit groupe d’activistes qui se retrouvent ensemble en un certain lieu pour démarrer une vie communautaire » ; « l’Église n’est pas non plus simplement la grande troupe de ceux qui se réunissent le dimanche pour célébrer l’Eucharistie. Et enfin, elle est bien davantage que le pape, les évêques et les prêtres, ceux qui sont investis du ministère sacramentel. » Quelle grâce a donc touché le préfet ? Il poursuit, après avoir reçu « tous les témoins dont nous parle l’Ancien Testament… Marie la Mère du Seigneur, les apôtres… avec Maksymilian Kolbe, Edith Stein… Font également partie de l’Église tous les inconnus et les anonymes dont seul Dieu connaît la foi. En font partie les hommes de tous les temps, de tous les lieux dont le cœur plein d’espérance et d’amour se penche vers le Christ… » Comment ne pas souscrire à une telle déclaration ? Le Cardinal a sa méthode, sa stratégie ; il avance à petits pas mais il avance et je doute que Benoît XVI change d’attitude.

Existence et souffrance coexistent, mais c’est dans « la communion au Christ que la souffrance prend toute sa signification ». C’est par le processus de l’ablatio que le chrétien, à l’exemple de Saint Paul, participe aux souffrances du Christ et qu’il achève dans sa chair ce qui manque… pour son corps qui est l’Église. (Col 1,24)

Par la foi, conclut J. Ratzinger : « l’Église comme Communion grandira sur le chemin de la vraie vie… alors elle deviendra la grande maison qui contient tant de demeures…, alors les dons de l’Esprit pourront agir en elle à profusion, alors nous verrons comme il est bon et doux pour des frères de vivre ensemble… » (Ps 133) Ainsi s’achève le discours du Cardinal, prononcé à Rimini en août 1990 et publié en janvier 1991.

Le Triomphe de l'Église sur           Calvin et Mahomet. Détail de l'Almanach Royal français           de 1686

Deux détails de la gravure de la page précédente, Calvin teerrassé par la Vérité et le Gardien de la France.

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L’obsession de la sexualité

Pour terminer, je dirai quelques mots concernant les idées du Cardinal par rapport à tout ce qui touche de près ou de loin à la sexualité. Il faut savoir qu’il n’invente rien ; qu’il se situe dans le droit fil d’une tradition de l’Église Catholique Romaine, voire de points de vue traditionnels dans le monachisme de l’Église d’Orient. Pourquoi ? C’est que la sexualité fait l’objet d’une attention particulière dans la chrétienté et ailleurs ; c’est qu’elle intègre toutes les activités humaines : pouvoir, éthique, économie, sociologie, médecine, etc. Très tôt, l’histoire de l’Église est marquée par cet intérêt, particulièrement avec les Pères d’Occident : la sexualité est l’arme du démon ; la femme n’a qu’une seule vocation : procréer ; elle est impure et redoutable ; elle en-traî-ne l’homme au péché. Certes on n’en est plus là, mais les racines sont vivaces. Devant les excès de la modernité en la matière – car il y a des excès – l’Église réagit, et pas seulement l’Église catholique.

Mais cette dernière suivant sa méthode, parlera avec onction, avec tendresse, pour les homosexuel(le)s, pour la jeunesse, les divorcés et les couples en union libre, pour les prêtres, pour les couples confrontés aux douloureux problèmes de la stérilité ; mais la condamnation est inévitable, l’exclusion de l’Église suit, avec toutes les conséquences que nous connaissons et que le Cardinal sait parfaitement.

Cette obsession de la sexualité s’est exprimée violemment chez un saint Ambroise qui a consacré un certain nombre de traités pour faire l’apologie de la virginité ; le grand saint Jérôme n’a-t-il pas déclaré que le malin travaille dans les reins et le nombril ? Une veuve qui convole en justes noces n’est-elle pas comparée à un chien qui retourne à sa vomissure… ? Quant à saint Augustin dont le génie et l’influence exercée sur la théologie occidentale, sur les Réformateurs sont indiscutables, il voit la sexualité en dehors du mariage comme un abîme de perdition.

Certes, je ne partage pas toutes les idées de la modernité en matière de sexualité, mais j’attache beaucoup d’importance à la liberté de conscience de tout un chacun ; confronté à cette certitude que les Églises quelles qu’elles soient ont la liberté et le devoir d’annoncer l’Évangile, mais en aucun cas n’ont le droit de dresser les « barrages » dont parle le Cardinal et de s’interposer – je dirai : juridiquement – entre ceux qu’elles considèrent trop souvent comme des malades et le Christ.

Certes, je ne partage pas toutes les idées de la modernité en matière de sexualité, mais j’attache beaucoup d’importance à la liberté de conscience de tout un chacun ; confronté à cette certitude que les Églises quelles qu’elles soient ont la liberté et le devoir d’annoncer l’Évangile, mais en aucun cas n’ont le droit de dresser les « barrages » et de s’interposer – je dirai : juridiquement – entre ceux qu’elles considèrent trop souvent comme des malades et le Christ.

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Benoît XVI, héritier de Ratzinger

Benoît XVI n’est que le continuateur d’une tradition ecclésiastique et je ne vois pas pourquoi, humainement, il changerait de cap. Je pense aussi qu’il en sera de même pour l’œcuménisme malgré les gestes et les paroles d’encouragement que Rome ne manquera pas de distribuer. L’ablatio jouera (joue) sur deux plans : celui de la personne et celui de la hiérarchie. L’Église catholique, dit-on, va à contre-courant ; c’est une erreur d’appréciation ; elle va dans le bon sens qui est le sien ; elle nage portée par le courant de la tradition, de « ses pompes et de ses œuvres » ; parfois elle sait prendre des temps de repos – expérience séculaire oblige –, mais nous savons que généralement les rivières aboutissent à la mer où elle se perdent… d’autres se sont asséchées. Une conséquence de l’ablatio – et pas des moindres – source de souffrance dans ses excès, ouvre tout grand au « dolorisme », un caractère assez spécifique de l’Église d’Occident ; les Églises d’Orient ne cultivent pas cette mauvaise herbe. Bien sûr, le renoncement, le contrôle de soi sont indispensables ; il suffit de lire l’Évangile et saint Paul pour s’en convaincre. La « porte étroite » dont parle Jésus n’est pas qu’une image ; elle est réalité. Et puis, l’ablatio, la souffrance, le cycle qui noue d’après Joseph Ratzinger la morale, le pardon et l’expiation (l’ordre des mots n’est pas anodin), ne cachent-il pas le désir de maintenir intacte et opératoire, une théologie des œuvres et du sacrement ?

Aujourd’hui, il ne serait pas inutile peut-être, que le monde responsable protestant observe, sans attente particulière, ce qui se passe à Rome, à la lumière du Traité de la liberté chrétienne de Martin Luther et de La vraie façon de réformer l’Église de Jean Calvin ; tout y est ou presque. Et voici qu’au moment de conclure me vient à l’esprit un aphorisme du polonais Stanislas Jerzy Lec : « Il y a des moments où l’heure de la liberté sonne avec les clefs du gardien. » feuille

Camille Jean Izard, 18 juin 2005

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