La Cène de Bernard
Buffet (1928-1999) appartient à un ensemble de tableaux retraçant
des épisodes de la vie du Christ. Réalisées en
1961 pour décorer la chapelle de sa résidence de Château
lArc, près dAix-en-Provence, ces uvres furent
données au musée du Vatican par le peintre en 1971.
Dans cette toile, linstitution de la Cène
est délaissée au profit du jugement de Judas. Pendant
longtemps la communion de Judas a été ressentie par lensemble
des chrétiens comme leffrayante image de la communion sacrilège.
Pourtant, la présence autour de la table de Pierre le renieur,
de Judas le traître et dautres disciples plus ou moins dignes,
est bien le signe de la Grâce de Dieu qui nous accueille tous.
La
composition reprend la tradition occidentale médiévale
de la représentation de la Cène qui sappuie sur
le texte de Jean 13. Les protagonistes sont assis derrière une
table à tréteaux, Judas est seul en face deux. Labsence
dauréole le désigne. Traditionnellement, lorsque
les apôtres et Jésus sont nimbés, soit Judas na
pas dauréole soit elle est noire. Le fond jaune sur lequel
se déploient avec rigueur les lignes étirées, langulation
et le squelette des formes géométriques, évoque
lor des icônes de lart byzantin. Sa spiritualité
fait de limage une fenêtre ouverte sur linvisible.
Entre les bons apôtres autour du Christ et Judas
le traître, se trouve la table recouverte dune nappe blanche
dont les plis forment des barreaux et renforcent lidée
de partage de lespace entre bons et méchants. Le climat
de luvre aux couleurs sombres est sinistre, toute humanité
en semble absente. Les visages des apôtres sont de vraies têtes
de morts, les corps sont traités comme les carafes, ils sont
réduits à une forme pyramidale : cet ensemble déléments
donne à la Cène laspect dun tribunal inhumain
obéissant seulement à la loi. Cest devant ce tribunal
que comparaît Judas : celui du jugement dernier. Rien ici ne témoigne
dune grâce possible ! Où est lamour de Dieu
?
Mais dans un second temps, la chaleur du fond et le jeu
des regards corrigent cette impression. Attentifs, tous les yeux et
les visages convergent vers Jésus. Il est au centre de la composition.
Dans la prière, ses yeux sont-ils baissés vers la table,
où se trouvent le pain et le vin, ou dirigés vers Judas
? Exclu du groupe, ce dernier oriente son regard lourd de pensées
vers nous. À sa droite, la signature du peintre et la date répondent
en symétrie au nom de lapôtre inscrit en haut à
droite de la toile. Peut-être une façon de dire «
nous sommes tous des Judas ».